Juifs « conditionnels » : le projet qui effraie Tel-Aviv

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Juifs « conditionnels » : le projet qui effraie Tel-Aviv

À Jérusalem, où les minarets côtoient les coupoles orthodoxes dans un ballet séculaire, un vent de discorde souffle sur les institutions. Un projet de loi, porté par le ministère des Services religieux et les tribunaux rabbiniques, s’apprête à franchir la barre de la Knesset pour une lecture initiale. Son ambition ? Autoriser le Grand Rabbinat à plonger dans les archives familiales et les secrets intimes de n’importe quel citoyen israélien, pour vérifier son « statut juif » – sans que la personne concernée n’ait rien demandé. Fini le voile discret entre État laïc et autorité religieuse : cette mesure propulserait les sages de la Torah en enquêteurs officiels, effaçant une frontière sacrée depuis la fondation d’Israël en 1948.

Pour ses promoteurs, c’est une garde-fou salutaire. Dans un pays où les mariages civils sont un mirage et où la halakha – la loi juive traditionnelle – régit les unions orthodoxes, cette loi préserverait la « pureté » des lignages. Imaginez : un rabbin local, chargé des registres matrimoniaux, pourrait, d’un simple coup de tampon, lancer une enquête sur vos grands-parents, pour éviter un « mariage mixte » non conforme. Les partisans, issus de cercles ultra-orthodoxes influents, arguent que cela épargnerait des drames futurs, comme des unions invalides qui fracturent des familles. Mais les critiques y voient un cheval de Troie : un instrument d’intimidation qui transformerait des Juifs fiers en suspects permanents, des « Juifs sous condition » toujours prêts à justifier leur sang.

L’alarme est tirée par ITIM, centre de plaidoyer pour la vie juive, piloté par le rabbin Seth Farber, une voix modérée qui défend l’inclusion sans dogme rigide. « C’est une invitation à l’inquisition moderne », tonne-t-il, évoquant des citoyens lambda – un enseignant de Tel-Aviv, une mère de famille à Haïfa – sommés de produire des actes de naissance séculaires ou de subir des interrogatoires sur des ancêtres disparus. Actuellement, ces vérifications ne s’activent que sur demande, pour un mariage ou une conversion. La réforme inverse la charge : tout fonctionnaire rabbinique pourrait initier le processus, sous couvert de « prévention ». Et pour corser le tout, elle ressusciterait une pratique bannie en 2021 par la Cour suprême : interroger les proches, comme des frères ou des cousins, sous le sceau du soupçon familial. La Haute Cour avait alors statué que cela violait la vie privée, un droit fondamental. Désormais, les juges religieux pourraient à nouveau convoquer la tribu entière, « pour écarter les erreurs halakhiques ».

Les procédures actuelles, déjà un calvaire, servent d’avertissement. Près de 95 % des cas se soldent par un feu vert, mais le chemin est pavé d’humiliations : fouilles d’archives soviétiques incomplètes pour les 1 million d’immigrés ex-URSS, témoignages forcés sur des naissances illégitimes, ou quizzes sur la pratique religieuse. Pour ces olim – ces nouveaux arrivants qui ont fait gonfler la population juive de 20 % depuis 1990 –, c’est un retour de bâton : la Loi du Retour, qui octroie la citoyenneté à tout Juif ou descendant, pourrait-elle être minée ? Le texte prévoit une asymétrie sournoise : les refus de judaïté restent « internes » au Rabbinat, mais les validations positives filent vers les bureaux civils, potentiellement polluant le registre d’État. Des juristes comme Weigler, experts en droit constitutionnel, alertent : « Une fois adoptée, cette loi effacerait la ligne entre foi et État, rendant la judéité un privilège précaire. »

Farber, qui a aidé plus de 5 000 familles à naviguer ces méandres depuis 2008, y voit une trahison de l’esprit sioniste. « Israël est un refuge pour tous les Juifs, pas un tribunal éternel sur leur sang. Même la halakha prône la miséricorde, pas la suspicion. » Les opposants, de l’opposition laïque aux modérés religieux, craignent une centralisation du pouvoir rabbinique qui s’étendrait à la diaspora : des Américains ou Français, fiers de leur retour possible, pourraient se sentir scrutés à distance.

Cette polémique, qui agite les cafés de Jérusalem comme les forums en ligne, interroge l’équilibre fragile d’une démocratie mosaïque. Avec une population juive diverse – 45 % séfarades ou mizrahim, 30 % laïcs, 20 % ultra-orthodoxes –, Israël danse sur un fil entre tradition et modernité.

Au-delà des clivages, ce débat renforce la résilience d’Israël : un État qui ose affronter ses démons internes pour mieux unir ses citoyens. En protégeant la diversité juive sans imposer de chaînes, Tel-Aviv réaffirme son rôle de phare : un havre où l’identité est un droit, non une enquête perpétuelle, garantissant une société vibrante et inclusive.

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