Alors que la COP30 s’ouvre lundi au Brésil, les éleveurs de la forêt amazonienne se retrouvent au centre des critiques pour leur rôle dans les incendies dévastateurs. En 2024, près de 18 millions d’hectares de l’Amazonie brésilienne ont brûlé, un record historique.
Et une grande partie de ces incendies a démarré sur des terres agricoles avant de se propager à travers une végétation asséchée, victime du changement climatique. Pour la première fois, plus de forêt tropicale que de pâturages a brûlé.
Utiliser le feu pour « nettoyer » les terres
A São Félix do Xingu, dans l’État du Pará, les habitants surnomment le feu, « Jean Rouge ». Dans cette municipalité, plus de 7.000 incendies ont été enregistrés l’an dernier, le plus grand nombre du pays. Cette commune, grande comme le Portugal, abrite le plus grand cheptel de vaches du Brésil avec 2,5 millions de têtes, en partie destinées à l’exportation. C’est aussi celle qui génère la plus importante émission de CO2 du pays, en raison de la déforestation. Ici, utiliser le feu dans le ranch permet de renouveler le sol en éliminant les herbes sèches et de faire pousser un pâturage plus nutritif.
« La main-d’œuvre coûte cher, les pesticides aussi. Ici, nous n’avons aucun financement public », explique Antonio Carlos Batista, éleveur, propriétaire de 900 bovins. « Le feu est une méthode bon marché pour entretenir le pâturage », explique-t-il. « Pendant la saison sèche, de l’essence et une allumette suffisent. La pratique est courante. Quand quelqu’un va allumer un feu, il dit : « Je vais embaucher Jean Rouge ! » », raconte ce Brésilien de 62 ans.
Une impunité règne
L’État du Para a interdit complètement les incendies pour l’entretien des pâturages mais l’impunité règne. « Tout le monde a WhatsApp : quand une voiture de police ou de l’Agence de contrôle environnemental Ibama apparaît, les gens se préviennent les uns les autres. Comme ça, même si quelqu’un travaille sur son tracteur, il peut le cacher et s’enfuir », glisse José Juliao do Nascimento, un autre éleveur local.
Dans le coin, il y a peu de représentants des pouvoirs publics pour mettre des amendes ou saisir des terres. Les fonctionnaires sont « menacés », confie Rodrigo Agostinho, président de l’organisme public de contrôle pour l’environnement (l’Ibama). Mais les petits éleveurs rencontrés se disent persécutés comparé aux grands groupes. La police « nous traite comme des criminels de l’Amazonie, responsables des incendies, de la déforestation. Mais personne ne nous aide », déplore Dalmi Pereira, 51 ans, éleveur de la commune de Casa de Tabua.
Des amendes jamais payées par les géants agro-industriels
Pendant ce temps, Agro SB, le géant agro-industriel de la viande et de l’agriculture dans la région, condamnée à six amendes jamais payées pour infractions environnementales depuis 2013, a concentré plus de 300 des incendies enregistrés à Sao Félix en 2024. Cette même année, elle a reçu un label « vert » du ministère de l’Agriculture et de l’Élevage pour « ses pratiques de responsabilité sociale et de durabilité environnementale ».
Agro SB « bénéficie d’un traitement à part », s’indigne l’éleveur Dalmi Pereira alors que « nous, nous restons à la porte » des administrations. Agro SB assure que les incendies enregistrés sur sa propriété « ont leur origine dans les zones envahies » et qu’elle porte plainte contre ses occupants.
Inverser la tendance de la déforestation par incendies
Aujourd’hui, en Amazonie, « le grand défi est la déforestation par incendies », estime la ministre brésilienne de l’Environnement Marina Silva. Pour inverser la tendance, il faut plus de pompiers, davantage de sanctions et surtout un changement de culture. Le maire de Sao Félix, Fabricio Batista réclame effectivement plus « d’infrastructures » au gouvernement fédéral pour lutter contre les incendies. « Ici, il n’y a pas une seule brigade de pompiers. Quand il y a un incendie, qui va l’éteindre ? ».
En Amazonie, les communautés locales et les petits producteurs utilisent le feu de manière « culturelle » mais ce sont « surtout les grandes propriétés » qui recourent aux flammes pour la déforestation et le renouvellement des pâturages, sans oublier les orpailleurs, rappelle Cristiane Mazzetti, coordinatrice des forêts pour Greenpeace Brésil.
Pour Regino Soares, producteur de 65 ans et président de l’association de petits éleveurs Agricatu, qui a lui-même perdu un cinquième de ses bêtes dans le feu, c’est surtout une question de bonnes pratiques à mettre en œuvre de ranch en ranch, de « sensibilisation ». « Mettre le feu au bon moment, faire des pare-feu dans les bonnes proportions, retirer la végétation asséchée autour des pâturages, se prévenir entre voisins quand on allume un feu… »
Depuis le retour de Lula, après des années de laisser-faire sous Bolsonaro (2019-2022), l’Ibama a intensifié ses opérations, confirme son président Rodrigo Agostinho. Le nombre d’amendes environnementales a augmenté, un travail compliqué car il faut identifier la personne qui a craqué l’allumette. Et le nombre d’incendies enregistré depuis janvier est le plus faible depuis le début des relevés en 1998. L’État a mobilisé un record de 4.300 pompiers, 800 véhicules, onze avions. Des ressources cependant très insuffisantes pour protéger une forêt grande environ comme dix fois la France. Lors des deux premiers mandats de Lula (2003-2010) les politiques de surveillance et de contrôle avaient permis une réduction de 70 % de la déforestation en Amazonie.
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