Guerre en Ukraine : L’Europe et les Etats-Unis face à une pénurie explosive de TNT

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Le temps du boom du TNT semble bien loin. L’offre mondiale de trinitrotoluène, autrefois particulièrement abondante, s’assèche en effet depuis 2022 et l’invasion russe de l’Ukraine. Aux Etats-Unis comme en Europe, les stocks fondent, les projets d’usines s’amoncellent… et les chantiers militaires comme civils risquent de ralentir. Vendu à seulement 1 euro le kilo il y a quelques décennies, le TNT a convaincu par-delà les frontières. Mais désormais, donc, il souffre d’une pénurie mondiale.

« La principale raison du déclin massif du TNT est la production d’un sous-produit cancérigène, mutagène et toxique, appelé « eau rouge ». Elle est issue du procédé de purification, principalement utilisé dans la synthèse du TNT. Cette « eau rouge » doit être traitée avant son rejet, ce qui est long et/ou coûteux », explique Lukas Bauer, spécialiste du trinitrotoluène à l’Université Louis-et-Maximilien de Munich.

Cet enjeu environnemental a entraîné la fermeture des dernières usines américaines dans les années 1980 ainsi que de nombreuses installations européennes. Sur le Vieux continent, seule une usine subsiste : Nitro-Chem, située à Bydgoszcz, en Pologne. « L’achat de TNT auprès d’autres sources, soumises à des réglementations moins strictes, est devenu beaucoup plus économique », souligne Lukas Bauer. Résultat : les deux rives de l’Atlantique se sont reposées sur des fournisseurs étrangers, notamment en Chine, mais aussi en Russie ou en Ukraine.

Des ponts aux obus d’artilleries

Pour nombre d’entre nous, cet explosif évoque les bâtons de dynamite symboliques des westerns… Ou les caisses explosives de Vil Coyote, tentant désespérément de rattraper Bip Bip dans les Looney Tunes. Rien de bien actuel, donc. Pourtant, le trinitrotoluène « est toujours utilisé dans les explosifs commerciaux », explique la chimiste britannique spécialiste des explosifs Jackie Akhavan. Outre-Atlantique, de petites quantités de TNT servent ainsi de détonateur pour déclencher les charges de nitrate d’ammonium dans les carrières. Sans lui, les routes, les ponts ou encore les bâtiments voient leurs coûts grimper.

En Europe, l’usage est principalement militaire. Le TNT est utilisé « pour fabriquer des obus d’artillerie, des bombes, des mines ou des grenades », énumère Lukas Bauer. Il est le principal explosif des obus d’artillerie de 155 mm, les plus courants. Malgré son air suranné, ce matériau reste donc massivement utilisé. Il « peut être fondu puis coulé dans un moule, où il durcit et prend la forme souhaitée. C’est une propriété très avantageuse que peu d’autres matériaux énergétiques (et encore moins de matériaux aussi bon marché et faciles à produire) partagent […] De nombreuses compositions sont utilisées depuis des décennies, comme la Composition B, l’Amatol ou le Torpex », note Lukas Bauer.

Un goulet d’étranglement

Or, depuis l’invasion russe en Ukraine, l’apport de TNT s’est tari tandis que les besoins ont, eux, explosé. D’après le National Security Journal, la Russie et la Chine ont cessé d’exporter du trinitrotoluène vers les Etats-Unis. L’Ukraine a bien entendu tourné sa production vers ses propres besoins, démultipliés par l’invasion russe. La Pologne, quant à elle, a décidé d’exporter massivement vers Kiev pour soutenir sa défense. Une situation qui provoque un goulet d’étranglement alors que l’UE s’est fixé un objectif de deux millions d’obus produits d’ici 2025, loin derrière les cadences russes, estimées à 3,6 millions par an.

« L’Europe dispose d’une capacité de production très limitée avec Nitro-Chem », confirme auprès d’Euractiv Romain de Calbiac, spécialiste des industries de défense. Heureusement, « le TNT est facilement recyclable, ce qui permet à certains pays de récupérer cet explosif des anciens obus et de le réutiliser », explique Jackie Akhavan. Avant la guerre, le Pentagone déclassait certaines de ses munitions, leur offrant une seconde vie dans le domaine commercial, explique le New York Times. L’armée américaine conserve désormais ses anciennes armes afin de prévenir tout affaiblissement de ses capacités de défense.

Une relance à rebours

Inquiets, les Occidentaux ont relancé des projets liés au TNT. En novembre 2024, l’armée américaine a attribué un contrat de 435 millions de dollars pour construire une usine de production dans l’ouest du Kentucky. Sur le continent européen, la Finlande, particulièrement angoissée par sa proximité géographique avec la Russie, a lancé un projet d’usine de trinitrotoluène à Pori. Ce « projet crucial pour la sécurité d’approvisionnement militaire de la Finlande et de l’Europe dans son ensemble », selon le ministre de la Défense, Antti Häkkänen, doit coûter 200 millions d’euros.

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En parallèle, la Suède a levé plusieurs millions pour lancer la construction d’un nouveau site de production de TNT, et la Grèce réactive son usine historique de Lavrio, avec le soutien de l’Union européenne. Mais ces projets ne sont pas attendus avant 2027 au plus tôt. « Si la guerre en Ukraine devait se poursuivre, voire s’aggraver, davantage d’usines seraient peut-être nécessaires », glisse Lukas Bauer. En attendant, les capacités occidentales font pâle figure face à celles de Moscou, qui produirait plus de 4,5 millions d’obus par an, selon le renseignement extérieur estonien.

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