Haim Rabinowitch de la faculté d’agriculture de Rehovot à l’origine d’une « révolution rouge ».

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Le 28 septembre 1820, à Salem, New Jersey (Etats-Unis), une foule de plusieurs milliers de personnes s’est assemblée sur la place principale. Cinq fanfares de pompiers jouent une marche funèbre. Le colonel Robert Gibbon Johnson apparaît sur le perron de la mairie, avec à la main un panier de tomates. Le colonel a annoncé qu’il allait ingérer le fruit de cette plante ornementale, interdit à la consommation car l’Académie considère qu’il provoque appendicites et cancers de l’estomac – même si le président Thomas Jefferson semble l’avoir servi à sa table. La foule est venue assister à ce suicide annoncé. Le colonel mange son panier sans trépasser.

« Et moins de deux siècles plus tard, le marché mondial de la tomate est presque équivalent à celui de la pomme de terre ! », s’exclame Haim Rabinowitch. Récipiendaire à Jérusalem, du prix de l’innovation Kaye pour sa contribution à l’amélioration de légumineuses et de la tomate, ce chercheur de l’Université hébraïque de Jérusalem est intarissable sur l’histoire, ancienne et actuelle, de la « pomme d’or » rapportée du Mexique en Europe en 1560 par les conquistadors.

Il raconte les visions érotogènes suscitées par ce que les Français avaient nommé « pomme d’amour », sans doute engendrées par les alcaloïdes présents dans le fruit. Il rappelle les illustrations des XVIe et XVIIe siècles montrant des humains changés en loups après avoir ingéré, les nuits de pleine lune, ce fruit défendu parfois appelé en Allemagne « la pêche des loups ».

Mais si le colonel Johnson a beaucoup fait pour réhabiliter la tomate maléfique, Haim Rabinowitch et ses collègues de la faculté d’agriculture de Rehovot, dépendant de l’Université hébraïque de Jérusalem, ont été à l’origine d’une « révolution rouge » dans sa production au cours des dernières décennies. Et ils continuent à croiser des milliers de variétés chaque année pour améliorer les rendements. « Notre objectif est d’atteindre un millier de tonnes par hectare et par an », indique le chercheur septuagénaire, précisant que le niveau actuel est de 800 tonnes en France. « Il était seulement de 15 tonnes quand j’ai commencé », se souvient Haim Rabinowitch.

Cette révolution n’a bien sûr pas eu lieu dans un seul pays. Les Etats-Unis et les Pays-Bas ont une grande tradition de sélection de variétés de plus en plus productives, et la France compte une industrie semencière elle aussi très active – la Montfavet de 1963 de l’INRA est toujours vendue chez les pépiniéristes. Mais l’équipe constituée à l’origine autour de Nachum Kedar, âgé aujourd’hui de 91 ans, a su faire la différence à plusieurs reprises.

« Dans les pays chauds, la tomate traditionnelle ne conserve sa fermeté qu’un ou deux jours après mûrissement, ce qui contraint à récolter et à vendre très rapidement, avec un circuit commercial très court », rappelle Haim Rabinowitch. La solution a d’abord été de sélectionner des fruits plus fermes, mais ligneux, qui ne flattent guère le palais, donc. Puis deux plants mutants sont apparus, l’un au début des années 1960 au Canada, l’autre en Californie, quelques années plus tard, qui produisaient des tomates vertes, ne mûrissant pas. Les gènes rin et nor devinrent des curiosités de laboratoire.

« Les scientifiques considéraient que ces deux gènes n’étaient pas exploitables hors du domaine de la recherche, se souvient Haim Rabinowitch. Nous avons voulu tester ce dogme. » « L’intuition de Nachum Kedar était que ces gènes ne fonctionnent pas « tout seuls », mais qu’ils s’expriment dans un environnement génétique particulier », résume Yonathan Elkind qui, dans les années 1970, a fait sa thèse sur le sujet.

Trouver le juste milieu a nécessité des milliers de croisements pour obtenir des hybrides longue conservation qui aient les qualités commerciales et agronomiques requises. Ces efforts conduiront à l’obtention en 1987 de Daniela, une variété qui a depuis conquis la planète – et fait parfois figure de symbole-repoussoir d’une agriculture mondialisée.

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