De notre envoyé spécial à Zurich,
En Suisse aussi, les comptes publics ont connu cette année un dérapage. Et comme chez nous, le déficit n’est pas celui prévu par le gouvernement. Ce dernier risque de s’avérer… bien moins important que prévu. Il sera de seulement 900 millions de francs suisses selon la dernière projection d’octobre, contre 2,6 milliards estimé en début d’année. Ça va, on ne vous dérange pas trop ?
A Zurich, les déboires du budget 2025 français sont une curiosité exotique, et un sacré cas d’école de ce que la Nation helvète est bien heureuse de ne pas reproduire. C’est que le Suisse-Allemand est probablement l’être le plus pragmatique et carré que l’Europe puisse façonner, immunisé à la culture latine. Ici, traverser au feu rouge ou oser fouler à pied une piste cyclable est accompagné de regards assassins. Alors un déficit de 6 % …
« Quand on se croit tout permis sur les finances… »
Preuve que oui, un Suisse peut sortir de ses gonds quand on ne respecte pas les règles, Peter, habitant de Zurich de 43 ans chargé de recrutement, nous juge comme un papa déçu. « Vous avez fait n’importe quoi et la France a ce qu’elle mérite. Quand on se croit tout permis sur les dépenses publiques, on récolte de l’instabilité, c’est normal. Ça ne peut pas marcher ! Et encore, ça pourrait être bien pire… » Un petit mot gentil pour conclure, Pete ? « J’espère que vous allez vous redresser à temps. »
Après avoir connu sa propre crise de la dette dans les années 1990 – passée de 31 % de PIB en 1989 à 56 % en 1998, la Suisse a mis plusieurs mécanismes en place pour éviter de replonger dans ces années folles. Le plus fameux d’entre eux est le « frein à l’endettement », voté en 2001 et qui repose sur un principe simple : les dépenses ne peuvent pas dépasser les recettes.
Des comptes suisses bien plus assainis
La France, l’un des plus gros partenaires commerciaux de la Suisse, attire forcément les regards et les jugements. La censure du gouvernement Barnier fait la une de tous les médias, et seuls une improbable loi martiale en Corée du Sud et le retour de la guerre en Syrie trustent quelques places dans les colonnes internationales. « Ce qui choque le plus, c’est que la France ait laissé le déficit public s’aggraver, là où il y a une attention particulière sur le sujet dans le pays », contextualise Etienne Meyer-Vacherand, journaliste à la rubrique Economie au Temps, l’un des journaux nationaux.
Et ça marche plutôt : la confédération helvétique est blottie bien au chaud dans sa prospérité. Une dette à seulement 30 % du PIB – contre 112 % dans l’Hexagone –, une inflation de 0,7 % – deux fois moins que chez nous –, un déficit de 0,3 %. Et on pourrait continuer…
« C’est dans votre nature de pas savoir gérer le budget »
Pour le Zurichois moyen, la France est – au mieux – un pays « so romantic and crazy » jusque dans son approche économique, – au pire – un sale gosse turbulent et incapable de se maîtriser. Eric, 52 ans et patron d’un garage automobile, se désespère : « Il suffit de voir les expatriés chez nous. Ils gagnent 100.000 francs suisses et se plaignent d’avoir un niveau de vie insuffisant. Alors oui, la vie est plus chère ici, mais quand même… C’est de nature de pas savoir gérer le budget ! ». Etienne Meyer-Vacherand adoucit : « Il y a un peu ce côté cigale et fourmi »
L’une des principales critiques entendue dans les rues zurichoises porte sur le côté trop interventionniste de l’Etat en France. « A la moindre contrariété, il y a des aides publiques », caricature légèrement Eric. « Votre pays n’est pas assez libéral, et ne laisse donc pas de la place au mérite » Les dépenses publiques helvètes représentent 10,3 % du PIB, contre 65 % en France, encore un grand écart.
Libéralisme et darwinisme économique décomplexé
Presque une philosophie de vie. Majoritairement protestante, la population verse parfois dans le darwinisme. Croisé au marché de Noël, Emma, 35 ans et travaillant dans les assurances, détaille : « Ici, c’est plus »Seuls les plus forts survivent ». Et si ton affaire ne marche pas, c’est soit que tu ne t’es pas donné les moyens, soit que tu vends des mauvaises choses. Tu as donc ce que tu mérites. On peut passer pour des sans-cœur, mais le système marche ». Le pays croule sous les demandes de travailleurs étrangers surdiplomés, exporte dans le monde entier, a une bonne croissance et un chômage à 3 %.
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Etienne Meyer-Vacherand nuance : « Il y a une approche beaucoup plus libérale en Suisse, mais il y a aussi eu par exemple des aides gouvernementales sous la forme de prêt aux entreprises pendant le Covid-19. La différence majeure, c’est que cela concernait un nombre très restreint d’entreprises et que la mesure a fait objet de beaucoup de débats politiques, elle ne coulait pas de sources. »
Des débats sains et posés, précisent tous les Suisses interrogés. Peter rajoute : « Plus que notre économie, on est fiers de la politique ici, basé sur le compromis, le dialogue et l’écoute. » On est d’accord qu’il vient de nous tacler une dernière fois ?
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