Guerre en Ukraine : La France et son « armée bonsaï » est-elle taillée pour un conflit contre une grande puissance ?

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Effectifs, expérience, matériel… Que vaudrait aujourd’hui l’armée française, dans un conflit dit de haute intensité ? Après l’élection de Donald Trump, ce qui pourrait rebattre les cartes de la présence américaine en Europe, et face à la menace Russe, la France aurait-elle les moyens d’assumer une position de leader au sein de l’union européenne ? 20 Minutes fait le point sur la situation.

Quel est l’état des forces armées françaises ?

Le ministère des Armées compte en 2024 un peu plus de 200.000 personnes, dont 120.000 au sein de l’armée de Terre (dont 77.000 au sein de la force opérationnelle terrestre), 40.000 dans l’armée de l’Air et 41.000 dans la Marine. La réserve s’établit à un peu plus de 40.000 personnes. Parmi les équipements principaux, l’armée de Terre s’appuie (officiellement) sur 222 chars de combat Leclerc. La France disposait par ailleurs, avant 2022, de 76 camions canons Caesar (capables de tirer six obus à 40 kilomètres en moins d’une minute), et en a cédé une trentaine à l’Ukraine. Une commande de nouveau matériel doit lui permettre de remonter à 109 unités, après 2030.

La Marine possède de son côté quatre sous-marins nucléaires lanceurs d’engin, cinq sous-marins nucléaires d’attaque, un porte-avions, 15 frégates et 45 avions de combat Rafale Marine. L’armée de l’Air dispose de 197 avions de chasse, dont 108 Rafale avec les dernières livraisons en 2024, mais doit céder quelque Mirage 2000-5 à l’Ukraine début 2025.

Chercheur au Centre des études de sécurité de l’Ifri (Institut français des relations internationales), spécialiste de l’armement, Léo Péria Peigné tempère ces éléments. « En termes humains, on commence à voir les effets du vieillissement de la France, ce qui limite la population recrutable, explique-t-il à 20 Minutes. D’autres facteurs, comme la fin des opérations extérieures (Opex) qui ont largement contribué au recrutement des armées, font qu’il sera peut-être difficile de réaliser la transition avec les nouvelles missions des armées, notamment notre présence à l’est, moins attractive. »

Sur le matériel, le spécialiste de l’armement estime que la France dispose en réalité « d’un peu moins de 200 chars, dont les deux tiers sont opérationnels à un moment donné ». A côté de cela, « de nouveaux véhicules entrent en service – Griffon, Jaguar, Serval –, des engins très modernes mais dont la conception est elle aussi très influencée par les Opex africaines de la France ». Sur les avions de chasse, « à force d’étaler la livraison des Rafale, lorsque le dernier sera livré, il faudra quasiment retirer les premiers, qui auront alors plus de trente ans, alerte le spécialiste. Et il nous manque encore de la capacité à détruire les défenses antiaériennes adverses ».

Le Griffon est le nouveau véhicule de transport de troupes de l'armée, en remplacement du VAB.
Le Griffon est le nouveau véhicule de transport de troupes de l’armée, en remplacement du VAB. - ©KNDS France

Une puissance nucléaire enviable ?

La France est aussi, avant tout même, une puissance nucléaire, ce qui lui confère un statut particulier. « Plus que jamais la dissuasion nucléaire française nous garantit une protection que beaucoup d’autres alliés peuvent nous envier », écrit ainsi le ministre des Armées Sébastien Lecornu, dans son récent ouvrage Vers la guerre ? L’intérêt de la dissuasion étant que « l’adversaire doit prendre en compte dans son calcul le risque d’escalade nucléaire », rappelle à 20 Minutes Yannick Pincé, docteur en histoire contemporaine et spécialiste du nucléaire, au sein du Centre interdisciplinaires sur les enjeux stratégiques (Ciens).

Mais la dissuasion française est-elle crédible ? « Nous disposons de 290 têtes nucléaires, cela peut paraître faible, mais nous avons de quoi causer des dégâts considérables, assure Yannick Pincé. Si on lançait ne serait-ce que la moitié de notre arsenal, nous pourrions faire baisser les températures à l’échelle mondiale. Et nous avons un autre allié avec qui nous avons des intérêts vitaux communs, le Royaume-Uni. Si on cumule les deux, nous ne sommes pas loin des capacités chinoises, et là on entre dans une crédibilité encore plus forte ». Pourtant, même si « la France a toujours eu une dimension européenne dans sa conception de la dissuasion, rappelle Yannick Pincé, nos alliés préféreront toujours le parapluie américain, car en termes capacitaires les Etats-Unis nous sont bien supérieurs, et sont jugés plus dissuasifs ». Les Etats-Unis (3.700 têtes nucléaires) possèdent, notamment, 180 armes nucléaires déployées en Europe.

Léo Péria-Peigné soulève de son côté que « la dissuasion absorbe entre 10 et 15 % du budget militaire, et concentre énormément d’efforts pour un domaine très spécifique, peut être au détriment de capacités plus conventionnelles ».

L’armée française est-elle toujours une grande armée ou une « armée bonsaï » ?

L’armée française pointe désormais entre la 10e et la 11e place au classement des puissances militaires mondiales. En Europe, « nous sommes encore parmi les tout premiers, assure Léo Péria-Peigné, mais il y a un recul progressif, notamment du fait que d’autres acteurs développent leurs capacités ». L’armée française serait ainsi désormais devancée par l’armée polonaise, qui revendique depuis cette année 216.000 militaires dans ses rangs. « Il faut relativiser, décrypte toutefois Léo Péria-Peigné, car la Pologne a tendance à compter du personnel qui n’est que réserviste. Mais effectivement elle se dirige pour devenir la première armée d’Europe en matière d’effectifs. Surtout, contrairement à la France, l’ensemble des moyens polonais sont mis au service d’un objectif stratégique unique : la défense territoriale européenne, là où la France disperse ses moyens sur divers objectifs (Europe, Afrique, Indo-pacifique, dissuasion, Sentinelle, etc.) »

L’armée française serait-elle devenue au fil du temps une « armée bonsaï », comme l’avait qualifiée le journaliste spécialisé des questions militaires Jean-Dominique Merchet, c’est-à-dire une armée qui dispose de tout, mais en petite quantité ? Certainement. Ce qui a ses avantages et ses inconvénients. Yannick Pincé pointe qu’elle est ainsi « l’une des rares en Europe à avoir maintenu une armée multicapacitaires ». Idem pour Léo Péria-Peigné. « C’est plutôt sain en soi, car il est plus facile de remonter en puissance si nécessaire, que de repartir de zéro. »

Mais ce choix a aussi ses travers. « Parfois, nous ne disposons plus que d’une seule unité, comme pour la guerre électronique, ce qui paraît faible au regard des enjeux que cela représente aujourd’hui. Nous n’avons plus que six lance-roquettes longue-portée, nous ne disposons pas de réel moyen de lutte contre les drones, énumère le spécialiste de l’Ifri. Si demain nous devons être la nation-cadre au sein de l’union, il va nous manquer des choses. Mais nous ne sommes pas les seuls, tout le monde est dans ce cas-là. »

L’expérience acquise en opérations extérieures pourrait-elle servir en cas de guerre à haute intensité ?

Depuis 2015, les forces armées françaises sont régulièrement engagées dans des opérations contre le terrorisme : Barkhane au Sahel, Chammal en Irak-Syrie. Mais, « ce n’est pas parce que nous savons faire la guerre au Mali, que nous savons faire la guerre de haute intensité, déclarait le général Thierry Burkhard, chef d’Etat-Major des Armées, dans un entretien à l’AFP et au New York Times le 6 mai dernier. Je ne dis pas que ce que nous faisons au Mali est facile, mais nous n’avons pas d’artillerie en face qui nous frappe dans la profondeur. »

« D’un côté cela nous vaut l’admiration de certains, car ce qui a été fait ce n’est pas que du combat, c’est aussi la capacité à organiser, à faire des déploiements, de la logistique, ce qui est très précieux, mais cela nous a aussi coûté très cher en matière d’usure du matériel, explique Léo Péria-Peigné. Et il faut reconnaître que ce sont des opérations très spécifiques, avec une opposition limitée, parce qu’il s’agit davantage de contre-insurrection que de guerre. Nous avons ainsi une armée de Terre qui s’est spécialisée dans des missions expéditionnaires au Sahel et qui doit maintenant évoluer pour pouvoir faire face à la haute intensité. » Que vaudra cette expérience « si on doit défendre nos alliés de l’Europe au sein de l’Otan ? » « Je ne sais pas. C’est un héritage ambivalent. »

La France et l’Europe pourraient-elles se défendre contre la Russie sans les Américains ?

Il va sans dire qu’un affrontement contre une grande puissance comme la Russie, se ferait à l’échelle de l’Europe, ou de l’Otan, et non d’une seule nation. Or, « la présence ou non des Etats-Unis en Europe définit notre capacité à nous défendre », estime Léo Péria-Peigné. « Sans les Etats-Unis nous sommes en difficulté, mais la priorité américaine n’est plus la Russie, c’est la Chine. La guerre en Ukraine a stoppé momentanément le reflux de la présence américaine en Europe, mais est-ce que ça va durer [avec l’élection de Donald Trump], je ne sais pas. »

Notre dossier sur la guerre en Ukraine

La présence de soldats américains sur le sol européen est primordiale, confirme Yannick Pincé, car « s’attaquer aux pays de l’Otan, c’est s’attaquer aux soldats américains ». Or, durant la campagne de la présidentielle, le milliardaire a fait planer la menace de se désengager en Europe. « Est-ce que Trump va retirer ses soldats ? Je n’en suis pas sûr, pense toutefois Yannick Pincé. Il ne faut pas oublier que l’Otan est aussi une alliance qui permet à l’industrie américaine de tourner à plein régime, puisque les pays européens achètent du matériel américain. Regardez les difficultés que l’on a à exporter du Rafale en Europe, alors que nos alliés achètent des F-35. Donc, même Donald Trump réfléchirait à deux fois avant de concrétiser ses paroles. » Wait and see.

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