Selon les autorités, qui ont assuré que les forces de l’ordre étaient présentes en nombre, 25 supporteurs ont été blessés, dont cinq ont dû être hospitalisés, et 62 personnes arrêtées. Le Bureau central représentatif des Juifs néerlandais (Het Centraal Joods Overleg, CJO) a rapporté le témoignage de plusieurs victimes faisant état de la passivité de la police, et suggérant une attaque organisée, avec des complicités nombreuses. L’un d’eux a raconté que lorsqu’il a voulu repasser à son hôtel pour récupérer sa valise, des « groupes de jeunes l’attendaient devant l’hôtel ».
La responsabilité de la police néerlandaise
D’après le CJO, des réceptionnistes ont coopéré avec les émeutiers, en renseignant par exemple les numéros de chambre des supporteurs israéliens, dont certains auraient « été volés et frappés dans leur chambre ». L’attaque aurait-elle été commanditée par l’Iran en représailles aux frappes israéliennes ? Vendredi soir, la chaîne Telegram affiliée aux Gardiens de la révolution a revendiqué la responsabilité de l’attaque d’Amsterdam : « Aucun endroit au monde ne devrait être sûr pour les sionistes. »
Et pourtant l’Ajax, le club de foot de ma jeunesse à Amsterdam, était le club le plus « juif » des Pays-Bas, la ville où, à côté de Johan Cruyff, jouaient Bennie Muller et Sjaak Swart. Le club était dirigé par la famille Van Praag, et soutenu depuis les années 1930 par la masse des ouvriers juifs qui représentaient presque la moitié de la population de la ville. En 1945, il ne restait que 20 000 des 100 000 juifs d’Amsterdam qui furent déportés et assassinés à Auschwitz et Sobibor. Au total, 75 % des Juifs hollandais ont été exterminés, un « pourcentage » qui n’a été dépassé qu’en Pologne, où 90 % de la population juive a été tuée (contre 25 % en France).
C’est la police néerlandaise qui a fait le travail. Et elle seule : ce furent des policiers hollandais qui raflèrent les habitants du quartier juif, les forcèrent à monter dans les tramways hollandais puis les trains néerlandais qui allaient vers « l’Est ». Seuls 25 nazis allemands travaillaient pour l’Office central chargé de la déportation des Juifs des Pays-Bas. Tous les autres étaient hollandais. Chaque soir, pendant des mois, les policiers pénétraient dans le quartier juif, des listes de noms en main, et embarquaient hommes, femmes et enfants vers le lieu de mise à mort. Seuls les chiens et les chats furent sauvés, recueillis avec amour par la Société royale de protection des animaux, dont des volontaires accompagnaient les policiers lors de ces rafles.
Des centaines de familles juives étaient déjà mortes quand les fonctionnaires hollandais forçaient leurs portes, elles s’étaient suicidées au gaz, autour de la table de la cuisine. Les malades, eux, étaient emmenés en déportation par des ambulances municipales. Seul un policier d’Amsterdam a refusé de participer à cette chasse – un seul. Et aucun, parmi les centaines qui ont raflé les juifs d’Amsterdam entre 1942 et 1943, n’a été sanctionné après la guerre, ni écarté de la fonction publique.
« Nous devrions avoir honte »
Un vent mauvais souffle sur mon pays natal. Déjà, il y a deux semaines, des policiers d’Amsterdam, mobilisés comme partout en Europe depuis la terrible guerre de Gaza pour protéger les institutions juives de la ville (synagogues, monuments aux morts, écoles), ont refusé d’assurer leur service. Ces policiers ont invoqué « des raisons morales ». Les responsables de la police municipale d’Amsterdam ont toléré l’exercice de cette « clause de conscience », exprimant leur « compréhension » et modifiant la composition des équipes affectées à la protection des bâtiments et manifestations juives dans la ville. Jusqu’à ce que ce refus de servir sorte dans la presse, fasse scandale et que le gouvernement soit obligé de rappeler à l’ordre les fonctionnaires.
Malgré la vague de haine antisioniste – en réalité antijuive – qui a débuté le lendemain du 7 octobre 2023 et déferlé sur la ville d’Amsterdam, ses gares, ses universités, ses lycées, et les alentours même du stade Johan-Cruyff, la police municipale n’a pas surveillé la sortie du stade, et laissé le temps, jeudi soir, aux hordes haineuses qui les attendaient de lyncher des supporteurs israéliens, leur demandant « s’ils étaient juifs ». Et cela dans des rues depuis longtemps vidées de leurs habitants d’origine juive – ma famille, mes grands-parents, les centaines de leurs frères et sœurs, nièces et neveux, cousins et amis assassinés…
Tandis que les avions israéliens se relayent pour rapatrier les supporteurs du Maccabi, le roi des Pays-Bas, Wihlem Alexandrer, a fait part au président israélien Isaac Herzog de son « indignation profonde ». Il a ajouté : « Nous avons échoué à protéger les Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale, et ce soir, nous avons une nouvelle fois échoué. Nous devrions avoir honte. »
*Ludi Boeken est cinéaste. Il a notamment réalisé Marga, Dernière Séance à Bucarest et a produit Le Train de vie, de Radu Mihaileanu.
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