Projets d’aide humanitaire annulés. Personnel licencié. Et des millions de vies mises en danger. Les effets en cascade du démantèlement de l’USAID, l’agence américaine pour le développement international, se font gravement sentir neuf mois après le choc du premier décret de l’administration Trump le 20 janvier suspendant l’aide pour 90 jours. A la tête du département d’efficacité gouvernementale, Elon Musk avait déclaré en février sa fermeture définitive, qualifiant « d’organisation criminelle » l’agence. Son personnel a été licencié et 80 % des financements accordés dans le monde ont été supprimés en mars. Les programmes restants sont passés sous le contrôle du département d’Etat.
Ces coupes radicales « ont des conséquences dévastatrices », dénonce Amanda Klasing, directrice de plaidoyer aux Etats-Unis pour Amnesty International. Des programmes d’aide d’urgence, de vaccination ou de distribution de médicaments contre le VIH ont été stoppés, a alerté l’ONG dans un rapport en juin, mettant en danger la vie de millions de personnes en Afrique du Sud, en Haïti, au Yémen, en Afghanistan… « L’administration Trump s’attaque à l’idée fondamentale selon laquelle tous les êtres humains méritent de jouir de droits », critique-t-elle.
Bataille judiciaire à Washington
A Washington, le flou règne encore sur le financement des programmes coupés ou relancés depuis. La bataille judiciaire se poursuit aussi : un juge fédéral a ainsi empêché l’administration Trump de couper 12 milliards de dollars d’aide destinés à des associations de santé dans une décision le 3 septembre, qui fera l’objet d’un appel, rapporte Bloomberg. Premier contributeur mondial, les Etats-Unis ont fourni pour 44 milliards de dollars d’aide en 2024 avec l’agence USAID, ce qui correspond à environ 40 % de l’aide internationale. Le système d’aide internationale a donc été brutalement chamboulé, dans un contexte de baisses des financements des autres pays donateurs.
« Le démantèlement de l’USAID est une étape importante dans la baisse de notre financement, appuie Gilles Lordet, chargé de plaidoyer et porte-parole de Handicap international (HI), mais celle-ci avait déjà commencé auparavant », avec des baisses de la part de la France, du Royaume-Uni, des Pays-Bas. En 2025, environ 25 projets d’HI financés par l’USAID ou le département d’Etat ont été gelés ou annulés. Cela concerne des projets de déminage, d’éducation inclusive, des centres de réhabilitation, de logistique humanitaire ou d’aide aux réfugiés, rapporte l’ONG.
Des milliers de vies touchées, des emplois supprimés
« Sur le terrain, c’est plus de 300.000 personnes qui bénéficiaient de nos actions et une centaine de partenaires locaux, y compris des organisations de personnes handicapées et des organisations communautaires, qui ont été impactées par ces gels et réductions », précise l’ONG. En interne, plus de 1.000 emplois (sur 5.000) ont été supprimés et le recrutement d’une cinquantaine de postes a été gelé.
Dans un communiqué en juin, Action contre la faim a alerté sur les risques que font peser la suspension ou l’arrêt de projets. Par exemple, au Mozambique, dans la province du Cabo Delgado, plus de 17.000 personnes ont été privées d’aide alimentaire, de kits non alimentaires, de semences, et de la réhabilitation de points d’eau et de latrines. En Jordanie, 3.475 personnes, réfugiés syriens ou familles jordaniennes, ne recevront pas l’aide monétaire prévue pour faire face aux dépenses de base comme la nourriture ou l’achat de médicaments.
« Il règne un climat de peur »
La révision des aides est toujours en cours. Et pour déterminer quelles ONG pourront en bénéficier un questionnaire correspondant à l’agenda politique de l’administration Trump leur avait été envoyé en mai par le département d’Etat, a révélé Politico. Il a pu leur être demandé d’expliquer en quoi leurs projets servent la politique « America First » et de signaler ceux mettant en œuvre des politiques en faveur de la diversité (DEI), des droits des personnes LGBT+ ou du changement climatique.
« Il règne un climat de peur dans les ONG, la société civile, s’inquiète Amanda Klasing. Cela empêche aussi le Congrès d’exercer pleinement son autorité pour demander des comptes à l’administration Trump et affecte le personnel du gouvernement, qui s’autocensure. » Elle raconte ainsi une anecdote éloquente : un message concernant une violation de droits humains de réfugiés en Asie du Sud-Est n’a pas pu être transmis au département d’Etat par une ONG. Les employés de l’ambassade n’ont pas voulu l’envoyer car il contenait le mot « réfugiés ».
« Eviter de s’attirer les foudres de l’administration Trump »
Sous couvert d’anonymat, une ONG française explique que leur branche aux Etats-Unis les invite à ne pas évoquer la nouvelle mandature Trump. « L’idée est d’éviter d’attirer l’attention ou de s’attirer les foudres de l’administration Trump », raconte ce responsable. Pour éviter le retour de bâton sur l’égalité des genres, la protection de la biodiversité ou la lutte contre le réchauffement climatique, « on fait attention à ce que ces programmes évitent de trop mentionner ces enjeux et on essaie de gommer un maximum ce vocabulaire-là pour montrer que ça sert des objectifs d’influence » américains.
Si l’aide internationale a toujours été un outil de soft power, avec des critères d’attribution, l’administration Trump pousse les curseurs encore plus loin et remet en cause la notion même de droit humanitaire. Une politique qui montre aussi les failles du modèle économique des ONG. « Le système est arrivé à un moment de fragilité, analyse Jacques Serba, chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), spécialisé dans les domaines de l’action humanitaire. Le multilatéralisme dysfonctionne, les blocs s’affrontent à nouveau, l’ONU n’a plus la main. Il y a eu une trop grande concentration des fonds publics dans certains pays et ONG. »
La crainte d’un effet domino
Diversifier les sources de financement public, financer davantage les associations locales ou se tourner vers les fondations américaines font partie des pistes explorées. « Les ONG regardent tous azimuts, et ont été obligés de puiser dans leurs réserves financières, poursuit-il. Celles qui en avaient réussissent mieux », mais cela reste un casse-tête financier.
Notre dossier sur l’aide humanitaire
Chez WWF France, on craint un effet domino avec le retrait de financeurs privés sans la garantie apportée par une agence publique. « On a une accumulation de signaux faibles, confie Jean Burkard, directeur de plaidoyer. De plus en plus d’interlocuteurs nous mettent en garde, disent qu’on ne sera pas capable de lancer tel ou tel programme parce qu’il n’y aura pas le financement des Etats-Unis. » En France, le budget de l’Agence française de développement a été amputé d’un tiers en 2025. Et la situation financière tendue du pays fait craindre davantage de coupes.
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