Auriculothérapie, anthroposophie, naturopathie : les infirmiers en ordre de marche contre les pseudo-thérapies

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Le conseil national de l’Ordre des infirmiers vient de prendre une position forte contre « les pratiques non conventionnelles de santé » et les dérives sectaires. Dans un communiqué publié le 18 décembre sur son site, il alerte sur de nombreuses pratiques qui n’ont jamais fait la preuve de leur efficacité et peuvent se révéler « douteuses, voire dangereuses », notamment en exploitant la vulnérabilité et les croyances des patients. Le document rappelle que les infirmiers ont pour mission de pratiquer des soins « fondés sur les données acquises de la science », ne doivent pas « conseiller ni proposer au patient ou à son entourage, comme salutaire ou sans danger, un remède ou un procédé illusoire ou insuffisamment éprouvé » et que « toute pratique de charlatanisme » leur est « interdite ».

En plus du communiqué, l’Ordre des infirmiers a publié douze fiches informatives sur douze pratiques « non conventionnelles » : l’art-thérapie, l’auriculothérapie, le décodage biologique, la fasciathérapie, l’hypnose Ericksonienne, la médecine anthroposophique, la médecine intégrative, la méditation de pleine conscience – Mindfulness, la naturopathie, la réflexologie, la sophrologie et la thérapie transgénérationnelles. « Ces fiches sont conçues pour fournir aux patients et aux infirmiers des connaissances détaillées sur ces pratiques, en mettant l’accent notamment sur les bases scientifiques et les éventuels risques », indique le président de l’Ordre des infirmiers, Patrick Chamboredon. Entretien.

L’Express : Pourquoi estimez-vous que tenir cette position est la mission de l’Ordre des infirmiers ?

Patrick Chamboredon : Ce que je souhaite, c’est que notre profession soit en capacité de diffuser des données acquises par la science et d’appliquer les bonnes pratiques malgré les difficultés que nous pouvons rencontrer. Dans le monde de la santé, le rôle d’infirmier est très particulier. La pratique à domicile est par exemple courante. Nous sommes témoins de beaucoup de choses, de l’intimité des patients et faisons face à la « réalité du quotidien » qui consiste à accompagner les patients dans leurs parcours de vie et de santé. Parfois, nous côtoyons des patients qui ont des pathologies très lourdes et pour lesquelles nous savons qu’il n’y a pas de solution thérapeutique, mais qui nous demandent d’être force de proposition. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous tenions absolument à détailler les différentes pratiques, indiquer si elles ont fait preuve de leur efficacité ou non et préciser s’il y a des dérives répertoriées. Le but est à la fois d’aider les infirmiers à y voir plus clair et à pouvoir mieux aider et orienter les patients, mais aussi à ne pas colporter de « fausses médecines ».

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Ces fiches ont aussi pour but d’essayer de faire le tri entre les pratiques qui fonctionnent et celles qui ne fonctionnent pas, et surtout d’aider les patients, de faire en sorte qu’il n’y ait pas de perte de chance pour eux. Il est donc primordial que les professionnels soient informés au mieux et en mesure d’alerter lorsqu’ils voient que certains patients ne sont pas – ou mal – pris en charge.

Vous défendez une position forte, comment est-elle née, quelles sont vos inspirations ?

Cela a pris naissance quand le ministère de la Santé a lancé un groupe travail sur les pratiques de soins non conventionnels [en juin 2023, NDLR]. Au début, nous nous sommes retrouvés fort dépourvus car nous n’avions pas travaillé sur le sujet et n’avions donc pas de matériel de réflexion propre. Nos relations avec la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) étaient, de plus, devenues très distantes depuis qu’elle ne se trouve plus sous l’escarcelle de Matignon mais du ministère de l’Intérieur.

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Nous avons donc pris le problème à bras-le-corps. Nous avons organisé des formations, des rencontres et avons repris contact la Miviludes avec qui nous avons résigné une convention afin d’afficher une position commune visant à améliorer l’information aux professionnels. Nous avons aussi travaillé en collaboration étroite avec les institutions, avec le collectif NoFakeMed [qui regroupe de nombreux professionnels de la santé qui lutte depuis des années contre les « fausses médecines », NDLR] avec qui nous avons d’ailleurs cosigné une tribune parue lundi dernier, ou encore avec le Groupe d’Etude du Phénomène Sectaire (GéPS), reconnu pour son expertise sur le sujet.

Vous avez aussi publié une vidéo en septembre dernier sur votre chaîne Youtube. On vous y voit aux côtés de NoFakeMed et du GéPS. Pourquoi avoir publié cette vidéo et de quelle manière vous ont-ils aidé ?

Nous avons voulu faire passer le message de notre ordre qui est : nous nous fions à la science. Mais cette vidéo a aussi été réalisée dans un but pédagogique, qui est essentiel, notamment parce que notre profession est de plus orientée vers la science. La vidéo a fait près de 10 000 vues dont, je pense, une majorité d’infirmiers.

La vidéo fait aussi état des réflexions menées avec NoFakeMed, le GéPS et la Miviludes – Donation Le Vaillant, qui la dirige, devait venir mais a été empêché au dernier moment. Les douze fiches ont d’ailleurs été élaborées avec le concours du GéPS, mais aussi avec celui du service juridique de l’Ordre des infirmiers. Raison pour laquelle nos documents renvoient fréquemment au code de la Santé publique et au code de déontologie de notre Ordre, dont l’article 10 qui rappelle que nous devons prodiguer des soins basés sur la science et lutter contre charlatanisme, un autre sujet essentiel.

Des études montrent que, dans le monde de la santé, les personnes qui ont le plus tendance à adhérer aux pratiques alternatives sont les infirmiers ou les aides-soignants. Comment l’expliquez-vous ?

Nous savons, grâce aux informations de la Miviludes, que des infirmiers proposent ces pratiques. Mais l’ordre n’a pas de chiffres précis sur ce point-là. L’un des projets que nous allons mener avec la Miviludes est justement de documenter cet aspect afin d’être en mesure de faire de la pédagogie avec ces professionnels de santé, de leur fournir des informations de qualité.

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Mais comme je vous disais, les infirmiers sont dans l’accompagnement des patients, parfois jusqu’à la fin de vie. Lorsqu’ils sont face à des impasses thérapeutiques et qu’ils savent que l’issue sera fatale, certains peuvent être tentés par des pratiques, usages ou théories qui relèvent de l’ésotérisme ou qui ne sont pas basés sur la science. Il est important de rappeler que si des gens peuvent se tourner vers des rebouteux, c’est souvent parce qu’il y a un déficit de personnel médical autour d’eux [cette affirmation a été confirmée par des recherches sociologiques, suggérant que la proximité des soignants permet de mieux lutter contre les dérives, NDLR]. Or, un quart des départements français ne dispose pas de service de soins palliatifs. Certains soignants et patients peuvent donc être tentés de sauter le pas, ce que je peux comprendre, même si cela reste inacceptable. Parce que quand un professionnel dévie, cela jette l’opprobre sur toute la profession. Or personne ne veut être stigmatisé à cause d’une ou deux brebis galeuses.

Comment comptez-vous leur faire passer votre message et surtout de convaincre le plus grand nombre d’appliquer vos recommandations ?

Notre but premier est de faire connaître nos fiches. Nous les avons donc envoyées aux élus qui viennent de rentrer au conseil de l’Ordre. Et nous envoyons chaque mois une newsletter à notre base – de 150 000 personnes -, dont nous savons que le taux d’ouverture est de 60 %. Nous poussons aussi ces positions sur les réseaux sociaux, nous travaillons sur l’émission de la matinale et nous comptons sur le ministère de la Santé pour diffuser ces différents outils.

Comment votre message est-il perçu au sein de votre profession ?

Les fiches ont été réalisées collégialement avec une approbation globale du groupe de travail, mais aussi une approbation à la suite d’une consultation nationale. Vous savez, quand les infirmiers ne sont pas contents, ils n’hésitent pas à le dire, ni à m’écrire directement pour le signifier. Là, je n’ai pas eu de retours négatifs. Peut-être que cela changera à la rentrée quand nous ferons la promotion des fiches une à une ? Pour l’instant, nous sommes encore au début du processus. Nous étions en retard par rapport à d’autres Ordres, mais nous avons remis le pied à l’étrier et avons l’intention de bien expliquer que la science et le droit doivent être au centre de nos pratiques.

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