Continuez à vous promener à dos de chameau
Smotrich s’excuse, Riyad maintient ses lignes rouges
Quelques heures auront suffi pour que le ministre israélien des Finances, Bezalel Smotrich, passe d’une pique à un mea culpa. Après avoir lancé — en réaction aux informations selon lesquelles Riyad conditionnerait la normalisation avec Israël à la création d’un État palestinien — qu’on pouvait « continuer à se promener à dos de chameau dans le désert saoudien », il a présenté des excuses publiques. Dans le même souffle, il a redit s’opposer à toute conditionnalité qui « nie l’héritage, les traditions et les droits du peuple juif sur sa patrie historique ». L’épisode cristallise un nœud politique crucial : l’équation entre la normalisation avec l’Arabie saoudite, le dossier palestinien et la gestion des tensions au sein de la droite israélienne.
Le contexte immédiat a haussé la température. La Knesset vient d’adopter en lecture préliminaire des propositions visant à appliquer la souveraineté israélienne en Judée-Samarie. Ce vote symbolique, porté par des formations national-religieuses, s’est fait à rebours de la ligne du Premier ministre Benjamin Netanyahou, qui cherche à éviter un affrontement frontal avec Washington et Riyad. La visite à Jérusalem du vice-président américain J.D. Vance a ajouté de la pression : il a fustigé une « provocation stupide » et rappelé l’opposition ferme de l’administration Trump à toute annexion, au moment même où la Maison Blanche tente de stabiliser un cessez-le-feu fragile et d’ouvrir une voie de reconstruction encadrée à Gaza.
Sur le fond, la position saoudienne n’est pas nouvelle : le royaume lie depuis des mois l’établissement de relations officielles avec Israël à un horizon politique crédible pour les Palestiniens. Cette exigence a pris diverses formulations — du « chemin irréversible » à l’État palestinien à des garanties concrètes en matière de gouvernance et de sécurité — mais l’axe est constant. La déclaration abrasive de Smotrich, prononcée lors d’un colloque sur la halakha à l’ère technologique, a donc immédiatement heurté un partenaire potentiel que Washington courtise activement.
Pourquoi, alors, des excuses si rapides ? Parce qu’au-delà de la joute verbale, l’enjeu stratégique est immense. Une normalisation avec Riyad réécrirait la carte régionale : corridor économique Inde-Golfe-Méditerranée, coordination sécuritaire contre l’axe pro-iranien, investissements énergétiques et technologiques. Sur le plan intérieur, elle offrirait à Israël une profondeur diplomatique et industrielle considérable, difficilement compatible avec des gestes unilatéraux en Cisjordanie. Les acteurs clés de la coalition le savent, même si leurs bases militantes poussent à « formaliser » une souveraineté en Judée-Samarie après l’épreuve de la guerre contre le Hamas.
Côté américain, le message est désormais explicite : pas d’annexion, sinon la relation stratégique se tend. Cette ligne rouge s’articule avec un agenda plus large : démantèlement durable des capacités du Hamas, reconstruction de Gaza indexée à la sécurité, relance d’une gouvernance palestinienne réformée et élargissement des Accords d’Abraham avec, en tête, l’Arabie saoudite. Dans ce cadre, chaque dérapage rhétorique — surtout lorsqu’il touche un partenaire arabe convoité — devient un risque à circonscrire rapidement.
Politiquement, l’épisode Smotrich révèle aussi une compétition d’autorité : qui fixe, in fine, la boussole de la politique étrangère d’Israël ? Les votes symboliques à la Knesset testent les limites du centre de gravité gouvernemental ; les démentis du Premier ministre et les recadrages de Washington montrent que l’arbitrage s’opère aux points de friction. L’opinion publique israélienne, quant à elle, reste partagée : une partie veut capitaliser diplomatiquement l’effort de guerre et sécuriser un alignement avec les États-Unis et les partenaires sunnites ; une autre redoute que la « fenêtre saoudienne » n’exige des concessions irréalistes sur la Cisjordanie.
Reste un fait politique têtu : sans Riyad, la stabilisation régionale restera incomplète. Et sans garde-fous américains, le processus peut dérailler. D’où l’importance d’une grammaire publique maîtrisée — y compris dans les moments de surenchère interne — et d’un agenda graduel qui rende compatibles normalisation, sécurité d’Israël et gestion responsable du dossier palestinien.
La force d’Israël ne tient pas qu’à sa puissance militaire, mais à sa capacité à bâtir des alliances durables. Or une normalisation avec l’Arabie saoudite, adossée au parapluie américain, renforcerait la sécurité des Israéliens, isolerait davantage l’axe pro-iranien et ouvrirait des horizons économiques majeurs. Les excuses de Smotrich, au-delà du geste, rappellent l’essentiel : préserver l’intérêt stratégique d’Israël exige de la discipline politique et une diplomatie ambitieuse — sans renoncer à ses droits historiques ni à sa sécurité.
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