Au Sigd, l’Éthiopie rencontre Jérusalem
À Jérusalem, la promenade d’Armon Hanatsiv s’est de nouveau drapée de blanc. Des milliers de membres de la communauté éthiopienne israélienne s’y rassemblent pour le Sigd, regard tourné vers le Mont du Temple. Prières, chants, ombrelles colorées et jeûne viennent rappeler un lien ancien avec Sion et la longue marche qui a conduit les Juifs d’Éthiopie jusqu’à l’État d’Israël.
Fixée 50 jours après Yom Kippour, la fête du Sigd est un jour de jeûne, de confession et de renouvellement de l’alliance. Les kessim, autorités religieuses de la communauté, lisent des passages de la Torah et des livres bibliques tandis que les fidèles prient pour la reconstruction du Temple, la paix à Jérusalem et la réussite de l’alyah. Depuis 2008, cette journée figure au calendrier officiel israélien, et les écoles sont encouragées à en présenter l’histoire et les coutumes aux élèves.
À l’occasion du Sigd, le Bureau central des statistiques publie chaque année un état des lieux détaillé de la population d’origine éthiopienne. Fin 2024, 177 600 personnes en Israël se rattachaient à cette communauté, dont 93 400 nées en Éthiopie et 84 200 nées dans le pays de parents éthiopiens. Environ 64,6 % vivent dans les districts du Centre et du Sud. Netanya est la ville qui compte le plus grand nombre de résidents d’origine éthiopienne, avec 13 300 habitants, tandis que Kiryat Malakhi détient la proportion la plus élevée, avec 13,8 % de sa population issue de cette immigration.
Ces chiffres démographiques s’accompagnent d’indicateurs éducatifs en nette amélioration. Pour l’année scolaire 2023-2024, quelque 34 300 élèves d’origine éthiopienne étaient inscrits dans le système éducatif israélien. Le taux de présentation au baccalauréat atteint 93,7 %, et les taux d’obtention du diplôme progressent régulièrement, signe d’un rattrapage scolaire réel par rapport aux générations arrivées dans les années 1980 et 1990.
Dans l’enseignement supérieur, 4 151 étudiants d’origine éthiopienne étaient inscrits en 2024-2025. Les filières les plus choisies sont le commerce, les sciences de gestion, les professions de santé et le management, autant de domaines perçus comme vecteurs de mobilité sociale. La présence de la communauté se renforce aussi dans la vie sportive : 2 182 sportifs actifs enregistrés, soit environ 1,5 % de l’ensemble des athlètes en Israël, témoignent d’une intégration croissante dans les clubs et compétitions nationales.
Pourtant, derrière les chiffres encourageants, le sentiment de discrimination reste très vif. Un sondage national réalisé en 2023 montre qu’une écrasante majorité des Israéliens d’origine éthiopienne déclarent avoir fait l’expérience de comportements racistes dans leurs interactions avec les institutions publiques. Près de 90 % disent avoir été confrontés au racisme dans des services administratifs, éducatifs, sociaux ou de santé. Dans un autre sondage, 74 % de l’ensemble des Israéliens reconnaissent que cette communauté est effectivement victime de discrimination.
Les données de la Knesset pour la période 2019-2023 illustrent ce malaise : les citoyens d’origine éthiopienne sont interpellés par la police à un taux pouvant atteindre jusqu’à quatre fois leur part dans la population. Des rapports officiels et des enquêtes de centres de recherche évoquent des contrôles d’identité plus fréquents, un recours disproportionné à la force dans certains incidents et une surreprésentation dans les statistiques pénales, alimentant le sentiment d’une discrimination dite parfois « structurelle ».
Face à ces constats, les pouvoirs publics ont mis en place des dispositifs spécifiques : unités gouvernementales chargées de lutter contre le racisme, plans interministériels pour corriger les écarts dans l’éducation, l’emploi et le logement, programmes éducatifs ciblés pour soutenir les élèves et étudiants issus de l’alyah éthiopienne. Des organisations de la société civile, souvent dirigées par des acteurs de la communauté, agissent en parallèle pour renforcer le leadership local, la réussite scolaire et l’accès à l’enseignement supérieur.
Sur la promenade d’Armon Hanatsiv, ces tensions sont rarement exprimées en slogans. Elles affleurent plutôt dans les discours des leaders communautaires, qui font le lien entre la mémoire des marches à travers le Soudan, les opérations de sauvetage aérien et les défis d’aujourd’hui : dignité, égalité, reconnaissance. Le Sigd devient alors à la fois fête de la Torah, célébration de l’alyah et journée de réflexion sur la place des Israéliens d’origine éthiopienne dans la société.
Entre progrès mesurable et sentiment persistant d’injustice, la communauté éthiopienne israélienne continue de chercher sa pleine place dans le paysage national. Le Sigd rappelle que cette quête se déroule au cœur même de l’histoire juive, à Jérusalem, et que l’enjeu, au-delà des statistiques, est de transformer la visibilité symbolique en égalité concrète, dans un cadre de débat démocratique où chacun peut se reconnaître.
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