De l’eau potable, une trousse de premiers secours et, évidemment, de la nourriture non périssable… Dans son kit d’urgence 72 heures, le gouvernement français cite les plats qui se conservent longuement et ne nécessitent pas de cuisson pour être comestibles. En mars, l’Union européenne lui a emboîté le pas, encourageant ses citoyens à préparer un « sac de résilience », rempli de produits de premières nécessités. En filigrane, le slogan « Prêts pour tout », relayé par la commissaire européenne Hadja LKahbib, évoque la doctrine survivaliste.
Mais elle marque surtout un changement d’ère. Jusqu’ici cantonnée à ceux qu’on imaginait vaguement formés à la survie, armés d’un canif et d’un simple slip au coeur de la forêt, l’idée de se préparer au pire se répand désormais. D’après l’entreprise spécialisée dans la nourriture d’urgence ReadyWise, le marché des plats lyophilisés prêts à être consommés a augmenté de 10 % en 2025 en Europe. Et depuis 2016, il a quasiment triplé.
Du manuel de survie au bunker maison
« Dans un contexte global très anxiogène, cette idée d’autonomie, autrefois considérée comme paranoïaque, est désormais encouragée. Ce n’est pas uniquement un fantasme que les consommateurs publics peuvent avoir en regardant le journal télévisé, ce sont des conseils des autorités », souligne Eddy Fougier, politologue et auteur de Pourquoi pense-t-on que le monde va de plus en plus mal ? (Ed. de L’Aube). Dans les pays scandinaves, la population civile a d’ailleurs reçu des « manuels de survie » après l’invasion russe de l’Ukraine. Ici aussi, les habitants sont encouragés à être capables de se nourrir seuls durant trois jours.
Les produits de ReadyWise, eux, vont bien plus loin : certains peuvent se conserver jusqu’à 25 ans. Ces denrées séduisent aussi bien des particuliers que des hôpitaux ou des ambassades. Les acteurs du secteur notent un « net regain d’intérêt » ces dernières années, admet Karim Boukarabila, président de Bünkl, entreprise spécialisée dans la construction de bunker et la sécurisation physique des enceintes. « L’Europe a encore 10 à 15 ans de retard sur les Etats-Unis dans ce domaine car les Européens ont tendance à se sentir plus en sécurité, mais c’est de moins en moins le cas. Entre le Covid-19, les incendies, la guerre en Ukraine et au Moyen-Orient… Nous sommes confrontés à l’incertitude et la nourriture d’urgence devient tendance », explique Kim Berknov, directeur de ReadyWise.
Pour retrouver notre test maison de quatre plats longue durée de la marque ReadyWise, vous n’avez qu’à visionner la vidéo en tête de cet article.
Un risque réel de pénurie
Le traumatisme européen remonte à la pandémie de Covid-19. A l’époque, une foule de personnes ont pris d’assaut les magasins, se ruant sur certains produits de première nécessité comme le papier-toilette ou les pâtes. Les pénuries se sont alors multipliées : certaines particulièrement amusantes, à l’instar des puzzles ; d’autres plus angoissantes, comme les masques chirurgicaux. Ces phénomènes, poussés par des achats paniques, « ont montré aux populations européennes qu’elles étaient plus vulnérables qu’elles ne le pensaient », note Eddy Fougier, qui estime que la pandémie a fait office de « déclic ».
C’est d’ailleurs en 2020, année des confinements, que le marché des plats lyophilisés connaît sa plus forte accélération, un bond de près de 26 % en un an. « Initialement, le survivalisme était constitué d’individus très radicalisés qui avaient peur des attaques soviétiques pendant les années 1960. Il existe toujours des franges très politisées, qui ont souvent plus peur d’une guerre civile que d’une catastrophe climatique, mais le constat est là. Il existe un certain nombre de risques face auxquels on pourrait être démunis parce qu’on n’est plus autonomes », décrypte Eddy Fougier.
Entre interdépendance et autonomie
Pour l’auteur de Pourquoi pense-t-on que le monde va de plus en plus mal ?, il existe désormais une tension entre ce désir d’autonomie et notre interdépendance. Des études montrent que la taille des cuisines se réduit progressivement dans les grandes villes. Certains promoteurs vont jusqu’à construire des logements qui en sont dépourvus, notamment à Dubaï, d’après le Khaleej Times. De nombreux citadins sont donc de plus en plus dépendants de circuits extérieurs. Certains vont jusqu’à vivre dans des maisons entièrement gérées par la domotique, de la chaleur en passant par l’éclairage ou encore la sécurité.
Notre dossier sur la nourriture
« Sur le fond, oui, on est assez vulnérables aujourd’hui. L’une des inquiétudes des survivalistes réside dans le fait que les supermarchés n’ont que cinq ou six jours de stocks. Ce n’est pas totalement infondé mais après, ils imaginent un monde à la Mad Max. Avec le confinement, certes les gens ont stocké du riz, des pâtes et du PQ. Mais ce n’est pas allé bien plus loin », sourit Eddy Fougier, qui évoque des « moments ponctuels ». Car les achats de panique ne durent jamais. Seule reste une forme de méfiance… Ou simplement de prudence. Après tout, nos grands-parents ayant vécu la Seconde Guerre mondiale n’avaient-ils pas tendance à entasser les boîtes de conserve ? Juste « au cas où »…
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