C’est l’histoire d’un président qui depuis le 7 octobre dernier n’a pas trouvé les bons gestes ni la bonne position pour parler de l’antisémitisme. Et qui, comme dans les sketches à catastrophes, n’a cessé d’aggraver les choses en tentant de rafistoler ses erreurs. Reprenons du début. Depuis qu’il y a deux mois le Hamas a commis un pogrom en Israël, la France a enregistré une hausse inédite des actes antisémites sur son territoire. En trois semaines, ces derniers ont dépassé le nombre d’actes décomptés pour toute l’année 2022. La bascule est palpable. « Pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale, beaucoup de Français juifs ont peur au point de se cacher », s’alarmait récemment Elisabeth Badinter en Une de l’Express. Depuis le 7 octobre, en effet, beaucoup de Français juifs enlèvent leur nom des boîtes aux lettres, se retirent des applications commerçantes, font « profil bas », par peur des insultes, des menaces, voire pire.
La France peut s’enorgueillir d’avoir été la première (et l’une des seules) nations à organiser une marche pour s’émouvoir de cet essor mondial de la haine antisémite. Dimanche 12 novembre, près 180 000 citoyens se sont mobilisés dans plusieurs villes du pays, dont 105 000 à Paris. Ceux qui ont défilé ont pu voir des cortèges émaillés de drapeaux bleu-blanc-rouge, et entendre, ici ou là, une Marseillaise entonnée dans un élan spontané de fraternité républicaine : c’était une manifestation dans la plus pure tradition de l’universalisme français. Le président n’en était pas, il avait fait valoir que son rôle ne consistait pas à manifester mais à agir. Dont acte. Il aurait dû s’en tenir là.
Car les phrases qu’il a ajoutées quelques jours plus tard, pour faire taire les critiques ont interloqué nombre de Français : revenant sur sa non-participation à la marche du 12, Emmanuel Macron a bricolé, depuis la Suisse où il était en déplacement, quelques formules confuses. Dont une sur le fait que « protéger les Français de confession juive, ça n’(était) pas mettre au pilori les Français de confession musulmane »… Comme si défiler pour exprimer sa solidarité envers les premiers constituait une trahison ou une provocation envers les seconds. Plus communautariste, tu meurs…
Mais le pire était encore à venir : dans les colonnes de L’Express, on apprenait que l’animateur radio communautariste Yassine Bellatar (condamné pénalement pour menaces de mort) avait été reçu à l’Élysée, quelques jours avant la marche, par des proches conseillers d’Emmanuel Macron, pour donner son avis sur la situation. « Il est un thermomètre, une personne-ressource, expliquait l’un des participants à cet échange. Il fait partie de ces sociologues opportunistes qui peuvent alerter sur l’état d’esprit de certaines parties de la société. » L’affaire a légitimement provoqué un tollé. Notamment parmi les Français juifs, qui n’ont pas compris qu’un tel triste sire puisse avoir son mot à souffler à l’oreille présidentielle sur des questions liées à l’antisémitisme.
Est-ce pour tenter de réparer ? Chose inédite, jeudi 7 décembre, Emmanuel Macron organisait l’allumage de la première bougie de Hanouka en présence du grand rabbin Haïm Korsia dans le Palais de l’Élysée. Que dire ? « Caramba, encore raté », comme dans les bons Hergé. Le président ne le comprend-il pas ? Contre l’antisémitisme, les Français juifs ont besoin de République, pas de Hanouka à l’Élysée. En offrant l’abri d’une identité commune – la citoyenneté française -, l’universalisme républicain et la laïcité constituent un bouclier contre les haines identitaires. Ils permettent aux Français juifs, comme à d’autres, de n’être pas renvoyés à leur statut de minorité. Et donc, de ne pas avoir à dépendre de la bienveillance du plus grand nombre. Et le président doit être le garant de ce bouclier-là.
La République n’est pas censée reconnaître, ni accueillir, ni consoler les cultes ; elle protège ses citoyens. Si nous perdons de vue cette spécificité-là, alors tous les cierges et autres bougies ne suffiront pas à lutter contre l’obscurité qui monte.
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