Une nouvelle vague de médicaments pour la perte de poids s’apprête à déferler sur la planète
Alors que les traitements anti-obésité comme le Manjaro d’Eli Lilly se déploient à grande vitesse en Inde et en Chine, leur succès fulgurant soulève autant d’espoirs que d’inquiétudes.
Atlantico : Le laboratoire pharmaceutique américain Eli Lilly a lancé Manjaro, son traitement contre l’obésité, en Inde. Le médicament rencontre un grand succès. Comment interprétez-vous la diffusion rapide de ces nouveaux médicaments contre l’obésité dans les pays émergents comme l’Inde ou la Chine, alors que l’accès à une alimentation équilibrée et à la prévention reste limité ? N’y a-t-il pas un risque d’addiction rapide à ces nouveaux traitements dans ces pays ?
Réginal Allouche : La Chine est un pays où la population mange à sa faim, à l’exception des classes sociales défavorisées, notamment les populations rurales et les travailleurs sans papiers dans les villes. La plupart des Chinois mangent donc suffisamment. Il faut savoir que la Chine compte 493 millions de diabétiques, soit un adulte sur deux. Il existe donc un réel problème alimentaire, et la prise de poids devient préoccupante, surtout chez les enfants.
En Inde, la situation est différente. Le système de castes fait que, selon la classe sociale, les comportements alimentaires varient fortement. Les classes aisées mangent comme les Européens ou les Américains, et l’obésité y est bien présente. En revanche, les classes défavorisées n’ont pas accès à ce type d’alimentation. L’Inde compte 1,5 milliard d’habitants. Même si seulement 10 % d’entre eux sont obèses, cela représente tout de même 150 millions de personnes, soit environ deux fois la population française. Ces marchés sont absolument colossaux.
Le Manjaro est un produit dit « incrétinomimétique », c’est-à-dire qu’il agit à la fois sur les récepteurs GLP-1 et GIP. Sa molécule, le tirzépatide, est un médicament extrêmement efficace, mais comme tous les traitements puissants, il présente certains effets indésirables, d’où la nécessité de précautions avant son utilisation.
C’est la même chose pour les autres incrétines, qui ont aussi des effets sur la perte de poids. La première chose à expliquer aux patients est que, lorsqu’ils arrêtent de manger parce qu’ils n’ont plus faim – ces produits agissant sur les centres de la satiété – il est impératif de pratiquer une activité physique. En effet, ce qu’ils perdront, ce n’est pas seulement de la graisse, mais aussi du muscle. On estime qu’ils perdent environ trois quarts de muscle pour un quart de graisse.
Lorsqu’un traitement est efficace, il permet une perte de poids de 10 à 20 %. Mais à l’arrêt du traitement, la masse musculaire étant réduite, le métabolisme de base – c’est-à-dire la dépense énergétique quotidienne – diminue. Lorsqu’il y a une reprise d’une alimentation normale, la reprise de poids est alors favorisée.
Ces traitements sont donc très efficaces, et leur succès est compréhensible. Cependant, ils présentent des effets indésirables fréquents : douleurs abdominales, diarrhées, troubles digestifs. Surtout, si le patient ne pratique pas d’exercice physique et ne maintient pas sa masse musculaire, la perte musculaire devient problématique.
La baisse attendue des prix avec l’arrivée de ces médicaments et le développement de futurs génériques en Inde ou en Chine pourraient-ils, selon vous, réellement démocratiser le traitement contre l’obésité sans aggraver les inégalités de santé dans ces deux grands pays ?
Réginal Allouche : Si ces médicaments sont fabriqués en masse en Inde, il est évident que le prix s’en ressentira, car la production à grande échelle permet de réduire les coûts. Dans des pays où le pouvoir d’achat est différent, cela aura forcément un impact.
En France, un traitement coûte en moyenne 270 euros par mois pour quatre injections, puisqu’il s’agit d’un médicament injectable. Un autre traitement comparable coûte environ 80 euros par mois. Le véritable enjeu est le suivi médical. Lorsqu’un patient débute ce traitement – désormais disponible aussi sous forme orale, comme l’ont annoncé Eli Lilly et Novo Nordisk –, il faut un encadrement strict, car ces formes orales présentent les mêmes effets indésirables.
Comme tout produit efficace, ces médicaments ont des effets secondaires et doivent être prescrits et surveillés médicalement. Ce n’est pas une position corporatiste de ma part, mais une réalité médicale. Ces produits sont très efficaces, mais doivent être encadrés. Personnellement, je privilégie les petites doses et je surveille mes patients, car l’intensité des effets indésir
Avec la démocratisation de ces nouveaux médicaments contre l’obésité en Inde et en Chine, craignez-vous une forme de médicalisation excessive de la gestion du surpoids, où l’on substituerait parfois la prévention et l’éducation nutritionnelle à des traitements pharmaceutiques ?
Réginal Allouche : C’est évident. Le problème est simple : combattre l’obésité est extrêmement difficile, car cela implique un changement profond des habitudes alimentaires et la lutte contre la sédentarité. Nous vivons dans une société « assise » : tout est conçu pour que nous restions immobiles. On ne prépare plus ses repas, on se fait livrer, on se déplace peu, et on vit dans un confort permanent.
Lutter contre l’obésité est donc très compliqué. Je comprends que certaines personnes se disent qu’elles n’y arrivent pas seules. Il faut d’ailleurs bien distinguer le surpoids de l’obésité : le surpoids peut être réversible, tandis que l’obésité est une maladie chronique, associée à un état inflammatoire.
Ces médicaments doivent donc être bien accueillis, mais ils doivent surtout être encadrés. Penser que l’on peut continuer à manger sans se soucier des conséquences parce qu’on est traité n’est pas la bonne approche. Le risque, en effet, est d’utiliser ces produits de manière chronique. Cependant, je ne pense pas que cela se produira ainsi, car nous ne connaissons pas encore leurs effets à long terme. Ce sont des produits nouveaux ; ils sont efficaces et bien tolérés en pratique médicale, mais les conséquences sur le long terme restent à évaluer.
Les médicaments à base de GLP-1, comme le sémaglutide ou le tirzépatide, représentent-ils, avec leur démocratisation à l’international dans des pays aussi importants que la Chine et l’Inde, une révolution durable dans la lutte contre l’obésité à l’échelle mondiale ? Ou bien s’agit-il d’un outil transitoire avant de meilleures approches métaboliques ?
Réginal Allouche : Je penche pour la seconde option. De nouvelles approches métaboliques verront le jour, et ces médicaments sont des produits précurseurs. Ils marquent une première étape importante dans la prise en charge de l’obésité et du surpoids, mais d’autres solutions sont déjà en développement, qu’il s’agisse de nouveaux médicaments ou de dispositifs médicaux.
Je travaille personnellement sur un dispositif qui permet de réduire le poids de 15 à 20 % tout en régulant la glycémie. L’enjeu principal réside dans la régulation du sucre, qui a envahi notre alimentation.
Je ne suis pas dans une position critique vis-à-vis de ces produits, mais il faut absolument un suivi médical. Le véritable problème, avec une telle démocratisation de ces médicaments à l’échelle mondiale, sera sans doute la disponibilité des médecins : il sera difficile d’assurer un encadrement médical suffisant pour tous. Ce ne sera pas un problème de traitement, mais de ressources humaines.
ATLANTICO
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