Depuis l’invasion par la Russie en février 2022, l’Ukraine s’est non seulement transformée en champ de bataille mais aussi en véritable champ de mines. Et la dissémination de ces engins explosifs qui, à la fin du conflit, sont extrêmement meurtriers pour les civils, n’est pas près de cesser. Mercredi dernier, Washington a annoncé la décision de Joe Biden de livrer des mines antipersonnel à l’Ukraine. L’objectif du président américain étant de soutenir au maximum Kiev avant l’arrivée de Donald Trump au pouvoir.
Mais cette décision a provoqué une polémique, notamment du côté des associations de défense des droits humains qui considèrent les mines comme un fléau pour les civils. D’après l’Observatoire des mines, en 2023, 84 % des victimes recensées étaient civiles et, parmi elles, plus d’un tiers était des enfants. Les Etats-Unis se défendent en invoquant d’abord la situation militaire et l’urgence de freiner l’avancée russe mais aussi en assurant que ces mines sont « non persistantes ». C’est-à-dire qu’elles sont équipées d’un dispositif d’autodestruction ou d’autodésactivation.
Des mines « stockées à la va-vite » ?
« Une mine non persistante peut être réglée pour redevenir inerte après un certain temps, probablement en dissociant le mécanisme de mise à feu de l’explosif », explique Léo Péria-Peigné, spécialiste de l’armement. L’ancien général français Vincent Desportes ajoute qu’il peut s’agir de « piles qui s’usent ou d’une durée de vie avec un chronomètre ». Lorsque la partie mécanique et la partie explosive sont dissociées, « elle n’explosera pas si vous marchez dessus une fois désactivée mais contient toujours une quantité d’explosif qui peut réagir si vous tirez dessus ou si vous la mettez au contact d’une source de chaleur », note Léo Péria-Peigné.
D’après Mary Wareham, de l’ONG Human right watch, interrogée par l’AFP, les mines livrées par les Etats-Unis sont « des mines obsolètes encore dans les stocks américains ». Washington a, en effet, annoncé ne plus en produire en 1997. Officiellement donc, les mines que l’Ukraine va recevoir sont donc vieilles d’une trentaine d’années. Or, « si elles sont vieilles, c’est encore plus dangereux », glisse le général Vincent Desportes qui précise que les mines sont des objets « très rustiques » qui peuvent parfois être « stockés à la va-vite car ce n’est pas cher du tout ».
Des défaillances fréquentes
Mais les Etats-Unis n’ont pas signé la convention d’Ottawa sur l’interdiction des mines antipersonnel, rappelle le général qui estime qu’il est donc « probable » que le pays en produise encore. Léo Péria-Peigné assure de son côté que, même si les mines sont peu chères, il est fort probable qu’elles aient été correctement stockées par les Etats-Unis. « les forces américaines ont une culture du stock qui, contrairement aux forces russes, n’a pas pâti des très fortes restrictions budgétaires des années 1990. Il est en outre d’autant plus important de stocker correctement des systèmes explosifs qui peuvent, en cas de dysfonctionnement, provoquer une réaction en chaîne catastrophique. »
Stockage correct ou non, les défaillances sont fréquentes dans le domaine de l’armement. « Régulièrement, les armées testent les munitions et jettent des stocks entiers à cause de l’obsolescence », rappelle le général Vincent Desportes. En Ukraine, de nombreux obus et autres missiles ont touché terre sans exploser et constituent un véritable risque pour les civils. Contrairement aux mines dont le processus de désactivation est accessible partout en ligne, ces explosifs ne sont pas faits pour être désactivés.
Un « océan de mines »
« Il y a évidemment une part de risque, souligne le général Vincent Desportes. Ce n’est pas neutre pour l’Ukraine d’installer ces mines, on sait qu’après la Première Guerre mondiale en France, les obus non explosés ont tué un nombre considérable de civils et le déminage a pris des années. » « La question de savoir ou non si ces mines sont persistantes est secondaire », estime Léo Péria-Peigné mais il s’agirait au mieux de quelques dizaines de milliers d’engins, rappelle-t-il. « Une goutte d’eau dans un océan de mines et de munitions non explosées dispersées en Ukraine » en somme.
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A la suite de l’invasion russe, l’Ukraine est devenu le pays le plus miné au monde avec plus de 150.000 km² pollué par les mines, soit une surface similaire à celle de la Tunisie. Mais « voir les choses sous l’angle du déminage, qui arrivera dans un second temps, c’est faire abstraction du péril immédiat et d’un ennemi qui n’hésite pas à utiliser ce type d’armes en masse et sans faire de véritable discrimination », souligne l’expert de l’armement qui s’interroge : « est-ce que vous pouvez vraiment vous permettre d’être noble et de vous lier les mains dans le dos quand vous avez l’armée russe à vos portes ? » Joe Biden semble en tout cas avoir tranché.
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