Choses vues au chili : l’heure du bilan, par Christophe Donner

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A l’heure de faire ma valise, qu’est-ce que je rapporte en France, à part le souvenir de ses coquillages, poissons et crustacés gargantuesques ? Ce pays résiste aux clichés touristiques comme aux représentations géographiques : avec ses 4 000 kilomètres de long, le Chili reste le pire cauchemar des cartographes, et impossible de savoir si la cordillère des Andes préserve ce pays des tracas modernes ou si elle cherche à le précipiter dans la mer. L’autre chose, c’est qu’il est sociologiquement aussi insaisissable qu’une anguille.

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N’ayant pas acheté de souvenir, je me souviendrai des chiens errants, pas faméliques pour deux sous, sans race ni vice, et pas une once de méchanceté. Ils se baladent, indépendants, libres, sans laisse ni maître, traversent la gare routière comme s’ils avaient eux aussi un bus à prendre, et reviennent, sans que personne ne s’en émeuve, comme s’ils avaient oublié leur passeport. Vieux, ils font la sieste devant l’entrée d’une banque, d’où nul ne chercherait à les déloger. C’est qu’ils ne sentent pas mauvais, à peine s’ils sont sales. A la campagne comme en ville, ils sont partout chez eux, nourris par des maîtres libertaires qui les rêvent en loups de compagnie. Couchés sur le banc d’un square, ils ne demandent pas l’aumône, ce qui ne les empêche pas d’accepter, à l’occasion, un morceau de pan de Pascua, c’est une sorte de pain d’épices avec des fruits confits, il y en a des divins et des infects que ces bâtards gracieux abandonnent aux rats.

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J’aurais été bien guidé par l’absence de guide. A Valparaiso, il suffit de demander : « ¿ El mejor restaurante, cual es ? » Tout le monde sait où manger les meilleures pinces de crabes rôties à la coriandre, au Tres Peces (trois poissons), un restaurant situé au sommet du Cerro Alegre, petite montagne en surplomb de la baie devenue la capitale du street art. Des maisons en bois, à vendre un peu partout, recouvertes de graffs plus sophistiqués et socialistes qu’un Diego Rivera sous acide.

J’ai ramené de quoi écrire un livre

Le funiculaire du port grimpe et vous dépose juste devant l’entrée du Palacio Baburizza qui fait penser à une de ces belles villas de bord de mer, à Saint-Brevin-les-Pins. Son musée prétendument Art déco recèle deux tableaux de neige, celui du Russe Ivan Choultsé (1877-1932), et celui du Chilien Rafael Correa (1872-1959) qui montre des veaux dans la neige, visiblement égarés par l’intempérie ; chef-d’œuvre pompier tardif, sidérant de lumière, tant il est vrai que les peintres de neige sont des illuminés de première. Le reste, cela dit sans méchanceté, ne vaut pas tripette.

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Sur la terrasse panoramique, j’achète un deuxième magnet, pour mon deuxième tonton, il m’en faudra encore un car j’ai trois tontons, et comme j’ai raté leur anniversaire pour ce voyage, j’ai à cœur de me rattraper somptueusement. C’est ruineux des triplés, Pépé et Mamie ont eu bien du mérite. J’aurai surtout rencontré Mauricio Fredes, le directeur du restaurant La Calma. Fils de dirigeant révolutionnaire, il a passé les dix-sept premières années de sa vie dans la clandestinité avant de partir au Nicaragua pour combattre dans l’armée sandiniste, où il s’est entraîné en vue de retourner au Chili pour assassiner Pinochet. Ayant renoncé à tuer qui que ce soit, il s’est converti au bouddhisme et au commerce des bonnes choses : le vin, d’abord, dont il est devenu un des plus grands connaisseurs ; la gastronomie, ensuite, dont il gère ce temple. Un lieu d’excellence qui lui rapporte de quoi financer l’école pour enfants difficiles qu’il a fondée. Bref, j’ai ramené de quoi écrire un livre.

Ironie de ce voyage au long cours, à mon retour à Paris je découvre Les Colons, le film de Felipe Galvez qui sort cette semaine dans très peu de salles. Ça raconte une histoire honteuse, bien cachée, du Chili : l’un des massacres les plus atroces perpétrés contre les Mapuches, au début du XXe siècle. Il y en avait eu avant, il y en a eu après, notamment celui organisé par Pinochet. Considérez donc le triptyque qui s’achève comme un prélude à ce film nécessaire. Ou l’inverse.

Christophe Donner, écrivain

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