Jakarta aspire à un rôle central à Gaza

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Jakarta aspire à un rôle central à Gaza

L’Indonésie se rêve garante de la paix à Gaza

Jakarta, longtemps cantonnée aux marges du dossier israélo-palestinien, se retrouve soudain au cœur du jeu. Après l’adoption au Conseil de sécurité d’une résolution américaine sur Gaza – 13 voix pour, aucune contre, deux abstentions de la Russie et de la Chine – l’Indonésie apparaît comme le candidat privilégié pour piloter, aux côtés des États-Unis, une force internationale de stabilisation et participer au nouveau « Conseil de paix » chargé de superviser la reconstruction de l’enclave. Pour un pays sans relations diplomatiques avec Israël, mais doté d’un poids démographique et symbolique considérable dans le monde musulman, le pari est aussi ambitieux que risqué.

La résolution onusienne entérine les grandes lignes du plan porté par Washington et soutenu par le président Donald Trump : démilitarisation progressive de Gaza, création d’une Force internationale de stabilisation (ISF) et mise en place d’un organe civil transitoire – le « Conseil de paix » – appelé à accompagner la reconstruction et, à terme, à céder la place à un gouvernement palestinien réformé. Le fait que Moscou et Pékin aient choisi de s’abstenir plutôt que d’opposer leur veto souligne un consensus minimal : mieux vaut qu’un acteur extérieur aux rivalités régionales prenne les rênes plutôt que laisser le vide actuel se prolonger.

Dans cette logique, l’Indonésie coche plusieurs cases. Quatrième pays le plus peuplé au monde, première nation musulmane par la démographie, Jakarta dispose d’un long historique de participation aux opérations de maintien de la paix de l’ONU, du Liban au Congo. Son absence de relations diplomatiques avec Israël, combinée à un soutien constant à la cause palestinienne, lui confère une légitimité rare auprès des opinions publiques arabes et musulmanes, tout en restant un partenaire acceptable pour Washington.

Le président Prabowo Subianto a saisi l’occasion pour projeter l’Indonésie au premier plan. Son ministre de la Défense, Sjafrie Sjamsoeddin, a annoncé que les forces armées avaient reçu l’ordre de préparer jusqu’à 20 000 soldats, avec un accent sur les capacités médicales et de génie civil : soigner les blessés, reconstruire des infrastructures, sécuriser l’acheminement de l’aide. Le Centre de maintien de la paix de l’armée indonésienne forme déjà du personnel en vue d’une future mission à Gaza, dans l’attente d’un mandat international clair.

Mais entre la diplomatie très médiatisée de Prabowo et le niveau réel de préparation, le décalage inquiète une partie des experts indonésiens. Des universitaires et analystes pointent le quasi-silence du débat intérieur sur une opération pourtant lourde de conséquences : peu de discussions parlementaires, peu de consultations visibles avec les planificateurs militaires, et quasiment aucun scénario détaillé rendu public. La politique étrangère du nouveau président repose largement sur des relations personnelles avec d’autres dirigeants, plus que sur une planification institutionnelle classique.

Les contraintes internes sont, elles, bien réelles. L’opinion publique indonésienne, à 87 % musulmane, perçoit majoritairement le conflit à travers le prisme des souffrances palestiniennes. La doctrine officielle – pas de normalisation avec Israël tant qu’un État palestinien indépendant n’existe pas – s’appuie sur un puissant imaginaire anticolonial inscrit dès le préambule de la Constitution de 1945. Le récent refus de délivrer des visas aux athlètes israéliens pour les Championnats du monde de gymnastique artistique à Jakarta illustre jusqu’où le gouvernement est prêt à aller pour ne pas heurter ce consensus national, quitte à s’exposer aux critiques des instances sportives internationales.

Sur le terrain, la mission qui attendrait des soldats indonésiens n’aurait rien d’un « classique » maintien de la paix. Gaza d’après-guerre reste un environnement fragmenté, où le Hamas, le Jihad islamique, d’autres factions armées et des structures claniques détiennent chacun une part du pouvoir et des armes. L’objectif affiché de désarmer le Hamas se rapproche davantage d’une opération d’imposition de la paix que d’une simple surveillance de cessez-le-feu. Les troupes indonésiennes pourraient se retrouver prises entre les forces israéliennes, des groupes palestiniens rivaux et des acteurs occidentaux, dans un espace urbain dévasté et surarmé. Peu de pays se montrent réellement enthousiastes à l’idée d’endosser un tel mandat.

Les réactions palestiniennes mettent en lumière la fragilité de la position de Jakarta. Le Hamas rejette le plan onusien, qu’il assimile à une tutelle étrangère maquillée, tandis que l’Autorité palestinienne y voit un « premier pas » sans cacher ses interrogations sur la gouvernance future de Gaza. Dans la région, plusieurs capitales arabes soutiennent en principe une mission internationale, mais refusent d’y envoyer leurs propres troupes de peur d’être perçues comme les supplétifs d’Israël.

Pour Israël et les États-Unis, la clé réside dans la structure de commandement : Israël pourrait accepter une présence militaire indonésienne, mais seulement sous un leadership stratégique américain clairement défini, avec des lignes de coordination sécuritaire précises. De son côté, l’Indonésie espère mobiliser non seulement des soldats, mais aussi son puissant réseau d’ONG et d’institutions religieuses promotrices d’un « Islam Nusantara » modéré, pour proposer à Gaza une alternative à l’idéologie islamiste du Hamas.

Reste à savoir si cette combinaison de soft power religieux, de bonne volonté diplomatique et de moyens militaires limités suffira à transformer Jakarta en arbitre crédible d’un Gaza d’après-guerre, ou si l’Indonésie découvrira, à ses dépens, que sa marge de manœuvre est beaucoup plus étroite que ne le laissent croire les discours triomphants.

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