Jacques Bendelac: « Les moteurs traditionnels de l’économie israélienne se sont carrément éteints ».

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Durant plus de sept décennies d’existence, l’économie israélienne a réussi à dépasser le handicap des conflits militaires qui ont marqué son histoire, pour connaître un développement intensif et durable.

En franchissant la barre des 10 millions d’habitants en septembre 2024, Israël a renforcé le sentiment de fierté de ses citoyens au vu des réussites de leur pays : l’ingéniosité de ses inventeurs à l’origine de la nation start-up, les innovations technologiques utilisées dans le monde entier, la puissance de son appareil industriel, un système bancaire stable et une monnaie forte, sont autant de facteurs qui ont permis à son économie de rebondir après chaque crise – géopolitique, financière, militaire ou sanitaire. Quant au niveau de vie des Israéliens, il n’a cessé de se rapprocher de la moyenne des pays occidentaux ; en 2023, le revenu national par tête en parité des pouvoirs d’achat se montait à 45 127 dollars, soit 92 % de la moyenne des 38 pays de l’Organisation de Coopération et de Développement économiques (OCDE).

Les performances rapides de l’économie israélienne n’auraient pas été au rendez-vous si le régime politique n’avait pas été conçu comme une démocratie parlementaire, même fragile et imparfaite.

Récemment, les relations entre démocratie et prospérité ont été établies par trois chercheurs (Daron Acemoglu, Simon Johnson et James Robinson) qui se sont vus décerner le prix Nobel d’économie 2024 pour leurs travaux sur les différences de prospérité entre les nations ; ils ont démontré que les sociétés où l’Etat de droit est défaillant et où les institutions exploitent la population ne génèrent ni croissance ni changement positif.

Version israélienne

Israël confirme la justesse de la théorie des derniers Nobels d’économie ; selon la version israélienne, c’est bien la démocratie qui a garanti la réussite de l’économie d’Israël, du moins jusqu’au retour de Benyamin Netanyahou au pouvoir en décembre 2022. La remise en cause de l’Etat de droit à partir de janvier 2023 et les conflits en cours au Proche-Orient depuis octobre 2023 exercent une influence majeure et négative sur l’activité économique.

En lançant une réforme des institutions, le gouvernement Netanyahou entendait fragiliser le système judiciaire par toute une série de mesures visant à affaiblir les deux principaux contre-pouvoirs, tout en s’assurant qu’ils émettent des décisions en sa faveur : la Cour suprême et le conseiller juridique du gouvernement (qui fait aussi office de procureur général). Rapidement, les attaques de la coalition gouvernementale contre l’Etat de droit s’étendront à l’indépendance des juges (qui seront dorénavant nommés par les hommes politiques) et aux citoyens dont la loyauté au gouvernement est remise en cause parce qu’ils manifestent dans les rues leur opposition à la réforme.

La guerre déclenchée après le 7 octobre 2023 n’a pas arrêté la réforme lancée quelques mois plus tôt, au contraire ; après une brève pause, le gouvernement Netanyahou relancera de plus belle son offensive contre les institutions qui garantissent une démocratie libérale comme les médias, les universités et les ONG. Dorénavant, la place de la religion devient prépondérante, notamment avec de fortes subventions publiques aux juifs orthodoxes qui ne travaillent pas et la dispense du service militaire aux étudiants talmudiques. Pour survivre politiquement à une guerre qui se prolonge et à son procès en cours pour corruption, Netanyahou décidera de limoger les responsables institutionnels qui le gênent dans le déroulement du conflit, notamment la conseillère juridique et le chef du renseignement intérieur.

L’activité économique au ralenti

Dans le contexte actuel de guerre et de contestation populaire, les répercussions économiques de la réforme judiciaire ne se sont pas fait attendre. En remettant en cause les fondements de la démocratie libérale, le gouvernement Netanyahou affaiblit des institutions pourtant indispensables à une économie ouverte, comme les droits de propriété, l’autonomie des juges, la liberté d’expression, l’indépendance de la banque centrale, des fonctionnaires apolitiques, etc. Autant de mesures qui rapprochent Israël du populisme illibéral pratiqué dans des pays comme la Hongrie et qui ont inquiété les investisseurs et agences de notation, fermé les débouchés extérieurs et accéléré la fuite des cerveaux.

L’arrêt de l’activité économique n’est plus une menace, c’est une réalité. Israël vient de traverser les deux plus mauvaises années consécutives de son histoire : la croissance du PIB s’est établie à 1,8 % en 2023 et 0,9 % en 2024, soit une contraction du produit par habitant de 0,1 % et 0,5 % respectivement. Les moteurs traditionnels de l’économie israélienne se sont carrément éteints : les investissements en capital fixe ont chuté de 6,1 % en 2024 après une baisse de 1,8 % en 2023, alors que les exportations de biens et services ont reculé de 1,1 % en 2023 et de 5,6 % en 2024. Quant aux investissements directs étrangers en Israël, ils ont chuté de 30 % en deux ans, passant de 23 milliards de dollars en 2022 à 16 milliards en 2024.

L’augmentation du volume de migration négative est une des autres retombées significatives de la guerre actuelle sur la société israélienne. En 2024, 82 700 Israéliens ont quitté le pays contre 23 800 citoyens qui sont revenus. Israël a donc perdu 58 900 habitants uniquement par le biais des migrations vers des pays plus accueillants. Les expatriés actuels se caractérisent par un niveau socio-économique et éducatif plus élevé que la moyenne nationale ; la fuite des cerveaux est préjudiciable à l’économie et elle est aussi un facteur d’appauvrissement sociétal.

Les conflits en cours au Proche-Orient continueront d’exercer une influence majeure sur les perspectives de l’économie israélienne ; la poursuite de l’état de guerre et l’accélération de la réforme des institutions ralentiront encore l’activité économique en 2025. Dorénavant, des réformes structurelles seront nécessaires pour remettre l’économie sur les rails de la croissance et améliorer durablement les niveaux de vie. Quant à la préservation de l’Etat de droit, elle devient indispensable au maintien de solides performances économiques d’Israël et à la prospérité de sa population.

BIO EXPRESS

Jacques Bendelac, docteur en économie, est chercheur en sciences sociales à Jérusalem. Il est l’auteur de nombreux essais, dont « les Années Netanyahou, le grand virage d’Israël » (Editions l’Harmattan, 2022).

Cet article est une tribune, rédigée par un auteur extérieur au journal et dont le point de vue n’engage pas la rédaction.

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