Face à l’islamisme, Bruno Retailleau invite au réarmement spirituel
Dans un discours choc, le 31 mars, à Londres, le ministre de l’Intérieur pointait les trois renoncements des démocraties occidentales.
Par Jérôme Cordelier
Alors que le rapport de 73 pages sur les Frères musulmans de deux hauts fonctionnaires du ministère de l’Intérieur fait la une de l’actualité, il est intéressant de se pencher sur le discours que Bruno Retailleau, le patron de la place Beauvau, a prononcé à Londres, le 31 mars 2025, lors d’une conférence au Policy Exchange. Les Éditions de l’Observatoire ont eu la bonne idée de publier ce texte, sous un titre on ne peut plus clair : « Ne rien céder. Manifeste contre l’islamisme. »
Un discours ferme et vigoureux, dans lequel Bruno Retailleau décrit sans fard ce mouvement qu’il n’hésite pas à comparer à « l’entreprise totalitaire » nazie, citant Joseph Goebbels qui, en avril 1928 – cinq ans avant l’accession de Hitler au pouvoir –, prévenait : « Nous sommes prêts à utiliser tous les moyens légaux pour renverser l’actuel état de choses. » Ajoutant : « Nous venons en ennemis, comme le loup s’attaque à un nouveau troupeau de moutons. »
« Je ne confondrai jamais la foi musulmane avec cette haine islamiste »
Le rapport rendu public ce 20 mai – commandé par Gérald Darmanin et remis au président lors d’un conseil de défense à l’Élysée – met au jour, minutieusement, « l’entrisme » de ce mouvement islamo-politico-social au cœur de la société française. Une situation que décrypte sans ambages, dans ce discours londonien – ville où l’islam radical étend sa toile –, l’actuel ministre de l’Intérieur : « Aujourd’hui, un nouveau prédateur vient en ennemi et s’attaque depuis l’intérieur à nos nations libres : je veux parler de l’ennemi islamiste. Comme les fauves des années sombres, il s’est fait une place dans l’enclos de nos libertés, pour mieux les subvertir, pour mieux les anéantir. Ce n’est pas mon interprétation, ce sont ses déclarations. Celles de Youssef al-Qaradâwî, l’une des plus grandes figures des Frères musulmans qui, en 2002, déclarait ceci : « Avec vos lois démocratiques, nous vous coloniserons. Avec nos lois coraniques, nous vous dominerons. » Ces mots sont des mots de haine. Et je ne confondrai jamais la foi musulmane avec cette haine islamiste qui la défigure. Cette distinction, nous y tenons. Comme nous tenons à cette liberté dont l’émergence a accompagné la naissance du libéralisme politique en Europe : je veux parler de la liberté religieuse. »
Las, c’est justement dans le lit de cette liberté religieuse que les islamistes ont installé leurs draps. « C’est désormais dans la langue de la tolérance que l’islamisme politique promeut l’intolérable, explique Bruno Retailleau. C’est au nom de la tolérance religieuse qu’il justifie désormais l’excision, la polygamie ou le voilement des petites filles. »
« Nos renoncements »
La faute à qui ? Mais, d’abord, à nous-mêmes ! Parce que c’est le « chemin ouvert par nos renoncements qui a pavé la voie à l’islamisme ». Ces renoncements, Bruno Retailleau en discerne trois sortes. D’abord, nous avons été piégés par notre goût pour « une liberté absolutisée, qui ne supporte aucune entrave, qui ne se reconnaît aucune limite » et conduit au « règne exclusif des droits individuels ».
« À tel point qu’aujourd’hui, précise le nouvel homme fort de la droite française, le droit se retourne parfois contre la loi. Au bénéfice des islamistes. De ce point de vue, certaines jurisprudences européennes sont très significatives. Car c’est au nom de cette interprétation radicale des droits individuels que, en 2023, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France pour “ne pas avoir étudié de manière appropriée” les demandes de rapatriement des proches de djihadistes français partis se battre aux côtés de l’État islamique. Un an plus tard, en 2023, la même Cour a interdit à la France d’expulser un ressortissant ouzbek appartenant à la mouvance djihadiste, au motif que sa vie pouvait être menacée dans son pays d’origine. Comme elle l’avait d’ailleurs fait en 2009 en sanctionnant la France qui avait procédé à l’éloignement vers son pays d’origine d’un Algérien pourtant condamné pour terrorisme et déchu de la nationalité française, au motif qu’il aurait pu subir de mauvais traitements en Algérie. »
Ensuite, second renoncement, le Vendéen pointe notre rapport à la raison critique, considérant que « l’examen de conscience a laissé place à la mauvaise conscience, qui culmine jusqu’à la haine de soi ». Ce que le philosophe britannique conservateur Roger Scruton (décédé en 2020) appelait « l’oïkophobie », à savoir, précise Retailleau, une « détestation du foyer », une « répudiation de l’héritage ». La cible pour le leader conservateur français est sous nos yeux. « Cette haine de soi s’incarne désormais dans l’idéologie woke, dénonce-t-il. Cette idéologie qui ne voit dans notre liberté et notre égalité que des chimères destinées à masquer des systèmes de domination, et dans nos histoires nationales qu’une succession de crimes qu’il conviendrait d’absoudre par leur déconstruction. Cette tempête destructrice, cette pulsion nihiliste n’épargnent aucune de nos démocraties libérales. »
Entre l’islamisme politique et le wokisme, une convergence des haines s’est déjà établie, pour faire la jonction entre les territoires gagnés par le séparatisme islamiste et les bastions conquis par la cancel culture.
Bruno Retailleau va même plus loin. « Entre l’islamisme politique et le wokisme, observe-t-il, une convergence des haines s’est déjà établie, pour faire la jonction entre les territoires gagnés par le séparatisme islamiste et les bastions conquis par la cancel culture. » La cible, les universités : « Dans tout l’Occident, ces temples de la liberté de l’esprit subissent les assauts d’une nouvelle pensée totalitaire. »
Une pensée organisée, identitaire, qui progresse sur notre troisième faiblesse, déplorée par le nouveau présidentiable de la droite : « Le renoncement à ce que nous sommes, en tant que civilisation, en tant que nation. » Reprenant la fameuse distinction établie par le journaliste britannique David Goodhart entre « somewhere » – ceux qui sont de quelque part – et « anywhere » – ceux qui sont de nulle part –, le Vendéen, campagnard et catholique, met l’accent sur l’enracinement et le spirituel, au sens large.
Un appel en somme à un réarmement spirituel
« Que donnons-nous aujourd’hui à aimer aux peuples occidentaux ? lance-t-il. Le relativisme et le consumérisme ont vidé les cœurs : l’islamisme s’emploie à les remplir. » Formule facile ? « À la froideur des solitudes individualistes, il oppose la chaleur d’une appartenance, celle de l’oumma, argumente-t-il. À l’anonymat auquel condamne l’indifférenciation des cultures, les salafistes répondent par l’identité retrouvée, la mémoire restaurée, celle du califat. » En clair, nous avons déserté le champ de bataille. « Comme toutes les grandes idéologies, l’islamisme est d’abord un récit : parce qu’elles tendent à considérer que l’histoire commence avec elles, nos démocraties modernes ont oublié le leur, harangue Bruno Retailleau. Alors l’islamisme écrit chez nous, à notre place, une histoire qui n’est pas la nôtre, et il le fait avec une part des nôtres. Ne le laissons pas faire. »
Dans ce texte court et incisif, Bruno Retailleau, grand lecteur pétri de culture historique et religieuse, ne cède pas à un discours d’assiégés, mais au contraire invite au sursaut. C’est son appel de Londres. Un appel en somme à un réarmement spirituel.
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