« Depuis le 7 octobre 2023, dans sa politique d’effacement de l’histoire et de l’identité collective des Palestiniens, l’occupation israélienne cible méthodiquement la vie culturelle de la bande de Gaza, ainsi que tous les autres visages de la vie de cette petite région », écrit Eslam Idhair, journaliste palestinien de Gaza,
réfugié en France avec son épouse Heba, depuis la destruction de sa maison et la mort de leurs quatre enfants sous un bombardement israélien en novembre 2023..

« Le ciblage, précise-t-il, comprend non seulement la destruction totale des institutions et des centres culturels, des monuments historiques et des sites archéologiques, des universités, des centres d’archives, des bibliothèques, mais aussi l’élimination des écrivains, des poètes, des artistes, des journalistes, avec leurs productions créatives, ainsi que d’autres visages de la vie culturelle.
Cette attaque systématique s’en prend à tout ce qui constitue la mémoire de Gaza, depuis les trésors archéologiques historiques jusqu’aux productions de la vie culturelle et artistique contemporaine (littérature, musique, théâtre, musées…), sans oublier les lieux et objets à travers lesquels s’expriment les croyances, les valeurs, les coutumes et les traditions.
Cette destruction de la culture a de graves répercussions sur l’étude et la formulation du récit national palestinien. L’occupation fait disparaître des manuscrits vieux de plusieurs siècles et des sources précieuses pour comprendre l’histoire culturelle et sociale de Gaza, y compris les collections et objets personnels des particuliers.
L’armée d’occupation a frappé d’anciennes mosquées et églises à fort symbole. Au-delà de leur importance architecturale et historique, ces lieux abritent la foi et les traditions de la population locale et incarnent la longue coexistence entre les diverses confessions présentes depuis des siècles en Palestine et dans la bande de Gaza en particulier.
Au-delà de la destruction physique des monuments et des personnes, ces pratiques visent à porter atteinte à l’identité et à l’existence même de la société palestinienne. À la fois matérielle et symbolique, elle sert un programme politique plus large d’effacement de l’identité et de la mémoire palestinienne, dans le cadre du génocide culturel tel que défini par la Déclaration des droits des peuples autochtones de l’ONU du 13 septembre 2007.
Cette dévastation culturelle causera des traumatismes profonds et durables aux survivants de Gaza et à tous les Palestiniens en les coupant de leur passé, mais aussi au patrimoine et à la culture du monde entier. Il est de la responsabilité de la communauté culturelle, littéraire et artistique mondiale d’exercer une forte pression pour protéger ce qui reste de la culture palestinienne dans la bande de Gaza et de tenir l’occupation israélienne pour responsable de ce désastre culturel, en cours depuis deux ans.
L’ampleur du patrimoine culturel détruit
Depuis octobre 2023, les bombardements israéliens intenses dans la bande de Gaza ont détruit plus de 200 sites archéologiques, ainsi que des dizaines de monuments historiques, notamment des mosquées, des églises, des sanctuaires, des collines archéologiques, des bibliothèques, des marchés, des cimetières, des écoles, des musées, des châteaux, des maisons anciennes, des institutions culturelles, des centres éducatifs, etc., qui étaient autant de témoins de l’histoire séculaire de Gaza, carrefour de civilisations et d’échanges internationaux depuis des siècles.
Édifices musulmans
L’armée d’occupation a détruit, totalement ou partiellement, des sites historiques souvent encore utilisés. Ainsi est totalement détruite la mosquée Al-Omari au cœur de la vieille ville de Gaza dans le quartier d’Al-Daraj, l’une des plus anciennes et des plus grandes mosquées de Palestine (4 100 m2), construite au XIIe siècle sur une ancienne église et un ancien temple romain.

De même, la mosquée Al-Dhafar Damri (600 m2) dans le quartier Al-Shujaiya à l’est de Gaza, qui remonte à l’époque mamelouke (v. 1360), totalement ruinée selon l’Unesco. Partiellement détruite, la mosquée Al-Sayyid Hachem (2 400 m2) dans le quartier Al-Daraj du vieux Gaza, bâtie sur le lieu supposé de la sépulture de Hāshim b. ʿAbd Manāf, arrière-grand-père du prophète Muhammad. De style mamelouk, elle avait été rénovée par le sultan Abdul Hamid en 1850.
De nombreux sanctuaires religieux ont été dévastés, dont celui du prophète Joseph à Bani Suhaila et le sanctuaire d’Al-Khidr au centre de la ville de Deir al-Balah. Le sanctuaire d’Ibrahim al-Khalil, situé au village d’Abasan al-Kabira au sud-est de Khan Yunis, qui possède un sol en mosaïques de l’époque byzantine, a été vandalisé par des colons israéliens.
Édifices chrétiens
Les édifices chrétiens n’ont pas été épargnés par les bombes israéliennes. Trois ont été gravement endommagés.
- L’église grecque orthodoxe Saint-Porphyre, l’une des églises les plus anciennes de Gaza (18 civils ont été tués parmi les 450 résidents chrétiens et musulmans qui s’abritaient dans l’église). Située dans le quartier Zaytun de la vieille ville de Gaza, construite en 425 après J.-C., l’église abrite le tombeau de saint Porphyre qui fut évêque à Gaza de 395 à 420. Déjà endommagée lors de l’offensive israélienne de juillet 2014, elle avait alors offert un refuge aux citoyens de Gaza, qui avaient pu accomplir les prières du Ramadan dans la cour.

- L’église byzantine de Jabalia, au nord de la bande de Gaza, a été entièrement détruite. Vieille de plus de 1 600 ans, d’une superficie de 500 m2, elle était construite dans le style « basilique » à trois portiques.
- Le monastère byzantin de Saint-Hilarion à Tal Umm Amer (Nuseirat), sur une colline à 15 km au sud-ouest de la ville de Gaza, a été détruit par une frappe aérienne en novembre 2024. Premier et plus important monastère de Palestine, sa construction remonte à 329 après J.-C. Saint Hilarion y aurait été enterré en 371. D’une superficie de 20 000 m2, l’ensemble avait été classé en urgence en juillet 2024 sur la liste de protection renforcée du patrimoine mondial de l’humanité.
La machine de destruction israélienne a touché le musée de Deir al-Balah, le site d’al Fakhari à l’est de Khan Yunis, le centre des manuscrits et documents anciens, ainsi que la principale bibliothèque de la bande de Gaza, connue comme le bâtiment des bureaux publics de la municipalité de Gaza. La bibliothèque contient des documents et des livres historiques, que les habitants de la ville considèrent comme la mémoire et le présent du pays. Les caractéristiques de cette tragédie ont été révélées au cours de la trêve des premiers mois de la guerre.
43 000 vestiges historiques enregistrés

Dans la bande des Gaza, selon le ministère palestinien de la Culture, il existait 76 centres culturels, trois théâtres, cinq musées, quinze maisons d’édition et librairies, plus de 80 bibliothèques publiques.
Au début de 2023, le registre national du ministère du Tourisme et des Antiquités de Gaza enregistrait environ 43 000 antiquités avec des actes de naissance spéciaux pour chaque pièce, dont 17 550 objets au musée du Palais du Pacha (qui abritait aussi une école de filles) et 25 000 dans l’entrepôt archéologique où elles étaient répertoriées électroniquement dans le registre national des expositions.
Le sort de tous ces objets est encore inconnu en raison de l’ampleur des destructions dans les musées et les sites archéologiques, de la poursuite de l’agression israélienne et de l’absence de conditions de sécurité permettant aux comités d’inventorier les objets et d’enquêter sur leur état.
Depuis le début de l’agression, aucune organisation internationale
n’est intervenue pour préserver les antiquités palestiniennes,
qui font partie du patrimoine mondial.
C’est ce que nous exigeons de ces organisations, notamment de l’Unesco, chargée de préserver la culture et le patrimoine historique de la civilisation humaine, dont font partie les antiquités de la bande de Gaza. Il s’agit de sauver cette partie du patrimoine mondial et de tenir l’occupation israélienne pleinement responsable de sa destruction. »
Par Eslam Idhair
journaliste palestinien de Gaza,
diplômé du département de français de Ziad Medoukh.
Source : https://saintmerry-hors-les-murs.com/2025/10/10/a-gaza-il-y-aussi-un-genocide-culturel/
CAPJPO-Europalestine
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