Pas de vacances pour les flics de l’office central pour la répression du banditisme. Au beau milieu de l’été 1976, ils descendent sur la Côte d’Azur pour aider les policiers niçois à enquêter sur un spectaculaire cambriolage. Celui du siège de l’agence de la Société générale, située sur l’avenue Jean Médecin. « Un « coup » monumental », titre en une le journal Nice Matin. « A la fois égoutiers, terrassiers et soudeurs », les « casseurs » ont emporté avec eux un « butin fabuleux » évalué à 50 millions de francs, soit près de 38 millions d’euros, indique encore le journal local. Les clients sont affolés. Ils ne comprennent pas comment des voleurs ont pu pénétrer dans la salle des coffres de la banque, réputée inviolable.
Les malfaiteurs sont entrés, au cours du week-end précédent, en passant par un tunnel de 8 m de long et 50 cm de diamètre qui donne sur les égouts de la ville. Profitant de l’absence du personnel, ils ont fracturé 317 coffres et les ont vidés de leur contenu. Ils ont récupéré des bijoux, de l’argent liquide, et des lingots d’or, et laissé dans la pièce tout ce n’avait aucune valeur. Et avant de partir, ils ont pris le temps de souder de l’intérieur la porte de la salle des coffres. En laissant un mot griffonné sur une feuille de papier, scotché à un mur : « ni armes ni violence et sans haine ».
Perceuses, burins et bouteilles d’acétylène
Les malfaiteurs sont repartis comme ils sont venus, en passant par la galerie percée dans la roche, puis en déambulant sur près de 3 km dans les canalisations chaudes et nauséabondes de Nice, qui grouillent de rats. Dans leur fuite, ils se sont débarrassés de leurs outils : des lampes, des chalumeaux, des perceuses, des burins et des bouteilles d’oxygène et d’acétylène, des câbles électriques. Ils ont ensuite suivi la rivière souterraine du Paillon et sont ressortis à l’air libre derrière le Palais des expositions de la ville.
Les enquêteurs suspectent rapidement une bande de voyous marseillais d’être impliqués dans l’affaire. A l’époque, Charles Pellegrini* est adjoint du chef de l’OCRB. Pour ce grand flic, le « casse du siècle », comme le désignent alors les médias, ne pouvait avoir été commis que par des malfrats chevronnés comme « Zampa ou Jacky Le Mat ». « C’est vrai qu’on a pensé au milieu marseillais. À partir du moment où il y a un cambriolage de cette ampleur, on cherche parmi les têtes », explique-t-il à 20 Minutes. Les policiers interrogent durant plusieurs semaines tous leurs indics. Mais la piste ne donne rien.
La chance finit par leur sourire. Deux hommes, Francis Pellegrin et Alain Bournat, tentent de négocier huit lingots d’or provenant du casse auprès d’une banque. « Heureusement que les voyous ne sont pas des lumières sinon on n’aurait jamais de succès ! » sourit Charles Pellegrini. Interpellés, les deux hommes dénoncent aux policiers le cerveau du cambriolage. Il s’appelle Albert Spaggiari.
« Un besoin énorme de prendre la lumière »
« A partir du moment où on a eu son nom, on a commencé à travailler sur lui et son passé est remonté à la surface. Il a commencé par un braquage dans un bordel pendant la guerre en Indochine en 1953. Après, il a été membre de l’OAS. Il a eu une vie assez médiocre comme photographe, il aimait les armes, on en a retrouvé beaucoup chez lui. On s’est dit qu’il avait pris de l’envergure », poursuit l’ancien adjoint du chef de l’OCRB.
Albert Spaggiari est alors en voyage au Japon. Les enquêteurs l’arrêtent dès son retour en France, le 27 juin 1976. Dans l’ancienne bergerie qu’il a retapée à Bézaudun-les-Alpes, ils mettent la main sur des pains de dynamite, des pistolets automatiques, des chargeurs de pistolet-mitrailleur. Il a appelé son repaire « Les oies sauvages », en hommage à un chant militaire nazi.
Albert Spaggiari demande à s’entretenir directement avec Honoré Gévaudan, alors directeur adjoint de la police judiciaire. Et devant lui, il passe aux aveux. « L’idée lui est venue parce que c’est un monsieur qui voulait de l’argent. C’est un monsieur qui a fait des recherches, qui a regardé d’abord dans la Société générale elle-même, et qui a ensuite regardé dans les égouts. Et tout ça, c’est une idée qui lui est venue il y a deux ans, ou il y a un an et demi, et la réalisation est venue très tard », déclare ensuite le policier lors d’une conférence de presse. Par la suite, le malfrat assure avoir agi pour des raisons politiques. Le butin devait, selon lui, servir à financer une mystérieuse organisation d’extrême droite appelée « Catena ».
« Je ne sais pas s’il en a eu l’idée et personne ne le saura jamais. Mais Albert Spaggiari s’en est attribué le mérite. Et il faut démystifier un peu tout ça », souffle aujourd’hui Charles Pellegrini. « Il avait un fond de guerrier et il était courageux, on ne peut pas lui enlever ça. Mais il était très vaniteux et avait un besoin énorme de prendre la lumière. On a toujours eu dans la tête l’idée que c’était un fanfaron et qu’il avait pris un melon gigantesque. Ce n’était pas un nul, loin de là. Il a fait pas mal de choses. Mais ce braquage, ça a été un travail de longue haleine qui a failli capoter plusieurs fois. Ils ont réussi parce qu’ils ont eu de la chance. Il n’aurait rien pu faire sans la bande de voyous marseillais qu’il a recruté, qui l’ont cru et qui ont fait le boulot. »
12 ans de cavale
Placé en détention, Albert Spaggiari est bien décidé à s’évader. Interrogé par le juge d’instruction le 10 mars 1977, dans un bureau situé dans le palais de justice de Nice, le truand prend sa chance. Il se précipite vers la fenêtre et saute sur le toit d’une voiture. Dans la rue, un complice l’attend sur une moto. Les deux hommes prennent la fuite. « C’est quand même un personnage très contrasté. Il peut aussi se montrer efficace, volontaire, et capable de réussir un exploit : son évasion du tribunal, ce n’est pas donné à tous les voyous », souligne Charles Pellegrini.
Sa cavale va durer douze ans. Avec ses faux papiers et ses déguisements, le visage refait, Albert Spaggiari part au Brésil, en Argentine ou au Chili et revient régulièrement en France. Il en profite pour narguer les enquêteurs à ses trousses en multipliant les interviews, qu’il accorde à Paris Match ou au Figaro Magazine. En 1983, depuis Madrid en Espagne, cet aventurier un peu marginal explique devant la caméra d’un journaliste vouloir « continuer à fumer des Havane, boire du Dom Pérignon, avec les plus belles filles du monde, dans les plus beaux coins du monde, et voyager ». « J’aimerais passer aux assises si je trouve une demi-douzaine d’avocats assez enragés, assez fous pour prendre le contrepied de la justice », ose-t-il, lunettes de soleil sur le nez, cigare à la main.
Le procès du « casse du siècle » se déroule à la fin de l’année 1979, en l’absence du principal accusé. Trois hommes, dont Francis Pellegrin et Alain Bournat, sont condamnés à de faibles peines pour « complicité de vol ». Albert Spaggiari, lui, est condamné par contumace à la prison à perpétuité.
« Les égouts du paradis »
En fuite, il écrit des livres. En 1978, il publie aux éditions Albin Michel Les égouts du paradis, le récit du cambriolage de la Société générale de Nice. Albert Spaggiari raconte avoir eu l’idée du casse en lisant le polar Tous à l’égout ! de Robert Pollock. Un employé de la Société générale lui a ensuite confié qu’aucun système d’alarme n’avait été installé dans la salle des coffres de la banque. Pour en avoir le cœur net, il en a loué un, dans lequel il a placé un réveil qui sonnait durant la nuit. Et quand il a été certain qu’il n’y avait aucun système de détection sismique ou acoustique, il a exploré les égouts de Nice et monté une équipe. Creuser le tunnel leur a pris trois mois.
A l’occasion de la sortie de son troisième livre, Le Journal d’une truffe, il accorde en mai 1983 une improbable interview à Bernard Pivot dans une chambre d’hôtel à Milan. « Comment expliquez-vous que vous soyez devenu un voleur, un bandit ? » lui demande le présentateur de l’émission Apostrophe. « Le goût de l’exploit, tout simplement », pérore Albert Spaggiari.
« C’était un travail de professionnel mais qui n’est pas extraordinaire, soutient Charles Pellegrini. Ce n’est pas l’exploit du siècle en soi, il y a eu plein de tunnels comme celui-ci pendant la guerre, et il n’est pas le seul dans le banditisme a en avoir creusé un pour braquer une banque. Mais lui et ses complices ont cherché et trouvé le mur qu’on pouvait percer pour atteindre la salle des coffres. Il fallait en avoir l’idée. »
Un butin jamais retrouvé
Le 10 juin 1989, les policiers de l’identité judiciaire débarquent chez Marcelle Clément à Hyères, dans le Var. La veille, deux hommes cagoulés ont déposé le corps de son fils devant la villa, rue Paradis, avant de s’enfuir. Marcelle ne l’avait pas revue depuis une douzaine d’années. Cet homme, c’est Albert Spaggiari, le fugitif le plus recherché du pays. Souffrant d’un cancer, il est décédé deux jours plus tôt à Belluno, en Italie. Le butin du casse su siècle n’a jamais été retrouvé.
* « Histoire de PJ », de Charles Pellegrini, la Manufacture De Livres
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