Jacques Bendelac: « Une reprise des relations économiques avec Israël sera surtout favorable aux entreprises turques ».

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Les intérêts de la Turquie dans l’accord de cessez-le-feu à Gaza sont multiples ; une reprise des relations économiques avec Israël sera surtout favorable aux entreprises turques, privées de leurs débouchés israéliens depuis plus d’un an.

La guerre commerciale n’est pas toujours un outil politique efficace. L’exemple le plus impressionnant est l’interdiction par la Turquie d’exporter vers Israël, décision prise au début de la guerre à Gaza mais qui a été rapidement contournée par d’autres pays.

  • En avril 2024, le président turc Erdogan annonçait l’interdiction d’exporter 54 marchandises vers Israël, principalement des matières premières de construction comme le ciment et des produits métalliques.
  • Un mois plus tard, l’interdiction a été étendue et la Turquie a bloqué tout son commerce avec Israël.
  • En août 2025, le président turc déclarait officiellement la rupture totale des relations économiques avec Israël.

Cinquième fournisseur

Le choc de l’embargo turc fut à la mesure du commerce entre les deux pays. Les chiffres officiels indiquent qu’en 2022, la Turquie était le cinquième fournisseur de marchandises d’Israël pour un montant de 6 milliards de dollars ; dans l’autre sens, la Turquie achetait aux entreprises israéliennes pour 2 milliards de dollars.

En 2025 (de janvier à août), la Turquie ne fournissait plus que 600 millions de dollars de marchandises à Israël ; comparés aux 6 milliards d’avant-guerre, les importations israéliennes de la Turquie ont bel et bien été réduites à presque rien.

Au total, la rupture des relations bilatérales a fait perdre aux deux pays pour 8 milliards de dollars d’échanges commerciaux avant-guerre, un manque-à-gagner particulièrement important pour le secteur de la construction en Israël qui achetait à la Turquie presque la moitié de ses matières premières (ciment, marbre, acier, etc.).

Boomerang commercial

Seulement voilà : la rupture des relations commerciales entre les deux pays aura eu un effet boomerang sur la Turquie. L’interdiction d’exportation vers Israël a été contournée de manière créative par des entrepreneurs des deux bords, alors que la concurrence a attiré de nouveaux acteurs.

Il s’avère que si la Turquie refuse de vendre à Israël, de nombreux pays se sont empressés de la remplacer. Par exemple :

  • Les importations israéliennes en provenance de Thaïlande entre janvier et août 2025 se sont élevées à 958 millions de dollars, contre 377 millions de dollars à la même période de 2024, soit un bond de plus du double.
  • De même, le bond des importations israéliennes en provenance des pays voisins a été particulièrement fort depuis début 2025, comme la Jordanie (+55 %) et l’Égypte (+33 %).
  • Parmi les fournisseurs plus lointains, on remarquera que les importations de la Chine ont fait un bond de 22 % et celles de l’Inde de 10 %.
  • Même l’Autorité palestinienne à Ramallah qui, d’ordinaire, n’achète pas de marchandises à la Turquie, s’est mise rapidement à se fournir à Ankara pour plusieurs millions de dollars par an ; des marchandises qui, en toute vraisemblance, sont ensuite transférées vers Israël.

Souk d’Ankara

Autrement dit, le retour de la Turquie au Moyen-Orient profitera d’abord à l’économie turque qui retrouvera ses débouchés commerciaux et fournisseurs (notamment de produits chimiques) en Israël ; sans compter la reconstruction de Gaza qui pourrait fournir de nouveaux marchés aux entreprises turques.

Quant à l’Israélien, il se réjouira surtout de la reprise des vols de la Turkish Airlines qui le ramèneront sur ses plages préférées de la Méditerranée et dans le souk d’Ankara.

L’exemple de la Turquie est bien la preuve que les restrictions commerciales ne sont pas un outil efficace, même en période de guerre. Les entrepreneurs et importateurs trouvent toujours des moyens originaux pour contourner les entraves commerciales et continuer de commercer avec l’étranger.

En définitive, les nécessités économiques finissent par l’emporter sur des décisions politiques inappropriées ; surtout en Israël, où l’économie entre par la fenêtre quand les portes se ferment…

à propos de l’auteur

Jacques Bendelac est économiste et chercheur en sciences sociales à Jérusalem où il est installé depuis 1983. Il possède un doctorat en sciences économiques de l’Université de Paris. Il a enseigné l’économie à l’Institut supérieur de Technologie de Jérusalem de 1994 à 1998, à l’Université Hébraïque de Jérusalem de 2002 à 2005 et au Collège universitaire de Netanya de 2012 à 2020. Il est l’auteur de nombreux ouvrages et articles consacrés à Israël et aux relations israélo-palestiniennes. Il est notamment l’auteur de « Les Arabes d’Israël » (Autrement, 2008), « Israël-Palestine : demain, deux Etats partenaires ? » (Armand Colin, 2012), « Les Israéliens, hypercréatifs ! » (avec Mati Ben-Avraham, Ateliers Henry Dougier, 2015) et « Israël, mode d’emploi » (Editions Plein Jour, 2018). Dernier ouvrage paru : « Les Années Netanyahou, le grand virage d’Israël » (L’Harmattan, 2022). Régulièrement, il commente l’actualité économique au Proche-Orient dans les médias français et israéliens.

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