Il est rare en Israël d’entendre un Premier ministre appeler ses concitoyens à se serrer la ceinture ; c’est pourtant ce que vient de faire Benjamin Netanyahu en déclarant que le pays devra s’adapter à une économie autarcique.
Une grande confusion a entouré les déclarations du Premier ministre israélien il y a quelques jours : il a reconnu publiquement qu’Israël s’enfonce dans un isolement politique international qui aura des retombées très négatives sur son économie.
Pour faire face à cet isolement croissant, Benjamin Netanyahu a proposé une solution originale : s’adapter à une économie autarcique, c’est-à-dire une économie fermée, coupée du monde et produisant par elle-même ce dont elle a besoin.
Le lendemain de cette déclaration, Netanyahu a essayé de corriger le tir, affirmant qu’il ne parlait que d’autarcie militaire, mais le mal était fait : les réactions ont été très vives du côté des investisseurs, alors que les agences de notation pourraient utiliser les déclarations des dirigeants israéliens pour revoir à la baisse la note d’Israël.
Frugalité spartiate
Venant de la bouche d’un fervent partisan du libéralisme économique, la solution de l’autarcie est étonnante, voire inquiétante : aucun pays au monde ne peut se suffire à lui-même en produisant tout ce qui permet de satisfaire les besoins de ses habitants.
Netanyahu le sait bien puisqu’il a appelé les Israéliens à adopter un mode de vie spartiate. Peu de ses concitoyens ont dû comprendre l’analogie entre Israël et Sparte, une cité de la Grèce antique dont le peuple guerrier s’est souvent opposé à Athènes.
Un rapide retour en arrière nous rappelle que Sparte était une ancienne cité de la Grèce dont les habitants avaient adopté un mode de vie simple et austère : ils vivaient repliés sur eux-mêmes, rejetant le luxe et se contentant d’un régime alimentaire élémentaire et frugal.
Même s’il s’est repris plus tard, Netanyahu a bien proposé aux Israéliens de passer à un régime spartiate : se contenter du minimum pour vivre dans l’autosuffisance tout en consacrant beaucoup d’énergie et de moyens à la vie guerrière, comme chez les Spartiates.
Âge de pierre
Pour Israël de 2025, vivre en autarcie serait le début d’une catastrophe économique de grande envergure. Pays petit et dépourvu de matières premières (à l’exception du gaz), Israël s’est construit et développé comme une économie ouverte ayant développé des liens économiques, technologiques et commerciaux avec le reste du monde.
La dépendance d’Israël vis-à-vis de son commerce extérieur est une des plus fortes au monde : en 2025, les échanges extérieurs contribuent pour environ 50 % de la richesse nationale ; autrement dit : un régime autarcique total ferait perdre au pays la moitié de son revenu national.
Concrètement, l’autarcie signifierait :
- une perte de PIB,
- une pénurie de produits de base,
- une baisse du niveau de vie,
- et un regain de l’inflation.
L’austérité nuira à la confiance des investisseurs et fera fuir les capitaux, sans compter qu’une économie fermée accentuera l’isolement et vice-versa ; bref, un pas vers un retour à l’Âge de pierre.
Autosuffisance militaire
Le lendemain de son « discours de Sparte », Netanyahu a rectifié le tir : l’autarcie ne concernerait que la production militaire.
Si les exportations du secteur de la défense ont bien explosé depuis le début du conflit, la guerre interminable à Gaza a bouleversé la donne : l’isolement international se traduit par des annulations de contrats, des suspensions de projets communs tout comme des menaces concrètes d’embargo et de boycott.
C’est pourquoi Netanyahu prône dorénavant l’autosuffisance militaire : le pays produira par lui-même les armes qu’il ne pourra plus acheter à l’étranger. En sera-t-il capable ? Pas sûr, car si Israël dispose du savoir-faire technologique, il ne dispose pas de toutes les matières premières nécessaires aux industries militaires.
Une chose est sûre : l’isolement international d’Israël commence à coûter cher à son économie. Or cet isolement n’est pas inéluctable, il est le résultat d’un conflit qui ne se termine pas ; il est encore temps de redresser la barre.
à propos de l’auteur
Jacques Bendelac est économiste et chercheur en sciences sociales à Jérusalem où il est installé depuis 1983. Il possède un doctorat en sciences économiques de l’Université de Paris. Il a enseigné l’économie à l’Institut supérieur de Technologie de Jérusalem de 1994 à 1998, à l’Université Hébraïque de Jérusalem de 2002 à 2005 et au Collège universitaire de Netanya de 2012 à 2020. Il est l’auteur de nombreux ouvrages et articles consacrés à Israël et aux relations israélo-palestiniennes. Il est notamment l’auteur de « Les Arabes d’Israël » (Autrement, 2008), « Israël-Palestine : demain, deux Etats partenaires ? » (Armand Colin, 2012), « Les Israéliens, hypercréatifs ! » (avec Mati Ben-Avraham, Ateliers Henry Dougier, 2015) et « Israël, mode d’emploi » (Editions Plein Jour, 2018). Dernier ouvrage paru : « Les Années Netanyahou, le grand virage d’Israël » (L’Harmattan, 2022). Régulièrement, il commente l’actualité économique au Proche-Orient dans les médias français et israéliens.
TIMES OF ISRAEL.
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