« Cosmopolite » de Stefan Zweig : lettres d’un juif européen à l’épreuve de l’Histoire

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Dans un monde troublé par la résurgence des haines identitaires, la lecture de Cosmopolite, recueil de lettres et d’écrits de Stefan Zweig, résonne aujourd’hui avec une force inattendue. Publié récemment en français, cet ouvrage rassemble des textes rares et éclairants sur la judéité de l’écrivain autrichien, son rapport complexe au sionisme, à Israël et à l’antisémitisme grandissant de l’Europe des années 1930.

Un disciple d’Herzl

Stefan Zweig, né en 1881 à Vienne dans une famille juive aisée, a été un jeune admirateur de Theodor Herzl, son aîné de seize ans et figure tutélaire du sionisme naissant. Élève au lycée où Herzl enseignait, Zweig a été marqué par son charisme autant que par la vivacité intellectuelle du judaïsme viennois de la fin du XIXe siècle. Dans ses premières lettres, on sent une admiration sincère, bien que teintée d’une distance prudente vis-à-vis du projet sioniste.

Zweig, profondément européen, croyait à l’idée d’un monde sans frontières, où la culture servirait de pont entre les peuples. Il se décrit d’ailleurs comme « juif par naissance, cosmopolite par conviction », d’où le titre du recueil. Ce positionnement, à la fois humaniste et éminemment personnel, devient au fil des décennies un dilemme tragique.

L’évolution d’une pensée

Ce qui frappe dans Cosmopolite, c’est la trajectoire d’une conscience. D’un optimisme feutré au tournant du siècle, Zweig glisse peu à peu vers une angoisse lucide à mesure que l’antisémitisme s’installe durablement en Autriche et en Allemagne. Les lettres des années 30, certaines adressées à des amis juifs en exil, témoignent de son engagement discret mais résolu contre les persécutions.

Zweig refuse la haine, le nationalisme, la tentation du repli. Il ne se résout pas à quitter Vienne, puis l’Europe, sans écrire encore et encore sur la valeur du dialogue, de l’universel, de la culture comme rempart contre la barbarie. Il n’est pas militant, il est résistant par la plume.

Un rapport ambivalent à Israël

L’État d’Israël, que Zweig n’aura pas connu de son vivant (il se suicide au Brésil en 1942), plane dans le recueil comme un horizon absent. Pourtant, certaines lettres montrent que le projet sioniste le questionne profondément, lui qui rêvait d’un judaïsme ouvert, diasporique, ancré dans toutes les cultures.

Sans condamner Herzl, il s’en éloigne, préférant l’utopie d’une Europe réconciliée à celle d’un État juif. Pourtant, face à la montée des pogroms, aux lois de Nuremberg et à l’indifférence des grandes puissances, on sent le doute l’envahir. Peut-être avait-il sous-estimé la force des forces qui se dressaient contre son rêve de fraternité.

Un livre pour aujourd’hui

Lire Cosmopolite en 2025, c’est regarder en face le miroir d’une Europe redevenue fébrile. Les textes de Zweig nous rappellent que la haine ne surgit jamais d’un seul coup, qu’elle s’installe lentement, dans les replis du langage et les silences politiques. C’est aussi une invitation à relire l’Histoire pour mieux comprendre notre présent.

Plus qu’un témoignage, Cosmopolite est une œuvre morale, un plaidoyer pour une identité multiple, fluide, assumée sans drapeau ni clôture. Dans un temps où la judéité est parfois instrumentalisée, parfois attaquée, ce livre redonne à la figure du juif européen une voix nuancée, douloureuse, essentielle.

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