Nathalie Azoulai : « Ce livre a été un refuge pour moi après le 7 octobre »
ENTRETIEN AVEC NATHALIE AZOULAI
Propos recueillis par Oriane Jeancourt Galignani
Rencontre avec Nathalie Azoulai qui signe Toutes les vies de Théo, prix Transfuge du roman français de cette rentrée. Elle nous y plonge dans l’histoire d’un couple de plus de vingt ans, Léa et Théo, l’une juive, l’autre pas, dans notre présent immédiat.
Philip Roth écrivait dans J’ai épousé une communiste : « La politique est la grande généralisatrice et la littérature la grande particularisatrice, et elles sont dans une relation non seulement d’inversion mais aussi d’antagonisme… ».
Je peux écrire sans prendre de risque que Nathalie Azoulai, en signant Toutes les vies de Théo, livre, dit-elle, déclenché par le 7 octobre, s’inscrit contre le politique: c’est-à-dire contre les torrents de prises de position et d’invectives qui se sont exprimées en France depuis le 7 octobre 2023.
A tous ceux qui claironnent la mort de la fiction, il est nécessaire de lire ce livre pour montrer ce qu’apporte le roman: la liberté du particulier, la sincérité des histoires inventées. Raconter en profondeur l’évolution du couple de Léa et Théo, c’est offrir à ces deux individus une puissance de retournement, d’égarements, d’excès, de mauvaise foi et de ridicule, qui les rend aussi proches de nous, que dépourvus de tout cliché.
Suivre leurs parcours individuels, c’est à la fois retrouver, (et dieu sait que nous en avions besoin), une approche complexe des conséquences du 7 octobre sur la vie des juifs français, mais aussi pénétrer l’inconscient du Français « lambda » face à ce qu’un autre appelait autrefois « la question juive », et à laquelle on ajouterait « la question d’Israël ».
Philip Roth a poursuivi ces sujets tout au long de sa vie d’écrivain ; Nathalie Azoulai s’en empare à son tour dans ce qui s’avère un roman bondissant et toujours juste, à l’égal de ce que fut son Titus n’aimait pas Bérénice, il y a dix ans. Ainsi Léa et Théo se rencontrent sur un stand de tir, et ne se quittent plus. Elle est frêle et intense, il est solide et conciliant. Ils sont tous deux enfants de l’universalisme européen, tournés vers ce qui ne leur ressemble pas.
Elle vient d’une famille juive ashkénaze très unie, il est le fils unique d’une mère d’origine allemande, et d’un père français. Elle ne se sent pas très juive, ne nourrit pas de grand intérêt pour Israël ; lui a grandi dans le souvenir de la Faute allemande, du « plus jamais ça », et dans l’ombre d’une mère philosémite. « Léa est son kairos », il n’en doute pas, l’épouse, et avec elle, sa famille, sa sœur Rosalie, son cousin israélien, si séduisant, et la culture juive. Ils ont une enfant, Noémie, le temps passe. Mais comme dans les contes, la paix ne peut rester intacte dans cet heureux abri de l’altérité : le choc du 7 octobre vient bouleverser ce couple presque sans histoires. Théo se révèle moins philosémite qu’il n’y paraît, et Léa profondément attachée à Israël.
Au jour le jour, Nathalie Azoulai suit les dissensions, les disputes, les silences, les trahisons de chacun. La ligne morale de Léa la fait Antigone, inaltérable, inaccessible, la douceur de Théo le voit flotter au gré de l’opinion dominante, puis se lasser de combats qui ne sont pas les siens.
Entre eux, la petite Noémie fait le choix de la conversion au catholicisme, et abandonne sa mère à sa solitude. Du côté de la famille de Léa, d’autres fractures apparaissent.
Peut-on aimer l’autre jusque dans ses combats ? Jusqu’où peut-on demeurer fidèle à une identité choisie ? Sous ses airs de roman d’époque, Toutes les vies de Théo se révèle une fable existentielle. Et un conte sur la solitude grandissante qu’éprouvent les juifs, aujourd’hui, en France.
Portrait à retrouver dans le N°185, disponible en version numérique et en version papier
Toutes les vies de Théo de Nathalie Azoulai, aux éditions P.O.L
Photo article : copyright Franck Ferville
JForum.fr avec www.transfuge.fr/
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