Libéralisme de guerre
La stratégie adoptée par le gouvernement israélien pour faire face aux répercussions économiques de la guerre est restée fidèle à son idéologie libérale et conservatrice. Le ministre des Finances Bezalel Smotrich, qui gère les caisses de l’État depuis deux ans et demi, applique un programme économique néolibéral, tout en laissant une large place aux principes religieux de l’orthodoxie juive.
En définitive, la guerre à Gaza et au Liban n’a pas ralenti le glissement vers la droite de l’économie israélienne ; pour financer des dépenses militaires, le gouvernement israélien est fidèle à son idéologie ultralibérale de dépenser le moins d’argent public possible. Alors que dès octobre 2023, les recettes fiscales ont reculé pour cause de récession, le grand argentier est resté réticent à des hausses d’impôt sur le revenu, préférant réduire les dépenses sociales : l’éducation, la santé et les transports publics n’ont pas échappé à de sévères coupes budgétaires.
Naturellement, la guerre a engendré de lourds couts pour l’économie : après 18 mois de combats, et sous l’hypothèse d’une fin de guerre au premier semestre 2025, la Banque d’Israël a estimé le cout global de la guerre à 250 milliards de shekels ou 65 milliards d’euros, l’équivalent de 13 % du PIB annuel israélien, un cout qui se partage à parts quasi-égales entre budget militaire et dépenses civiles d’indemnisations. Face à des recettes fiscales insuffisantes, les dépenses budgétaires sont restées soutenues depuis 2023 et pas seulement à cause de la guerre : la stabilité gouvernementale est garantie par d’importantes subventions aux partis ultraorthodoxes et sionistes religieux, ainsi que par de fortes dépenses de fonctionnement qui entretiennent un gouvernement pléthorique (33 ministres et 5 vice-ministres).
Avec l’évolution des conflits tout au long de 2024 et l’augmentation rapide des dépenses militaires, Bezalel Smotrich s’est résolu à relever la pression fiscale mais en prenant des mesures de nature libérale, c’est-à-dire en faveur des plus riches et au détriment des plus modestes. En 2025, il a choisi de ne pas relever l’impôt sur le revenu du travail, alors que les taux d’imposition en Israël sont parmi les plus bas des pays de l’OCDE. En revanche, les impôts indirects et tarifs publics ont été fortement alourdis sur le consommateur : le taux standard de la TVA a été relevé de 17 à 18 %, la taxe d’habitation s’est accrue de 5,3 %, le ticket de transports en commun a connu un bond de 33 %, les tarifs de l’électricité ont augmenté de 3,8 %.
Les retombées d’une politique budgétaire qui est devenue expansionniste dans le courant 2024 ne se sont pas fait attendre : les comptes publics ont basculé d’un excédent budgétaire de 0,4 % du PIB en 2022, à un déficit de 4,1 % du PIB en 2023 et 6,9 % en 2024. Quant à la dette extérieure, elle passera de 60 % du PIB en 2022 à 62 % en 2023 et 69 % en 2024. Les risques de guerre et les incertitudes sur les capacités de l’économie à se redresser ont conduit chacune des trois principales agences de notation à revoir à la baisse l’évaluation de la dette publique tout au long de 2024 : Moody’s a abaissé sa note de crédit d’Israël à deux reprises (février et septembre) comme Standard & Poor’s (avril et octobre) puis Fitch (aout). Sous l’effet d’un début de désinflation et de la stabilité de la monnaie, la Banque d’Israël avait abaissé son taux d’intérêt directeur de 4,75 % à 4,5 % en janvier 2024. Les contraintes de l’offre ont ensuite contribué à l’accélération de l’inflation qui est passée d’un rythme annuel de 2,5 % à 3,5 % entre février et novembre 2024 puis à 3,8 % en janvier 2025, obligeant la Banque centrale à laisser son taux d’intérêt inchangé à 4,5 % depuis un an et demi (5).
Paradoxalement, la situation de guerre n’a pas interrompu, ni même ralenti, le processus de privatisation des services publics lancé en Israël il y a quelques années. En mai 2024, le gouvernement israélien a finalisé la privatisation de la Poste en la cédant au groupe Milgam, propriété de la famille Weil qui est à la tête d’un important empire financier dans le pays. Au milieu de l’été 2024, ce fut au tour du marché de l’électricité de s’ouvrir à la concurrence, faisant perdre à la Compagnie nationale d’électricité le monopole de la distribution. Début 2025, la privatisation se poursuit avec le dernier port public israélien d’Ashdod qui sera cédé à un investisseur étranger.
JACQUES BENDELAC.
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