La gauche fait déjà fuir les riches

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Fuite des riches : Et les promoteurs de la taxe Zucman ont d’ores et déjà réussi à provoquer l’un des plus rapides exils de capitaux français de l’histoire

Malgré le rejet de la taxe Zucman à l’assemblée ce lundi lors des premiers débats sur le budget 2026, la promotion de cette mesure de matraquage fiscal sur les plus riches aura provoqué son effet : Les capitaux fuient déjà la France au profit de nos voisins directs, la Suisse et le Luxembourg, qui savent les accueillir. 

Atlantico : Depuis les débats autour de la taxe Zucman, de plus en plus de capitaux français migrent vers la Suisse et le Luxembourg, selon des informations du Financial Times. Y a-t-il une accélération du phénomène depuis quelques mois ? Comment expliquer cette recrudescence chez les Français qui décident de partir, ou de faire des placements dans des assurances-vie ou dans des entreprises à l’étranger ?

Thomas Carbonnier : La taxe Zucman est une initiative de la gauche qui a provoqué la plus grande fuite de capitaux de l’histoire française, avant même le vote final de la loi. 13,8 milliards d’euros ont été transférés au Luxembourg en 2024 pour des investissements dans l’assurance-vie. Les flux sont continus, vers la Suisse comme vers le Luxembourg, depuis les débats sur la taxe Zucman. Et cela, pour une taxe qui n’existe pas encore. Il faut reconnaître à la gauche une certaine efficacité. Provoquer un exode massif de capitaux sans loi adoptée relève de l’exploit. La taxe Zucman a été une prophétie auto-réalisatrice d’une redoutable efficacité.

Le Financial Times a révélé ce que beaucoup savaient déjà. Des entrepreneurs et des familles fortunées françaises déplacent massivement leurs avoirs vers la Suisse et le Luxembourg. Ce phénomène s’est accéléré depuis juin 2024, date de la dernière dissolution de l’Assemblée nationale, et s’est amplifié au fil des débats parlementaires sur cette taxation des ultra-riches.

Les chiffres sont vertigineux : 13,8 milliards d’euros investis dans des contrats d’assurance-vie au Luxembourg en 2024, soit une hausse de 58 %. Un record historique. Parallèlement, de façon paradoxale, 78 % des citoyens français applaudissent l’idée de taxer les ultra-riches, comme si cela représentait une solution miracle pour redresser le pays. Le problème est que ces ultra-riches sont déjà partis, avant même le vote définitif de la taxe Zucman.

Il est important de résumer la situation en plusieurs actes. Lors de l’acte 1, la gauche a agité le chiffon rouge. Le 20 février 2025, l’Assemblée nationale a adopté en première lecture une proposition de loi visant à instaurer un impôt sur le patrimoine des ultra-riches. Gabriel Zucman, économiste emblématique de la gauche, a fourni les bases théoriques : une taxation minimale de 2 % sur les patrimoines supérieurs à 100 millions d’euros, visant environ 1.800 contribuables.

Le discours est bien rodé. Selon Gabriel Zucman, les ultra-riches ne paient que 26 % d’impôt, contre 52 % pour les Français moyens. Il faudrait donc, selon lui, rétablir la “justice fiscale”. Le chiffre de 6.800 foyers qui contribueraient enfin est alors évoqué. Cela est présenté comme une question de morale républicaine. Lors des réunions publiques, le message est bien reçu. Les sondages explosent. 78 % des Français sont favorables, avec un consensus transpartisan. Il y a 89 % d’approbation à gauche, 63 % à droite. La gauche triomphe dans les médias, les députés LFI paradent. Ils ont enfin le sentiment de taxer les riches. Mais un détail semble avoir été négligé. Les riches disposent d’un téléphone. Ils ont contacté leurs avocats fiscalistes et ont commencé à transférer leurs avoirs à l’étranger.

Lors de l’acte 2, les capitaux ont commencé à fuir avant même le vote du Sénat. Tandis que les députés débattent avec emphase, que les plateaux télé s’enflamment et que les tribunes se multiplient dans la presse, une opération discrète s’amorce. À une vitesse stupéfiante, la majorité des actifs n’est plus gérée en France, mais via des contrats d’assurance-vie au Luxembourg.

Le phénomène s’accélère à tel point que les courtiers n’ont même plus besoin de faire de publicité pour attirer les clients. Ce phénomène est inédit. La hausse de 58 % des investissements au Luxembourg est qualifiée de « folie » par plusieurs conseillers parisiens.

J’ai vu sur Internet des témoignages d’avocats fiscalistes suisses. Ils rappellent que de nombreux Français ont déménagé en Suisse entre 1980 et 2010, mais que le mouvement avait ralenti après l’élection d’Emmanuel Macron en 2017, car certains espéraient une amélioration. Aujourd’hui, le phénomène de Français qui s’installent en Suisse repart à la hausse.

Le 12 juin 2025, le Sénat a finalement rejeté la proposition de loi. Mais il est trop tard : les capitaux ont déjà fui.

L’acte 3 concerne le mécanisme de la prophétie auto-réalisatrice. La gauche voulait taxer les ultra-riches, faire rentrer des milliards dans les caisses de l’État, et rétablir la justice fiscale. Le résultat obtenu est que les ultra-riches ont transféré leurs actifs à l’étranger avant même le vote final. L’État français n’a strictement rien encaissé. La France a perdu des dizaines de milliards d’euros qui ne reviendront jamais. C’est ce qu’on appelle, d’un point de vue économique, une prophétie auto-réalisatrice. La simple annonce de la mesure a provoqué exactement ce qu’elle prétendait combattre, à savoir la fuite des capitaux.

Pourquoi ? Parce que les politiques qui souhaitaient faire appliquer cette taxe ont oublié que nous vivons dans un monde globalisé, où le capital est infiniment plus mobile que ne le supposent les théoriciens de la taxation. Les ultra-riches détiennent un patrimoine financier, constitué d’actions, de parts de sociétés, de contrats d’assurance-vie, etc. Tout cela peut être transféré en quelques clics de souris.

À l’inverse, ce n’est pas le cas de la classe moyenne, qui détient majoritairement de l’immobilier. Or, l’immobilier ne prend pas le train pour le Luxembourg ou la Suisse.

Tout cela reflète une instabilité chronique que la France connaît depuis juin 2024 avec des majorités fragiles, des gouvernements éphémères, des querelles budgétaires incessantes. Ce climat a créé un terreau fertile pour la défiance. Chaque épisode de turbulences politiques relance une vague d’investissements hors de France.

François Garçon : Pour l’heure, les capitaux français sont libres de circuler. Leur taxation dans les banques en France est connue, acceptée par les déposants. Les comptes souffrent deux prélèvements : le premier, sur les dépôts (un pour cent en moyenne, pour la fourchette haute dans les grandes banques) ; le second, sur les plus-values réalisées (un prélèvement forfaitaire unique de 30%). Au mieux, depuis la dissolution, au pire depuis François Hollande, tout incline à la méfiance quant à la politique fiscale d’un État dont, le moins que l’on puisse dire, est qu’il est mal géré. La progression inarrêtable du taux d’endettement public, l’incapacité de l’État à seulement freiner ses dépenses, l’agitation parlementaire où, aux extrêmes, deux groupes d’excités, ne jurent que par toujours plus d’État, plongent logiquement tous ceux dotés de raison et d’un compte bancaire dans un état de stress qui, je le crains, pourrait rapidement tourner à la panique.

Quels genres de profils sont concernés ? Quels types de patrimoines et de montants sont concernés par cet exil de capitaux et ce repli français vers la Suisse et le Luxembourg depuis le débat sur la taxe Zucman ?

Thomas Carbonnier : Il s’agit principalement de personnes aisées, mais pas nécessairement des ultra-riches. Aujourd’hui, vous et moi pourrions ouvrir un compte au Luxembourg sans disposer de millions d’euros. Ce n’était pas le cas auparavant. Cela s’est largement démocratisé.

Cependant, les personnes qui fuient à cause de la taxe Zucman sont, en réalité, plutôt fortunées. Ils n’appartiennent pas à la classe moyenne. De toute façon, celle-ci est « enfermée », en quelque sorte, dans un patrimoine immobilier souvent surtaxé. Il n’est pas possible de quitter aussi facilement la France avec de l’immobilier.

Il existe certaines subtilités juridiques permettant, par exemple, d’intégrer de l’immobilier français dans un contrat luxembourgeois. Mais dans la pratique, ce type de montage reste réservé à des personnes disposant de patrimoines très importants. Quand je parle de patrimoines très conséquents, je ne parle pas d’un million d’euros, mais plutôt de dix millions, voire plus. Il s’agit donc, très clairement, de personnes fortunées.

Est-ce que cette hausse des investissements et des placements français en Suisse et au Luxembourg est une tendance qui concerne de vrais riches (les très grandes fortunes) ou est-ce un effet de snobisme ou de crainte pour certains alors que ces personnes ne seraient, en réalité, pas concernées par une nouvelle imposition en cas d’application de la taxe Zucman en France ?

Thomas Carbonnier : Parmi les Français qui investissent, font des placements ou qui s’installent en Suisse et aux Luxembourg figurent des grandes fortunes. Ensuite, il y a effectivement une partie du haut de la classe moyenne qui peut être motivée à agir ainsi, mais pas nécessairement en raison de la taxe Zucman. Cela relève plutôt des conséquences potentielles des lois dites « Sapin II », qui permettent de bloquer l’épargne en France sur des contrats d’assurance-vie en cas de crise financière majeure. Cette législation n’existe pas au Luxembourg.

Il y a donc un certain nombre de personnes qui préfèrent investir dans un contrat qui rapporte peu mais qui permet de protéger son argent au Luxembourg. Des personnes qui disposent de 500.000 euros à placer préfèrent les mettre au Luxembourg, par crainte de l’instabilité en France.

La taxe Zucman et les débats autour de nouvelles impositions poussent-ils aujourd’hui de plus en plus de contribuables fortunés français ou d’entrepreneurs à transférer leurs capitaux en Suisse ou au Luxembourg ? La simple évocation d’une taxe comme celle proposée par Gabriel Zucman peut-elle réellement avoir des effets économiques et financiers concrets avec de tels mouvements, avant même toute mise en œuvre légale ?

François Garçon : La taxe Zucman c’est le verre de trop. Très pertinemment, une journaliste du Figaro faisait dernièrement valoir que la médication Zucman permettrait surtout à quelques universitaires de publier après la débâcle quelques articles très intéressants. Le pays, lui, aurait du mal à s’en remettre. Ce qui me paraît dément c’est, en matière fiscale, l’absence de curiosité pour ce que font les États voisins. On en revient toujours à la cécité française, à l’incroyable arrogance de ce petit pays qu’est la France à vouloir montrer le chemin au reste du monde. Une fois pour toutes, le reste du monde se contrefout de la France. Ailleurs, dans les banques suisses, luxembourgeoises, anglaises, irlandaises, on attend avec impatience les futures âneries commises par l’élite scolaire parisienne qui, si les fadas prennent les commandes du pays, provoquera les flux attendus : d’abord le départ des capitaux, puis des personnes physiques, enfin des sociétés. Ce qui n’est pas à exclure, compte-tenu des haines sociales, de ce « sans-culottisme » qui veut encore et toujours supprimer les riches, « pendre les aristocrates à la lanterne ». C’est en effet plus facile de piller ceux qui ont réussi – puisque la taxe s’étendrait à l’outil de travail – au nom de la « justice fiscale » que d’avoir des idées innovantes, trouver les capitaux pour les mettre en musique, rassembler des équipes, démarcher des clients.

L’ampleur des flux vers la Suisse et le Luxembourg depuis 2024 (+58 % pour les investissements dans l’assurance-vie au Luxembourg pour les clients français) traduit-elle, selon vous, un simple mouvement de précaution ou bien un pré-exil organisé, voire une défiance irréversible envers la fiscalité française et les menaces liées à la taxe Zucman ?

Thomas Carbonnier : Ce phénomène n’est pas tout à fait nouveau. Il faut se pencher sur l’histoire. La gauche souffre d’une forme d’amnésie sélective assez remarquable.

En France, nous avons eu l’ISF, pendant 35 ans, de 1989 à 2017, avec des échecs largement documentés. Des études de l’Institut Rexecode et de la Fondation IFRAP ont estimé la fuite des capitaux à l’étranger entre 143 et 200 milliards d’euros.

Un rapport interne de la DGFIP (Direction générale des finances publiques) montrait qu’entre 2002 et 2015, la France perdait en moyenne 2,38 milliards d’euros nets par an à cause de ces départs. Ce n’est donc pas un phénomène récent.

Une hausse de 60 % des départs de contribuables assujettis à l’ISF a été enregistrée entre 2010 et 2014, atteignant jusqu’à 900 départs par an certaines années.

Une analyse de Rexecode, présentée devant la Commission des Finances du Sénat en 2019 par Michel Didier, était très claire : un entrepreneur moyen, capable de créer entre 2 et 3 millions d’euros de richesse en dix ans, s’expatrie.

Ces départs – environ 900 entrepreneurs et cadres supérieurs par an – représentent une perte annuelle de 1,5 milliard d’euros de PIB. En 2017, le bilan était déjà accablant : 5 milliards d’euros de recettes fiscales avaient été collectés grâce à l’ISF, mais 45 milliards d’euros de PIB avaient été perdus. Cela signifie que, pour chaque euro récolté, neuf euros de richesse étaient détruits. Telle est la véritable catastrophe.

Il y avait eu un avertissement en 2022, avec le cas de la Norvège, souvent cité comme un exemple. Le gouvernement de centre gauche avait relevé l’impôt sur la fortune, de 1 % à 1,1 %. Cela semblait modeste, mais le résultat fut catastrophique. La mesure a rapporté 141 millions d’euros, mais entraîné une perte de 433 milliards d’euros en valeur d’actifs, avec une fuite de capitaux de 52 milliards d’euros vers la Suisse. Le coefficient de perte était très élevé. Pas de 1 à 9 comme en France, mais tout de même de 1 à 3. C’est toujours la même histoire. Et la gauche française connaît ces chiffres. Il faut cesser de prétendre que les dirigeants de gauche l’ignorent. Ils connaissent ces données mais ils votent malgré tout pour cette taxe. Ils veulent mettre en oeuvre la taxe Zucman.

C’est là que se pose la question d’un paradoxe démocratique. Le but est de taxer une minorité – 1 % de la population – avec le soutien enthousiaste des 99 % restants qui ne seront jamais concernés. C’est un fait étonnant. Cette taxe concerne très peu de personnes, peut-être 300.000 foyers au maximum seraient assujettis à la taxe Zucman, dont une bonne partie pourrait choisir de partir.

J’aimerais rappeler les propos de Frédéric Bastiat, un économiste français du XIXᵉ siècle : « Chaque classe sociale court vers l’État pour le supplier de prendre aux autres et de redistribuer. » Deux siècles plus tard, nous en sommes toujours là.

La gauche a bien compris qu’il suffisait de canaliser la colère populaire vers des mesures symboliques pour entretenir une base électorale suffisante. Peu importe que la mesure échoue, l’important est de pouvoir dire : « Nous avons essayé de taxer les riches. »

Il s’agit d’un théâtre politique de haute volée. Mais pendant ce spectacle, des milliards d’euros ont quitté le pays.

Est-ce une mission accomplie pour la gauche ? Si l’on retrace les faits, cette histoire est édifiante. Le 20 février 2025, l’Assemblée nationale adopte le texte en première lecture. La gauche triomphe et clame qu’elle va taxer les riches.

De mars à juin 2025, les capitaux fuient massivement : 13,8 milliards d’euros partent au Luxembourg, les flux vers la Suisse sont incessants.

Des conseillers en gestion de patrimoine n’ont même plus besoin de faire du marketing pour attirer vers le Luxembourg ou la Suisse.

Le 12 juin 2025, le Sénat rejette la proposition de loi, mais il est déjà trop tard. Les capitaux sont partis.

Bilan pour l’État en termes de recettes fiscales : zéro euro. Capitaux perdus : entre 15 et 20 milliards d’euros. Pertes de recettes fiscales récurrentes : entre 3 et 5 milliards d’euros par an. Coefficient de perte : de un pour cinq à un pour dix.

Pour la gauche, est-ce un échec ? Pas nécessairement. Car l’objectif n’était peut-être jamais de générer des recettes fiscales, mais plutôt de satisfaire une base électorale et une idéologie. Le message était clair. Le but était d’essayer de taxer les riches. S’il y a eu un échec, c’est la faute du Sénat de droite, des riches qui fuient, du capitalisme financier, selon la gauche. Et cela permet aussi de justifier une radicalisation accrue : « Regardez, ils fuient, il faut être encore plus sévère ». De ce point de vue, c’est peut-être une réussite totale. La gauche a réussi à mobiliser son électorat autour d’un combat moral. Elle a provoqué la fuite des capitaux qu’elle dénonçait, s’est posée en victime d’un système qui protège les riches, et a préparé le terrain pour des mesures encore plus radicales.

Pendant ce temps, la France s’appauvrit. Les classes moyennes paient. Les services publics se dégradent. Mais l’essentiel est sauf : la posture idéologique est intacte.

L’urgence, selon moi, est de retrouver un réalisme fiscal. La France a besoin de recettes fiscales, personne ne le conteste. Mais elle a également besoin de capitaux productifs, d’entrepreneurs qui investissent, de créateurs de richesses qui restent. La fiscalité punitive ne rapporte rien à l’État. Elle appauvrit le pays tout entier. Le coefficient de perte de l’ISF était de un pour neuf. Celui de la taxe Zucman s’annonce entre un pour cinq et un pour dix.

Les capitaux français, ceux qui peuvent fuir, ne demandent qu’une chose : de la stabilité et de la prévisibilité. En leur offrant de l’instabilité et des menaces, ils sont poussés inexorablement vers la sortie.

Il est temps d’accepter cette réalité. Dans un monde où le capital circule librement, la fiscalité patrimoniale excessive ne punit pas les riches. Elle appauvrit les nations qui l’adoptent, et frappe uniquement ceux qui ne peuvent pas fuir.

La Norvège en a fait les frais, et la France ferait bien d’en tirer les leçons avant qu’il ne soit trop tard. Mais je suis pessimiste. Reconnaître cet échec obligerait la gauche à renoncer à sa posture idéologique favorite : la taxation punitive des ultra-riches.

Et manifestement, cette posture justifie à ses yeux la perte de quelques milliards, voire de dizaines de milliards, de capitaux. Les promoteurs de la taxe Zucman ont atteint leur objectif : provoquer l’exil des capitaux français qu’ils prétendaient combattre. Mission accomplie. Reste à savoir qui paiera la facture. Et je vais vous révéler un secret : ce ne seront pas les ultra-riches. Ils sont déjà confortablement installés au Luxembourg et en Suisse.

François Garçon : Il n’y a pas de pré-exil « organisé ». Il y a une offre de services bancaires aux frontières de la France, très ancienne, et des capitaux français qui fuient la tonte annoncée. En Suisse, les banques recueillent des dépôts étrangers dès la fin du 19ème siècle, un mouvement qui s’accélère à partir de 1918, quand les possédants cherchent à éviter le ratissage fiscal qu’organisent des États en ruine. Le mouvement se poursuivra tout au long des années 1930 et, pour la même raison qu’en 1918, repartira de plus belle en 1945. Dans les années 1980 et pour se limiter à la France, les mouvements de sortie de capitaux s’expliquent par les propos haineux et vengeurs tenus par les présidents de la République contre la finance, l’argent qui pourrit tout, les « riches au-dessus de 4000 euros », etc. Les banquiers suisses doivent beaucoup à Mitterrand et à Hollande… L’un est l’autre mériteraient d’avoir leurs statuaires dans les halls d’entrée de toutes les banques étrangères.

A propos de la banque helvétique, je crois utile de préciser que les banquiers suisses me paraissent globalement assez incompétents. Ils ont certes à leur disposition des fonds considérables qui coulent naturellement vers leurs coffres, mais ils en font un usage globalement médiocre, sinon crapuleux. Le milieu bancaire suisse est constellé, à toutes les époques, de prêts douteux et de faillites frauduleuses. Faire l’inventaire des banques suisses ayant sombré me semble fastidieux. Il n’est que de rappeler quelques faillites spectaculaires ces dernières décennies : la Caisse d’Épargne et de prêt de Thoune en 1991, de la SBS en 1997, la crise de l’UBS en 2007 ou encore le Crédit Suisse, disparu en moins d’une semaine en 2023. Ces établissements étaient gérés par des voyous, restés impunis, partis avec des dizaines de millions de francs. L’État suisse, très libéral de tradition, a heureusement secouru les déposants avec, pour le Crédit Suisse, un prêt garanti de 109 milliards de francs. Guère plus performantes, les banques privées s’enorgueillissent d’avoir des « family offices », autrement dit d’être en mesure de trouver une place en crèche ou une loge à l’opéra de Genève à leurs clients, qui se font taxer un pour cent de leur dépôt pour prix de ce service…

Pensez-vous que le gouvernement Lecornu II soit en mesure de rétablir la confiance fiscale dans un contexte de coalition fragile et de pressions venant à la fois de la gauche et du RN ? Peut-on concilier justice fiscale et compétitivité économique sans provoquer de fuite de capitaux ?

François Garçon : Il est quand même dément d’entendre les Français réclamer davantage de « justice fiscale ». L’écrasement des écarts de revenus, du fait d’une politique de redistribution sans équivalent ailleurs dans les démocraties occidentales, est devenu une désincitation au travail. L’école, l’université, la médecine, tout ça est « gratuit ». Quand le coût de l’inscription en master à la Sorbonne passe de 254 à 260 euros/an, les étudiants se ruent dans la rue et manifestent au motif qu’il s’agit là d’une augmentation, à leurs yeux, « insupportable » sinon criminelle.

Donc, pour répondre à votre question, rien, dans ce qu’a annoncé Lecornu, ne laisse présager un apaisement social et donc fiscal. Les pressions des extrêmes sur le régime de retraite et les concessions obtenues par les jusqu’au-boutistes, montrent on ne peut plus clairement que les Français croient au père Noël, qu’ils ne sont toujours pas vaccinés contre le mensonge, la démagogie et les promesses bidons. Qu’ils s’obstinent à se croire le nombril du monde et qu’il leur revient donc de montrer aux autres peuples le chemin vers l’avenir radieux que promettent leurs chefs : Mélenchon, Le Pen, Faure, etc. L’avenir s’annonce donc assez sombre, en effet.

La perspective d’une mise de la France sous tutelle d’une autorité étrangère avec la spoliation des dépôts bancaires – qui, sans rire, peut affirmer que ça ne se produira pas ? – éclaire aussi la sortie des capitaux observée depuis plusieurs mois.

François Garçon – Historien, essayiste 

ATLANTICO

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