A Delme, en Moselle se dresse un bâtiment surprenant, il s’agit du Centre d’art contemporain – la synagogue.
De l’extérieur, la coupole et la façade ornée d’arcades et de colonnettes confèrent au lieu un parfum orientalisant.
L’intérieur obéit, lui, aux caractéristiques du white cube, cette neutralité immaculée qu’affectionnent tant de plasticiens.
A l’heure où les collectivités cherchent à donner une seconde vie aux anciens lieux de culte pour éviter qu’ils ne tombent en ruine, la reconfiguration de cette synagogue témoigne d’une mue plutôt réussie.
La programmation, pointue, attire quelque 8 000 visiteurs par an, une fréquentation modeste mais guère négligeable dans cette commune sans charme particulier, d’un millier d’habitants.
Edifiée en 1881 durant l’annexion germanique de l’Alsace-Lorraine, dynamitée par les nazis, la synagogue est reconstruite après guerre de manière spartiate, faute de moyens.
L’énorme coupole néomauresque d’origine, inspirée de celle de la grande synagogue de Berlin, est remplacée par un plus petit dôme.
Dans les années 1970, le rythme des offices se ralentit car les rangs des fidèles commencent à se clairsemer. En 1981, un siècle après sa construction, le Consistoire israélite de Moselle, qui en est le propriétaire, décide de la fermer.
Pendant dix ans les projets de transformation s’enchaînent sans qu’aucun ne voie le jour. Jusqu’à ce qu’en 1993, la municipalité contracte un bail de 99 ans pour reconvertir l’ancien sanctuaire en temple de l’art contemporain.
Pour l’artiste Daniel Buren, qui, en 1997, a paré les murs intérieurs de jaune et de bleu, « la synagogue est un lieu vide où tout est possible ». « Un espace d’échanges et de discussion, ouvert, sur l’extérieur, la commune, la région transfrontalière », complète aujourd’hui Patricia Couvet, directrice du centre..
C’est aussi un bâtiment doté d’une histoire forte, dont il est impossible de faire abstraction.
Invité en 2017, le duo israélien Sirah Foighel Brutmann et Eitan Efrat s’était référé à l’orientation des synagogues vers Jérusalem et aux codes de la liturgie juive.
Les murs ont une âme, et Henrike Naumann le sait mieux que quiconque, elle dont les installations explorent la face noire de la réunification allemande, l’abandon d’une jeunesse déboussolée et la montée de l’ultradroite. A Delme, l’artiste avait reconstitué, en 2022, un intérieur des années 1990, précédemment exposé en Autriche. Avant de retirer quelques objets qu’elle jugeait déplacés dans le cadre d’une ancienne synagogue.
Jean-Luc Moulène, dont les œuvres perturbent les matières et marient les contraires, avait, en revanche, fait le choix d’y exposer, en 2018, une pièce troublante qu’il venait tout juste de réaliser et dont il fit don quatre ans plus tard au Centre Pompidou, à Paris. Baptisée Héritage, elle se composait de deux sacs en plastique remplis des livres antisémites et révisionnistes hérités de son père, le tout emballé d’un grand drapeau français. « Brûler ces livres n’aurait pas été une bonne idée, les jeter dans une déchetterie, c’était prendre le risque qu’ils soient récupérés, explique Jean-Luc Moulène.
Là, c’était une manière de les expulser, de les enfouir au fond de l’art. »
Au fin fond aussi d’un département où les groupuscules néonazis allemands, traversant la frontière, ont pris l’habitude de se rassembler.
Source : Le Monde
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