Espagne ; Un embargo qui bouscule l’industrie
En Espagne, la justice s’invite au cœur des aciéries. Selon une enquête rendue publique après la levée d’une ordonnance de non-publication, plusieurs dirigeants de Sidenor — dont son président José Antonio Jainaga Gómez — sont visés pour des livraisons de métal à Israël, soupçonnées d’avoir alimenté la fabrication d’armements. Le dossier mentionne des ventes à IMI Systems (Taas), intégrée au groupe Elbit, et pose une question explosive : l’acier, produit dual par excellence, relève-t-il d’un commerce ordinaire ou de l’exportation soumise aux contrôles des matériels de défense ?
Le juge d’instruction, Francisco de Jorge, considère que les responsables du sidérurgiste auraient agi en connaissance de cause, sans autorisation préalable ni enregistrement, alors que l’Espagne a renforcé ses garde-fous. Les convocations pour audition ont été fixées au 12 novembre, à la suite d’une plainte déposée par la communauté palestinienne de Catalogne. Pour Sidenor, c’est une onde de choc : l’entreprise affirme coopérer, tout en rappelant avoir rompu ses relations commerciales avec Israël à l’été 2025, dans la foulée des décisions gouvernementales.
Ce volet judiciaire intervient dans un contexte politique et normatif en forte évolution. Début octobre, les Cortes ont approuvé l’inscription dans la loi d’un embargo total sur les armes à destination d’Israël, prolongeant un virage entamé des mois plus tôt. Le gouvernement Sánchez avait annoncé un paquet de mesures : blocage des licences d’exportation liées à la défense, restrictions de transit, interdiction d’importations en provenance des implantations de Judée-Samarie et renforcement des contrôles douaniers. Un décret antérieur prévoyait toutefois des « exceptions ponctuelles » pour raison d’intérêt national — une clause qui a crispé jusqu’au sein de la coalition.
Les faits reprochés à Sidenor s’inscrivent dans ce resserrement. Au cœur du débat : la frontière mouvante entre « acier banal » et composant stratégique. Le droit espagnol et européen imposent des autorisations pour les biens à double usage susceptibles de concourir à la production d’armements. Or l’acier destiné à des applications militaires peut, selon sa qualité, sa trempe et ses destinataires, basculer dans un régime d’exportation contrôlée. C’est précisément là que se focalise l’instruction : les dirigeants savaient-ils, ou devaient-ils savoir, que la matière allait être intégrée à des systèmes d’armes ? Et si oui, ont-ils contourné les procédures ?
L’affaire met aussi en lumière la pression militante croissante sur les chaînes logistiques. Dès juillet 2025, des organisations pro-palestiniennes avaient ciblé un navire au départ de Barcelone qui aurait transporté de l’acier attribué à Sidenor vers l’industrie israélienne, accélérant la rupture commerciale annoncée par le groupe. Parallèlement, l’exécutif espagnol a multiplié les signaux : au printemps, un contrat de munitions passé avec une entreprise israélienne avait été annulé après polémique, consolidant l’idée d’un gel quasi total des flux de défense avec Israël.
Pour l’industrie, les répercussions sont considérables. L’Espagne est un acteur européen de l’acier spécialisé ; la judiciarisation des ventes met en alerte les directions conformité, les transitaires et les assureurs. D’un côté, les autorités exigent une traçabilité renforcée et des registres d’exportation impeccables ; de l’autre, les entreprises redoutent qu’une interprétation extensible de la « complicité » fasse peser un risque pénal sur des maillons amont, pourtant éloignés du produit final.
Reste la dimension internationale. Pour Israël, IMI Systems est un fournisseur clé d’équipements utilisés pour la protection du territoire et la dissuasion. Dans un environnement où les menaces restent élevées, les restrictions européennes et ibériques alimentent une controverse : à trop politiser les flux industriels, ne fragilise-t-on pas la sécurité d’un allié stratégique et le principe du droit à la légitime défense ? À l’inverse, Madrid se prévaut d’un devoir de cohérence juridique et humanitaire, en alignant commerce extérieur et politique étrangère.
Sans préjuger des responsabilités individuelles, il importe que la procédure se déroule avec rigueur et sans instrumentalisation. Israël fait face à des ennemis déterminés ; la protection de ses citoyens et la neutralisation de menaces réelles relèvent d’un droit souverain. La transparence des exportations et le respect des lois sont nécessaires, mais ils ne doivent pas devenir l’arme d’un procès d’intention contre l’existence même de l’industrie de défense israélienne. La voie raisonnable consiste à distinguer clairement les violations avérées des règles d’exportation des coopérations légitimes visant la sécurité d’Israël et la stabilité régionale.
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