Le Figaro a pu consulter les assignations en justice des deux groupes publics, qui dénoncent une « entreprise orchestrée de déstabilisation » économique et institutionnelle.
L’État actionnaire « aurait dû être informé ». Mercredi, la ministre de la Culture Rachida Dati a profité de la séance de questions au gouvernement pour faire part de son agacement. Révélée par Le Figaro, l’action en justice intentée par les sociétés publiques France Télévisions et Radio France contre les médias de la galaxie Bolloré, CNews, Europe 1 et Le JDD, n’a « en aucun cas été concertée et encore moins approuvée par les tutelles », a-t-elle cinglé. Si la ministre a reconnu qu’« en l’état du droit, c’est leur liberté d’avoir choisi de s’engager dans cette voie », n’empêche, « les tutelles auraient dû être informées, auraient pu être informées », a jugé Rachida Dati, invoquant le « respect de l’engagement des deniers publics dans cette procédure ».
Lundi 10 novembre, les deux groupes publics ont déposé plainte séparément contre la chaîne d’info, la radio et le journal appartenant à l’homme d’affaires Vincent Bolloré auprès du tribunal des affaires économiques de Paris pour « dénigrement ». Dans leurs assignations respectives, que Le Figaro s’est procurées, les deux entreprises dénoncent les mêmes faits. France Télévisions pointe « une campagne coordonnée de dénigrement particulièrement virulente, menée de manière structurée et persistante (…) visant à déstabiliser économiquement et institutionnellement le groupe public, en portant atteinte à sa réputation et à la confiance du public ».
De son côté, Radio France critique une « entreprise orchestrée de déstabilisation » prenant la forme « de propos dénigrants systématiques et répétitifs » à son endroit, « martelés dans les émissions des deux chaînes et dans les colonnes de l’hebdomadaire et visant à saper la confiance de ses auditeurs en mettant notamment publiquement en doute le respect par Radio France de principes essentiels de sa mission de service public : la neutralité, l’indépendance et le pluralisme de l’information ». En guise de dommages et intérêts, France Télévisions réclame la somme de 1 million d’euros. Radio France évalue pour sa part le préjudice à un montant « qui ne saurait être inférieur à 500 000 euros ».
Des plaintes accompagnées d’extraits d’émissions
Dans sa plainte de près de 80 pages, France Télévisions estime que la démarche de CNews, d’Europe 1 et du JDD, à travers des propos « répétés, convergents, partiaux et négatifs », constitue une « entreprise de discrédit continuelle excédant le seul cadre informationnel ». L’assignation de Radio France, d’une soixantaine de pages, souligne que ces attaques reposent sur deux griefs. D’une part, une « prétendue absence de pluralisme et de neutralité de Radio France, accusée d’un parti pris idéologique de gauche ou d’extrême gauche, et l’absence prétendue d’expression (voire la censure) des opinions de droite sur ses antennes ». Et d’autre part « l’utilisation de I’argent public – “les impôts des Français” -, au soutien d’une supposée dérive du service public de l’audiovisuel, et sa privatisation nécessaire ».
Depuis la rentrée et la révélation de l’affaire Legrand-Cohen, la tension et les attaques se sont intensifiées, insistent les deux entreprises. Cette affaire représente le « point d’orgue d’une offensive brutale à l’encontre de Radio France et de France Télévisions sur les antennes de CNews et d’Europe 1, d’une ampleur et d’une violence inédite », peut-on lire dans la plainte de Radio France.
Mi-septembre, cet épisode avait d’ailleurs amené Delphine Ernotte, la présidente de France Télévisions et Sibyle Veil, la PDG de Radio France, à écrire un courrier au régulateur de l’audiovisuel, l’Arcom, pour dénoncer une « campagne de dénigrement systématique et quotidienne ». Pour appuyer leur propos, France Télévisions et Radio France avaient joint à la missive un « best of » d’extraits d’émissions particulièrement virulents. « Best of » étoffé que l’on retrouve dans les deux assignations à l’encontre de CNews, d’Europe 1 et du JDD.
Première audience le 29 janvier
Si le dossier s’est aujourd’hui déplacé sur le front judiciaire, c’est qu’en réalité il ne concerne pas l’Arcom. Trancher le sujet des accusations de dénigrement, un grief constitutif de la concurrence déloyale n’entre pas dans son champ de compétence. En outre, « son job n’est pas de siffler la fin de la récré entre les acteurs du secteur », insiste un bon connaisseur de l’industrie.
L’audiovisuel public n’a pas choisi la voie de l’apaisement. Avec le risque d’attiser les braises. « Est-ce que le conflit s’était vraiment calmé ? », tempère un salarié de l’audiovisuel public. « Étant donné la polarisation croissante des médias qui accompagne la polarisation politique, on est en droit de penser que ces attaques ne sont pas épisodiques », poursuit-il. Le danger, toutefois est de se retrouver pris au piège d’une guerre de surenchère. Au moindre faux pas, l’audiovisuel public sera épinglé. « S’ils attaquent, on va attaquer. Et là je vous le dis, on va s’amuser sur le dénigrement », a d’ores et déjà promis Pascal Praud mardi soir durant son émission « L’Heure des pros 2 », expliquant que les critiques formulées à l’encontre du service public étaient bien souvent des « réponses » à leurs accusations. Il a en particulier ciblé un récent billet, qu’il a qualifié de «dégueulasse», du chroniqueur Bertrand Chameroy se moquant de CNews sur la radio publique France Inter. Le 18 septembre, Delphine Ernotte avait aussi qualifié CNews de chaîne d’extrême droite. CNews, Europe 1 et Le JDD se retrouveront au tribunal face à France Télévisions et Radio France pour une première manche le 29 janvier prochain.
JForum.Fr et le Figaro
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