Le terme est explosif. Mais dans son rapport de 300 pages, publié ce jeudi, Amnesty International ne s’embarrasse pas de demi-mesure : « Les autorités israéliennes commettent un crime de génocide contre la population palestinienne de Gaza », écrit l’ONG. Le document se base sur des recherches menées entre le 7 octobre 2023, jour des attaques sanglantes du Hamas en Israël et du début de la riposte de Tel Aviv, et juillet 2024.
Pour parvenir à cette conclusion, « nos chercheurs se sont basés sur la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948 », explique Aymeric Elluin, responsable de plaidoyer Armes et conflits à Amnesty International France. Cette définition explique que le génocide est « l’intention de détruire, ou tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux » à travers plusieurs moyens : « le meurtre, l’atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe et la soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle, des mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe et le transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe ».
Une enclave souffrant d’un « siège total »
Pour le meurtre et l’atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe, Amnesty International a « documenté 15 frappes aériennes d’Israël contre des infrastructures civiles et dans 13 d’entre elles, il n’y a pas eu d’avertissements, voire elles ont été conduites la nuit lorsque les civils dormaient », explique Aymeric Elluin. Depuis le début de la guerre, au moins 44.580 personnes sont mortes à Gaza dont une grande majorité de civils. Ces données, publiées par le ministère de la Santé du Hamas, sont jugées fiables par l’ONU mais sous-estiment probablement le nombre de victimes.
Sur la question des conditions de vie, Gaza est coupé du monde par un « siège total ». « Avant le 7 octobre, 80 % de la population dépendait de l’aide humanitaire et le ministre de la Défense a dit qu’il ne fallait plus faire entre d’eau ou de nourriture », explique Aymeric Elluin qui précise qu’auparavant 237 camions d’aide humanitaire entraient par jour dans l’enclave palestinienne contre 75 aujourd’hui. « Israël ne laisse plus rien entrer en connaissant les conséquences de cette décision : si les gens ne peuvent pas se nourrir, ils vont mourir. » A ce blocus s’ajoute la destruction des infrastructures civiles comme les écoles ou les hôpitaux, rendant la survie encore plus difficile pour la population locale.
Un discours « déshumanisant »
La plus grande difficulté de la qualification de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité comme un génocide est celle de l’intention. Pour qu’un génocide soit reconnu comme tel, il faut en effet prouver l’intention génocidaire. De nombreux observateurs internationaux la réfutent à l’instar de l’Allemagne qui a réagi au rapport de l’ONG en estimant ne « pas voir cette intention claire ». Pour prouver cette intention, Amnesty International s’est notamment basée sur les déclarations de membres des autorités israéliennes. « Ce qui prépare un génocide, c’est aussi la façon de considérer l’autre et l’usage d’un discours raciste et déshumanisant », souligne Aymeric Elluin.
Amnesty International rappelle ainsi que le ministre de l’Energie et des Infrastructures, Israël Katz, avait déclaré le 10 octobre 2023 : « Sans carburant, même l’électricité locale sera coupée en quelques jours et les puits [qui donnent de l’eau à la population] cesseront de fonctionner en une semaine. C’est ce qui doit être fait à une nation de meurtriers et de bouchers d’enfants. » De son côté, le Premier ministre Benyamin Netanyahou avait déclaré qu’il s’agissait d’une « lutte entre les enfants de la lumière et les enfants des ténèbres, l’humanité et la loi de la jungle » quand l’ancien ministre de la Défense Yoav Gallant qualifiait les Gazaouis d’« animaux humains ».
Un terme délicat
« Si on prend tous ces éléments séparément, il peut s’agir de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité, explique Aymeric Elluin. Mais, ensemble, ils montrent une intention génocidaire. » La Cour pénale internationale a émis le 21 novembre des mandats d’arrêt contre le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou et l’ancien ministre de la Défense Yoav Gallant pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre. Francesca Albanese, rapporteuse spéciale de l’ONU, a estimé qu’il s’agissait d’un « génocide colonial ». En Israël aussi, des voix s’élèvent, à l’instar de celle de l’ancien ministre de la Défense, Moshé Yaalon, qui a estimé fin novembre que l’armée israélienne menait un « nettoyage ethnique » à Gaza.
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« Nous ne sommes pas des hurluberlus qui d’un coup agitent le mot génocide, nous ne sommes pas seuls », glisse Aymeric Elluin. L’humanitaire assure toutefois comprendre l’émotion que provoque l’utilisation de ce mot. « On comprend parfaitement ce que ce mot peut remuer dans la mémoire collective et individuelle. Le terme génocide est associé à la Shoah mais il concerne aussi les autres génocides et, aujourd’hui, il faut tout faire pour qu’il cesse. » Et de conclure : « Depuis un an, il y a des discussions pour déterminer s’il s’agit d’un génocide ou non, d’un crime contre l’humanité ou non, d’un crime de guerre ou non. Mais en attendant les Gazaouis continuent de mourir. »
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