Collaboration: « un silence pesant » dans certaines familles

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Quand « un silence assez pesant » sur la collaboration étouffe certaines familles, 80 ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale

Article rédigé par Clément Parrot

Quatre-vingts ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, certains descendants de collaborateurs ont découvert tardivement l’histoire de leurs parents ou grands-parents.  De nombreux foyers français n’ont pas fait de résistance entre 1940 et 1945. Les enfants des collaborateurs, tout comme leur descendance, héritent d’une histoire familiale complexe, tissée de mythes et de non-dits. Plusieurs ont d’ailleurs choisi de se libérer du poids du secret en écrivant un livre.

« Ma mère m’a dit : ‘Il faut vraiment que ce soit anonyme’. » Paul*, dont l’arrière-arrière-grand-père a été ministre du régime de Vichy, a du mal à faire parler son entourage sur le passé de son aïeul. « Ma mère est pourtant loin de tout ça, mais elle garde inconsciemment cette gêne transmise par les anciens, ce grand tabou, ce secret familial bien enfoui qu’il ne faut surtout pas remuer. » Huit décennies après le 8 mai 1945 et la victoire des Alliés sur l’Allemagne nazie, de nombreuses familles françaises restent marquées, parfois dévastées, par les actes de collaboration de leurs ancêtres.

Après la Libération, le pays a très vite embrassé le mythe gaulliste d’une France majoritairement résistante, occultant tout un pan de son histoire. Avec les premières œuvres évoquant les zones d’ombre de l’Occupation, comme le film Le Chagrin et la pitié(Nouvelle fenêtre) de Marcel Ophüls en 1971, certaines langues se délient. Un an plus tard, Philippe Douroux a 17 ans quand son père réunit toute la famille pour une terrible confession. « Il nous rassemble dans le salon et nous dit : ‘J’ai combattu avec les Allemands jusqu’à Berlin’ », raconte cet ancien journaliste de Libération, qui vient de publier Un père ordinaire.

« C’est une bascule, un moment de face A, face B. On dit souvent qu’il faut tuer le père. Moi, je n’ai pas eu à le faire. Il s’est écrabouillé devant moi. » Philippe Douroux, auteur d’« Un père ordinaire » à franceinfo

L’adolescent avait jusque-là refoulé les allusions antisémites et les remarques racistes : « Ma mécanique a consisté à fermer les oreilles aux commentaires. » Il s’échappe ailleurs, sur le terrain de foot, au temple protestant. « Il y avait quelque chose d’autre à côté de cette famille toxique », explique-t-il. Même après la révélation, il évite longtemps d’affronter l’histoire de son père, Alfred Douroux, qui s’est engagé en 1943 dans la Wehrmacht, avec la Légion des volontaires français (LVF), puis dans la division Charlemagne de la Waffen SS.

Un jour, l’ancien SS tend à son fils une photo de lui en uniforme. « Je le regarde un peu désespéré et je lui dis que ça ne m’intéresse pas : ‘C’est ta vie, ce n’est pas la mienne’, se souvient-il. C’est important de créer d’abord cette séparation. Je ne suis pas responsable de ce qu’il a fait et je n’ai pas du tout d’intérêt, à ce moment-là, pour cette histoire. Cela viendra peu à peu. » Il chemine et entame en 2018 l’écriture de son livre sur la participation des volontaires français aux massacres commis par les nazis en Biélorussie et en Ukraine, avec l’objectif de dépasser les récits mythifiés des anciens de la LVF.

« J’essaie d’en parler mais mon père s’énerve »

Luc Duwig a pour sa part comblé progressivement les trous concernant l’absence de son grand-père aux repas de famille. A l’âge de 15 ans, il apprend par son oncle que son papy, interprète pour les nazis pendant la guerre, a été accusé de collaboration, condamné à mort par contumace et a fui en Argentine sous un faux nom. « Mais il règne dans la famille un silence assez pesant, beaucoup de non-dits, ma mère posait des questions et n’avait pas de réponse », explique celui qui a raconté son histoire dans le livre Mes intimes étrangers.

Il se lance sur les traces de son grand-père jusqu’à à Buenos Aires, mais il lui faut attendre plus de 25 ans et la découverte du travail d’un historien pour comprendre que son aïeul n’était pas que traducteur. Il a notamment participé à un peloton d’exécution de lycéens maquisards. « Ce qui a été le plus dur, c’est d’apprendre que ma grand-mère a été liée à tout ça en participant notamment à des interrogatoires, car j’étais très proche d’elle », confie-t-il.

« Je l’ai découvert après la mort de ma grand-mère et je l’ai vécu comme une véritable gifle, une impression d’être trahi par elle. » Luc Duwig, auteur de « Mes intimes étrangers » à franceinfo

Lucile* tombe pour sa part sur des petits cailloux au fil des années, comme cet exemplaire de Mein Kampf dans une pile de livres. A l’occasion de l’enterrement de son grand-père en 2017, elle apprend par sa grand-mère l’existence d’un secret familial, d’une lettre de dénonciation écrite par son arrière-grand-père pendant la guerre. « J’essaie d’en parler avec mon père, mais il s’énerve. Il est incapable de me donner des réponses, raconte-t-elle. Il évoque le ‘contexte particulier’ de la guerre et me reproche de faire un raccourci sur des potentielles collaborations. »

« Un peu obsessionnelle », elle persévère et découvre en ligne que la fameuse lettre est reproduite dans un livre. Elle achète l’ouvrage et apprend que le père de son grand-père a dénoncé un notaire qui aidait des Juifs en leur fournissant des papiers. « Cette lettre a des conséquences, puisqu’il cite des noms, comme les Crémieux. Et on trouve dans les archives la trace d’une famille Crémieux, déportée sans retour vers Auschwitz en juillet 1943. » Lors d’un repas de Noël, il y a deux ans, la jeune femme confronte à nouveau son père, qui s’énerve : « Il le prenait personnellement, comme si c’était de sa responsabilité. Comme si le fait d’avoir un grand-père collabo, ça passait dans les gènes. » Lucile parvient malgré tout à renouer le dialogue, mais n’obtient pas toutes les réponses à ses questions.

« On a maquillé le cadavre »

Dans certaines familles, les choix faits pendant l’Occupation ont été assumés. Tristan Mordrelle, né à Buenos Aires en Argentine en 1958, a très vite su que son père Olivier Mordrelle, militant nationaliste breton, avait été condamné à mort par contumace pour avoir rejoint l’Allemagne dès 1939. « Tout a été mis sur la table, assure ce militant d’extrême droite. Mon père réfutait la notion de collaborateur puisqu’il est entré en Allemagne dès le 30 septembre 1939. Il se vivait comme un réfugié politique, comme un allié, non pas comme un collaborateur. » Pour lui, il n’est pas question de honte ou de regrets. « Il vivait sa condamnation à mort comme un brevet de civisme. Elle était même affichée sur son bureau. En tant que patriote breton, il ne pouvait pas faire autrement. »

L’ancien procureur Philippe Bilger, aussi, se souvient pour sa part des visites rendues à son père à la prison d’Oermingen (Bas-Rhin) pendant son enfance, mais il a mis quelques années à s’intéresser à l’histoire paternelle. Joseph Bilger, autonomiste alsacien, a été condamné en 1947 à dix ans de travaux forcés et à vingt ans d’indignité nationale pour intelligence avec l’ennemi. « Il a voulu rester sur place en tentant de négocier, pour faire en sorte qu’il y ait le moins de mal possible fait aux gens », défend l’ancien magistrat, aujourd’hui chroniqueur sur CNews. « Je refuse le mot collaborateur, je préférerais qu’on parle d’une personne obsédée par le moindre mal. »

« Compte tenu de ce que j’ai lu dans son procès, de ce que je sais du climat de l’époque, je n’aurais pas été choqué s’il avait été acquitté. » Philippe Bilger, ancien procureur à franceinfo

Pour beaucoup, l’enfance est un refuge protégé des angoisses du passé. L’écrivain Alexandre Jardin a mis du temps à se questionner sur son grand-père Jean Jardin, directeur de cabinet de Pierre Laval sous Vichy. Il y a d’abord les livres de son père, Pascal Jardin, qui a écrit sa version de l’histoire, notamment dans Le Nain jaune, Grand prix du roman de l’Académie française en 1978. « C’est un grand livre qui ne dit pas toute la vérité. On a maquillé le cadavre. On a montré pour ne pas voir, confie Alexandre Jardin. Mais mon père est alors au maximum de ce que sa génération peut dire. »

« Il y a un problème dans ta famille »

L’auteur commence à comprendre dès l’adolescence qu’un « truc était caché dans le placard ». « Un jour, un camarade de classe me dit : ‘Il y a un problème dans ta famille, j’ai lu les livres de ton père et les dates ne sont pas bonnes », raconte-t-il. Jean Jardin dirige le cabinet Laval du printemps 1942 à l’automne 1943, « c’est-à-dire qu’il est aux affaires pendant toute la saison des grandes rafles », explicite son petit-fils. Quand il en parle à son frère et à son cousin, Alexandre Jardin reçoit toujours la même réponse : « Mais non, grand-père ne savait rien. »

L’écrivain met encore quelques années à réaliser et à l’âge de 21 ans, il aborde le sujet lors d’un repas de famille estival : « Je mets les pieds dans le plat. Et là, il y a un blanc. L’un de mes oncles brise le silence : ‘Vous ne trouvez pas que c’est un temps pour faire du ski nautique ?’ Et la discussion bifurque… Je suis resté avec ce que j’avais dit, avant que mon grand frère m’engueule : ‘On n’est pas une famille de nazis, on est les Kennedy, on n’a rien à voir avec ça’. »

Alexandre Jardin n’en parle plus pendant des années, avant de choisir de raconter sa vérité dans Des gens très bien, paru en 2010. « Je publie ce livre au moment où tout le monde est mort, où personne ne peut plus être inquiété », confie-t-il. Mais l’ouvrage entraîne de vives réactions(Nouvelle fenêtre) et une rupture familiale. « Celui qui a parlé est le coupable. Aujourd’hui, la moitié de ma famille ne me parle plus. »

« Il y a quand même un tarif, mais c’était impensable de ne pas publier ce livre. Je ne pouvais pas transmettre ça à mes gamins. » Alexandre Jardin, auteur de « Des gens très bien » à franceinfo

L’écrivain ne voulait pas vivre le destin de ces familles qui ont sombré dans la folie à force de se cacher la vérité. « Les collaborateurs sont des gens qui ont brûlé leurs familles, psychiquement, estime-t-il. Il y a une impossibilité de vivre avec le réel, donc ça fabrique des fous. »

« Il est trop tôt pour faire la paix »

Philippe Douroux a conscience d’avoir ouvert une « blessure » autour de lui en publiant son histoire. « Dans toutes les familles que je croise, c’est très difficile. Parce que nous sommes tous programmés pour aimer nos parents », estime l’ancien journaliste. Il n’a « jamais ressenti de culpabilité », mais une forme de « responsabilité » vis-à-vis de l’histoire de son père et des crimes de la LVF, ce qui l’a conduit à prendre la plume.

« J’aurais eu honte de ne pas avoir écrit ce livre. J’aime bien me dire que j’ai raccommodé un bout d’histoire. » Philippe Douroux, auteur d’ »Un père ordinaire » à franceinfo

De son côté, Luc Duwig a également affronté la réprobation familiale après la publication de son livre. « Ma tante m’a dit que je n’avais pas le droit de l’écrire, que je salissais notre nom. Il ne fallait pas briser le silence », témoigne-t-il. L’écriture peut faire partie d’un processus de reconstruction, « même si je n’ai pas attendu le livre pour sortir du silence, j’ai fait une très longue analyse qui a duré seize ans », raconte cet ancien médecin urgentiste. Certaines plaies mettent de longues années à cicatriser. « Il est trop tôt pour me réconcilier avec vous et faire la paix », écrit-il à ses grands-parents dans son ouvrage. Aujourd’hui, il se dit « tranquille » mais la question du pardon reste « difficile » : « Ce n’est pas à moi de leur pardonner, c’est à leurs victimes, aux résistants torturés. Moi, je suis victime collatérale, parce que j’ai hérité de cette histoire de merde. »

* Les prénoms ont été modifiés à la demande des personnes interrogées.

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