Les années suivant la Seconde Guerre mondiale ont été caractérisées par des relations très irrégulières entre la France et l’État d’Israël. Sur le plan diplomatique, le gouvernement français était partagé à la fois entre une amitié bienveillante et une franche hostilité, surtout lorsqu’il s’agissait de défendre ses propres intérêts.
Déjà en 1946, David Ben Gourion , d’autres membres de la Haganah, Yitzhak Shamir et des membres de l’Irgoun ou du Lehi avaient trouvé refuge à Paris après avoir été pourchassés par les Britanniques en Palestine. Organisant à la fois des envois sporadiques d’armes ainsi que vagues d’immigrations jugées illégales vers le mandat britannique, ils bénéficiaient d’une certaine complaisance de la part des autorités françaises. Cependant, le soutien majeur apporté à la cause sioniste eut lieu en 1947, avec le vote historique à l’ONU sur la partition de la Palestine.
Toutefois, la diplomatie française n’était pas dépourvue de contradictions à l’exemple de la reconnaissance d’Israël. Celle-ci fut prononcée de facto à compter du , puis de jure (complète et définitive) que le après qu’un accord fut trouvé concernant les compensations pour la destruction des édifices religieux français lors de la guerre d’indépendance. En réalité, cette reconnaissance était aussi liée à une volonté française de retarder l’événement de manière à ne pas se faire critiquer à l’ONU. Reconnaître Israël aurait pu entraîner en rétorsion, la formation d’un bloc favorable aux indépendances dans le Maghreb (Maroc, Tunisie et Algérie).
En dépit de ces contradictions, les relations entre ces deux États n’en continuaient pas moins d’être cordiales. Cependant, on ne pouvait pas encore parler à l’époque d’une véritable alliance, cette dernière devant se constituer de manière progressive.
Au niveau de l’armée française et du secteur de la défense, un intérêt à des liens soutenus existait. Dès la fin de la guerre, les industries d’armements avaient commencé à faire pression auprès des gouvernements successifs pour qu’ils assurent la survie des arsenaux non dévastés. L’idée n’était pas principalement économique car en tant que membre de l’OTAN, la France bénéficiait d’une certaine aide américaine pour reconstruire son industrie de guerre. Il s’agissait plutôt d’assurer une indépendance militaire de la France, Or, cela supposait des rentrées financières importantes et donc des partenaires privilégiés. À l’époque, l’un des clients était Israël. Il était un acquéreur particulier au sens où la majeure partie des transactions effectuées relevait du secret pour ne pas nuire aux intérêts de Paris.
Les dirigeants des firmes nationales d’armements et leurs relais politiques encourageaient ce type de commerce. Ainsi, par exemple, dans le gouvernement Edgar Faure en 1955, le ministre de l’intérieur Maurice Bourgès-Maunoury avait multiplié les contacts avec les officiels israéliens. Cette politique tenait à la fois dans les impératifs de l’industrie française mais aussi dans les convictions des hommes. L’Algérie était soumise dès 1954 à des luttes nationalistes. Or, l’idée selon laquelle cette insurrection était directement appuyée par l’Égypte était présente dans leurs esprits. Cela favorisait un certain raisonnement de type « si les amis de nos amis sont nos amis, les ennemis de nos ennemis sont nos amis ». Dans ce contexte global, les ventes d’armes s’accrurent rapidement en faveur d’Israël. Il s’agissait notamment de contrats portant sur les premiers chasseurs Mystère IV. La France, heureuse de satisfaire d’une part les besoins de l’industrie de défense en termes de nouveaux marchés d’exportation, Paris trouvait intérêt, d’autre part, à équiper Tsahal et à maintenir un équilibre des forces face aux nationalistes arabes du Caire.
Parallèlement à cela, un certain nombre de fonctionnaires civils et militaires du ministère de la Défense, avaient une certaine sympathie pour l’État hébreu. Ainsi, des hommes comme Jules Moch et Pierre Kœnig ont souvent soutenu l’appui militaire fourni et ce, en dépit des réticences arabes ou occidentales. Anciens résistants, ils avaient une sympathie pour l’État d’Israël notamment par le souvenir de la Shoah, de la lutte contre l’occupant nazi ainsi que des victoires comme celle de Bir Hakeim durant laquelle s’illustrèrent des combattants juifs. De tels éléments ne pouvaient que contribuer à renforcer les relations tissées entre les deux États. Cette amitié trouvait aussi son origine dans la francophilie de nombreux gradés et fonctionnaires israéliens. À cela, s’ajoutait la méfiance latente de nombreux militaires français à l’égard du Royaume-Uni et des nationalistes arabes qui s’illustraient de plus en plus dans le Maghreb.
Le soutien à cette coopération franco-israélienne naissante ne vit pas seulement le jour au sein des gaullistes mais aussi dans les rangs des socialistes. Les élus socialistes de la IVe République sont souvent d’anciens résistants. Ils se sentent une dette à l’égard du peuple juif, dont ils n’ont pu empêcher l’extermination fomentée par les nazis. Parmi les dirigeants de ce parti, Christian Pineau, qui fut ministre des Affaires étrangères en 1956 et qui avait une sympathie profonde pour ses anciens camarades déportés, déclare notamment : « J’ai toujours eu au fond de moi-même cette idée : le peuple juif a droit à une compensation ». Le futur premier ministre Guy Mollet exprimait lui aussi des amitiés semblables. Dès lors, bien avant leur arrivée au pouvoir, un courant pro-israélien était présent dans une frange de ce parti. Pour ne prendre qu’un exemple, en 1951, cette tendance s’était déjà manifestée avec le soutien de l’entrée des travaillistes israéliens au sein de l’Internationale socialiste, en dépit des réticences britanniques.
Le rapprochement concret des gouvernements français et israélien s’est illustré de manière significative dès 1955 avec l’affaire des armes tchèques livrées à l’Égypte. Alors que cette dernière attendait ses premières livraisons, Shimon Peres et David Ben Gourion négociaient désormais ouvertement des achats massifs d’armes à la France. Avec le soutien de son partenaire, Israël allait se doter dès 1956 d’un arsenal important permettant de rétablir l’équilibre régional des forces.
Pour autant, un certain nombre de fonctionnaires français étaient opposés aux liens étroits entre les deux États car ils privilégiaient plutôt une « politique arabe » de la France. Cette opposition tenait principalement sur une volonté de maintenir des liens économiques privilégiés, à l’exemple du pétrole, mais aussi un certain rayonnement culturel dans le Levant. Dès lors, lorsque des oppositions aux ventes d’armes en Israël eurent lieu au ministère des Affaires étrangères, le ministre de l’époque, Christian Pineau prit parti. Pour exemple, en juin 1956, en dépit des protestations de hauts fonctionnaires et de l’opposition américaine, il soutint la livraison de nouveaux chasseurs Mystère IV en Israël. Ces différents soutiens au sein du monde politique et militaire français permirent au jeune État juif de se doter rapidement d’un arsenal militaire de qualité.
Sur le plan diplomatique, ces deux alliés trouvaient des avantages à la consolidation de leur relation.
Pour la France, ce lien lui permettait théoriquement de faire pression sur l’Égypte qui aidait le FLN algérien. Avec ce renforcement des relations, Paris avait aussi regagné du terrain dans la région. Exclue du pacte de Bagdad par ses partenaires occidentaux, elle venait pour autant de rééquilibrer la balance des forces régionales. Cette politique était couronnée de succès car les alliances entretenues par Washington et Londres les empêchaient de livrer des armes à l’État hébreu ; or ils souhaitaient néanmoins maintenir un équilibre militaire dont l’instabilité pouvait être source de nouveaux conflits. En ce qui concerne les Israéliens, ils avaient réussi à se désenclaver diplomatiquement et militairement et n’étaient plus exclus des jeux d’alliances eu égard aux liens soutenus entretenus avec la France.
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