Menace de « couper cette sale tête », convocation d’ambassadeur, accusations de « propos erronés »… Les relations diplomatiques entre le Japon et la Chine entrent en pleine zone de turbulences. Vendredi dernier, la nouvelle Première ministre japonaise a affirmé devant le Parlement nippon qu’une situation d’urgence à Taïwan impliquant « le déploiement de navires de guerre et le recours à la force pourrait constituer une menace pour la survie du pays ».
Pour beaucoup, Sanae Takaichi affirmait ainsi qu’une attaque sur l’île, dont la Chine revendique la souveraineté, pourrait pousser le Japon à soutenir militairement l’île, en invoquant la « légitime défense collective » d’une loi de 2015. « En disant que l’archipel considérerait une attaque sur Taïwan comme un enjeu de sécurité et d’existence même du Japon, Sanae Takaichi formule ce que tout le monde savait déjà, sans jamais le dire ouvertement pour autant », décrypte Jean-Philippe Béja, directeur de recherche émérite au CNRS.
Le fait que le Japon serait partie prenante d’un conflit en cas d’invasion chinoise de Taïwan, « c’est ce que pensaient déjà beaucoup d’observateurs », abonde Mathieu Duchâtel. Pour le directeur du programme Asie à l’Institut Montaigne, la Première ministre japonaise glisse d’une ambiguïté stratégique vers une clarté stratégique avec ses propos.
Quand la Chine hausse (trop) le ton
Alors que Pékin affûte ses couteaux et tâte régulièrement le terrain d’une éventuelle prise militaire de Taïwan, la fermeté de Tokyo agace l’Empire du milieu. Le consul général de Chine à Osaka, Xue Jian, a menacé sur X de « couper cette sale tête sans la moindre hésitation », avant que son message ne soit rapidement supprimé. Tokyo a bien entendu protesté, fustigeant un commentaire « extrêmement déplacé ». Dans l’Empire du milieu, si la presse d’Etat peut tirer à boulets rouges, les officiels se montrent généralement plus prudents. « Il y a eu rétropédalage, car ça ne donne pas l’image d’un pays responsable et mesuré » malgré des alternances entre tension et détente, glisse Jean-Philippe Béja.
Les deux puissances asiatiques partagent une histoire houleuse. « L’histoire est extrêmement complexe entre les deux pays, rappelle Jean-Philippe Béja. Taïwan était une colonie japonaise et la Seconde Guerre mondiale a laissé des traces. » Tokyo a en effet envahi une grande partie de la Chine dans les années 1930 et multiplié les crimes de guerre dans la région. Et, contrairement à l’Allemagne, le pays n’a jamais reconnu ses exactions. En conséquence, les cicatrices restent vives pour les populations. Toutefois, « ce ne sont pas les querelles historiques qui façonnent la politique, mais la politique qui choisit de mobiliser les querelles historiques qui peuvent lui servir », rappelle le spécialiste.
Sanae Takaichi refuse de se « coucher » face à la Chine
Le parti communiste chinois veut aussi tester les limites de cette nouvelle dirigeante, au pouvoir depuis moins d’un mois dans l’archipel. Son élection n’augurait pas un apaisement entre les deux pays. « Elle est catégorisée par Pékin comme une Première ministre très dure sur le sujet chinois. Après sa victoire, elle n’a même pas reçu de télégramme de félicitations de la part de Xi Jinping », rappelle Mathieu Duchâtel.
Avec l’ancien Premier ministre Fumio Kishida, la relation sino-japonaise était entrée dans un moment de relative stabilité. Mais Sanae Takaichi porte l’héritage de l’ancien Premier ministre japonais Shinzo Abe, assassiné en 2022 et lui-même particulièrement dur vis-à-vis de la Chine. Elle s’inscrit dans ce grand tournant, celui de participer activement à la politique de dissuasion des Etats-Unis sur Taïwan », souligne Mathieu Duchâtel.
Alors que l’administration Trump fait porter le risque d’un « abandon de l’île par les Etats-Unis, ces déclarations sont donc un moyen pour le Japon de rassurer les Taïwanais et de mettre en garde la Chine », développe Jean-Philippe Béja. C’est aussi une façon pour Sanae Takaichi de montrer qu’elle « ne se couchera pas devant Pékin ». Une tactique importante pour son image à l’intérieur du pays et, surtout, calculée. Dans ce conflit très « réglé », Jean-Philippe Béja se veut donc rassurant : « Une guerre sino-japonaise n’est absolument pas sur la table. »
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