Une large majorité d’Israéliens, qu’ils soutiennent ou non le gouvernement de Benyamin Nétanyahou, regrette la décision de la France de reconnaître l’Etat palestinien. Mais certaines voix dissonantes estiment qu’il n’y a pas d’autre solution pour espérer la paix.

Les Israéliens ont presque trouvé un rare terrain d’entente. Dans une société fracturée, ils sont très nombreux à rejeter le choix de la France de reconnaître, lundi 22 septembre, l’Etat de Palestine. « Je pense que c’est une très mauvaise chose, car cela nous isole », explique Rafael, un étudiant de 23 ans, à Jérusalem. Avec la décision de la France, 158 pays sur les 193 membres de l’ONU reconnaissent désormais l’Etat de Palestine.
Au moment où Emmanuel Macron s’apprêtait à prononcer son discours à la tribune de l’ONU, la grande majorité des Israéliens étaient réunis en famille pour la fête de Roch Hachana, le Nouvel An juif. Mais rue de Gaza, à Jérusalem, des proches des otages du Hamas, dont 48 sont toujours retenus dans l’enclave, manifestaient près de la résidence du Premier ministre, Benyamin Nétanyahou, pour réclamer l’arrêt de la guerre.
Parmi eux, Michel Illouz, père de Guy Illouz, mort en captivité, ne s’oppose pas formellement à la reconnaissance d’un Etat palestinien, mais pas à n’importe quel prix : « La seule condition, c’est le retour immédiat des otages », martèle l’homme, qui a rencontré Emmanuel Macron le 10 septembre à l’Elysée. « Faites tout ce qui est nécessaire, mais vous devez ramener nos otages immédiatement, avant toute chose. »

Emmanuel Macron n’a pas attendu cette étape, même s’il a conditionné l’ouverture d’une ambassade française en Palestine au retour des otages. « C’est une très mauvaise décision parce que les Français ont toujours été derrière nous, mais maintenant, on se rend compte qu’ils sont contre nous », réagit Eyal, 49 ans, rencontré dans les rues de Jérusalem. « C’est dommage, cette décision unilatérale de la France, il aurait fallu faire ça de façon plus intelligente et trouver une vraie solution, car je ne pense pas que c’est ce qui va régler le problème à Gaza », confie aussi Yaëlle, 32 ans, qui travaille dans le secteur des hautes technologies.
Elisabeth, une mère de soldat qui demande l’arrêt de la guerre à Gaza, estime aussi qu’il y a une erreur de timing : « Je pense que ce n’est pas le bon moment. Cela rajoute de l’huile sur le feu. Il y avait d’autres choses intéressantes à faire diplomatiquement et politiquement avant cette reconnaissance. » En prononçant son discours, Emmanuel Macron connaissait déjà ces critiques : « Certains diront trop tard, d’autres diront trop tôt. »
« Ils ne sont pas tous coupables de ce qui s’est passé »
Dans les rues du quartier de Jaffa, à Tel-Aviv, Ido reprend de son côté l’un des principaux arguments du gouvernement Nétanyahou, qui voit dans cette reconnaissance un cadeau au Hamas. « Cela montre aux gens que si vous tuez et que vous violez, alors vous pouvez recevoir un prix sous forme de pays », fustige le jeune homme de 34 ans. Un peu plus loin, plusieurs Arabes israéliens refusent de répondre à franceinfo, déclarant se désintéresser de la politique. « On vit bien ici, on vit avec tout le monde. C’est un paradis. On s’en fiche du reste », évacuent Atar et Yahya, deux frères de 83 ans et 91 ans, face au port de Jaffa.
« C’est légitime. Ils ont le droit aussi d’être indépendants comme nous. Le peuple [palestinien] veut vivre, ils ne sont pas tous coupables de ce qui s’est passé », nuance Amal, assise face à la mer. Cette Israélienne musulmane de 39 ans, qui habite dans la région du Néguev, réclame aussi le retour des otages. Un peu plus loin, Ayman, 42 ans, qui se définit comme « Israélien musulman », n’a pas suivi les informations, mais souhaite quand même un Etat palestinien : « Je pense qu’ils ont le droit à l’autodétermination et que c’est le seul vrai moyen de résoudre ce conflit, parce que la violence entraîne la violence. » Un peu plus loin, dans les rues de la vieille ville de Jaffa, Eden sait que son opinion « de gauche » est minoritaire dans le pays, mais elle s’accroche à un espoir : « Bien que ce soit difficile des deux côtés, j’espère vraiment qu’à long terme, il y aura un Etat palestinien et qu’on vivra en paix. »
Eden n’est pas représentative de l’opinion israélienne. Selon un récent sondage du Pew Research Center(Nouvelle fenêtre), la part des Israéliens qui croient encore à la possibilité d’une coexistence pacifique entre Israël et un Etat palestinien est tombée à 21%, soit 14 points de moins qu’au printemps 2023, avant le début de la guerre. Beaucoup expliquent que les atrocités commises le 7-Octobre par le Hamas ont enterré les espoirs d’une partie des personnes qui croyaient encore en la paix. « Un Etat palestinien aux côtés de l’Etat d’Israël, ça n’arrivera jamais, nous, on encourage la vie, et eux, la mort. Le conflit est tellement profond. Ils ne veulent pas de nous à leurs côtés », estime Alex, un informaticien de 33 ans.
Dans le kibboutz de Beeri, la population reste marquée par les atrocités commises par les commandos du Hamas. Rami Gold, un ancien militaire de 72 ans, fait visiter les maisons éventrées et s’attarde sur les histoires de ses voisins suppliciés, il y a maintenant deux ans. Le rescapé ne croit désormais plus du tout à la possibilité d’un Etat palestinien et tient le Hamas pour responsable. « Ils ont tué les derniers qui croyaient encore à la paix, souffle-t-il. Ils ont perdu leur chance de vivre avec nous. »
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