Quelques heures après l’intrusion de dix-neuf drones en Pologne, les dirigeants de l’Otan ont estimé avoir « réagi rapidement et avec détermination, démontrant ainsi [leur] capacité à défendre l’Alliance ». Mais, en déployant des moyens coûteux comme des F-16, des F-35, ou encore des systèmes Patriot, pour neutraliser des drones de type Shahed ou Gerbera… Peut-on vraiment parler de succès ?
Les pays européens membres de l’Otan bénéficient certes des dernières technologies en matière de défense aérienne, mais sont-ils véritablement bien équipés pour faire face à la menace « low cost » que représentent ces drones ? Même si les militaires estiment que le dispositif de « défense aérienne et antimissile intégrée de l’Otan » (Nato IAMD), a bien fonctionné, au final, les alliés ont annoncé n’avoir abattu, en Pologne, que trois drones. Que se passerait-il s’il fallait gérer, non pas une vingtaine, mais une nuée de plusieurs centaines de drones, comme c’est régulièrement le cas en Ukraine ?
L’Alliance elle-même reconnaît dans un communiqué qu’il va falloir déployer « de nouvelles technologies, telles que des capteurs anti-drones et des armes pour détecter, suivre et tuer les drones ».
« Nos effecteurs sont bien plus chers que les cibles qu’ils sont censés abattre »
Contacté par 20 Minutes, le consultant en risques internationaux, Stéphane Audrand, admet également que, sur cette question des drones, « nous sommes face à une certaine limite de nos systèmes défensifs actuels ». « Nos effecteurs sont bien plus chers que les cibles qu’ils sont censés abattre, et ce n’est pas rentable d’envoyer un F-35 détruire un Shahed, à l’aide d’un missile qui doit valoir cinq ou dix fois le prix du drone. »
Mais, aucune raison de sombrer dans le « catastrophisme » pour autant. « Tout le monde en Europe a parfaitement conscience de la situation, et des adaptations sont en cours, assure-t-il. Plusieurs projets existent pour renforcer la défense de nos infrastructures vitales (navires, radars, PC de commandement…), avec des canons automatiques à tir rapide, et pour pouvoir neutraliser ces drones avec de petits missiles pas cher et des drones d’interception ».
Face aux drones, les États renouent en effet avec les canons anti-aériens de quelques kilomètres de portée, dont les munitions sont infiniment moins chères que les missiles. Des projets d’armes laser, calibrées pour la menace antidrones, sont également en cours de développement. « En attendant, on a largement de quoi tenir la menace. Donc oui, il faut développer des systèmes low cost, mais sans en faire une obsession » estime Stéphane Audrand.
Analyste sur les armements stratégiques, Etienne Marcuz ajoute que, face aux drones, « on pourrait aussi envisager d’envoyer de petits avions moins chers, comme nos PC21 qui servent à la formation au sein de l’Armée de l’air. C’est ce que fait l’Ukraine, qui envoie des « petits coucous d’agriculture » transformés ». Il ne trouve pas pour autant que ce soit une hérésie de faire décoller des avions de chasse, « qui ont quand même l’avantage d’être ultra-réactifs, et qui sont pour la plupart également équipés de canons, très efficaces contre les drones ». Le spécialiste rappelle par exemple qu’en Mer Rouge, « la marine française a abattu les premiers drones houthis au Aster 30 [missile d’une valeur de deux millions d’euros], avant d’utiliser du canon de 76 mm, ou l’hélicoptère de bord. Ce qui veut dire qu’on s’adapte, et rapidement on apprend à ne plus gaspiller nos missiles. C’est ce qu’a fait l’Ukraine, qui a défriché le terrain pour nous. »
« Pour une fois, l’Otan a été très réactive »
De l’épisode polonais, Stéphane Audrand préfère surtout retenir que, « pour une fois, l’Otan a été très réactive, et a tiré, ce qui n’avait pas été le cas lors des dernières incursions de drones russes ». Le consultant en risques internationaux souligne également que l’Alliance « a prouvé au passage l’efficacité de son fonctionnement multilatéral, puisqu’un avion-radar italien a coordonné, au-dessus de la Pologne, des avions néerlandais pour aller abattre ces drones ! » « Il y a eu une très bonne réaction, coordonnée, des Allemands, des Italiens, des Néerlandais…, confirme Etienne Marcuz. Et on n’a pas laissé tomber notre allié polonais. »
Stéphane Audrand se montre en revanche plus critique quant à la réponse politique à cette crise, de la part de la commission européenne. « Celle-ci a consisté à dire qu’il faut ériger un mur antidrones impénétrable, notamment via le projet allemand de défense aérienne Skyshield. C’est une illusion, parce que ce sont des projets hors de prix, et une défense waterproof à 100 % n’existe pas. Il faudrait plutôt dire à Moscou que si cela se reproduit, nous rendrons les coups, en visant cette fois-ci les camions qui ont lancé ces drones, ou les PC de commandement qui ont coordonné ces tirs. Et là, nous possédons les missiles, comme le Scalp, calibrés pour ce genre de cibles. »
« L’Europe est une puissance militaire qui se mésestime grandement »
Dans la même veine, Etienne Marcuz considère que « l’Europe est une puissance militaire qui se mésestime grandement ». Il souligne en revanche « le message fort » envoyé par la France, qui a mobilisé dès vendredi dans le cadre de l’opération « Sentinelle orientale », destinée à renforcer le flanc Est de l’Otan, trois Rafale des Forces aériennes stratégiques (FAS). Ces avions de chasse sont porteurs du missile nucléaire ASMPAR, même s’ils ont été déployés en Pologne dans une configuration conventionnelle.
« Au lendemain de l’agression, il n’y avait pas d’autre choix que d’envoyer des avions chasseurs pour montrer notre soutien à la Pologne, qui a fait face cette fois-ci à des drones, mais qui pourrait affronter demain autre chose, relève Etienne Marcuz. En mobilisant les FAS, le message est on ne peut plus clair : ces avions peuvent abattre des drones, mais ils peuvent aussi faire d’autres choses. Tout cela démontre la cohésion de l’alliance, initiative que cherche à décrédibiliser la Russie. »
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