Attentats et djihadisme : « Radicalisation et maladie mentale ne se superposent pas »

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Comment prendre en charge les personnes radicalisées ? Ce mercredi 6 décembre, les principales organisations de psychiatrie qui officient dans le champ judiciaire ont alerté dans un communiqué contre de nombreux « amalgames et confusions » à l’encontre de leur profession depuis l’attentat de Bir-Hakeim qui a fait un mort samedi 2 décembre à Paris. L’attaque a été perpétrée par un assaillant suivi pour des troubles psychiques, et qualifiée de « ratage psychiatrique » par le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin ce lundi.

Cette charge, en mettant l’accent sur une éventuelle responsabilité de la psychiatrie dans ces affaires de fanatisme religieux et politique, ne cesse de provoquer la colère chez les spécialistes. « Si certaines maladies mentales peuvent dans de rares cas donner lieu à des violences liées à la radicalisation, les deux phénomènes sont la plupart du temps disjoints », rappelle Jean-Louis Senon, psychiatre criminologue au CHU de Poitiers, qui a participé à la rédaction de la réponse des experts au ministre. Explications.

L’Express : Pourquoi la position du ministre de l’Intérieur a-t-elle autant fait réagir le corps psychiatrique et de quelles « confusions » parlez-vous ?

Jean-Louis Senon : Contrairement à ce qu’on a pu entendre dans le débat public à la suite de l’attaque terroriste de Bir-Hakeim, radicalisation et maladie mentale ne se superposent pas, sauf à de très rares exceptions. D’ailleurs, en dehors des spécialistes qui interviennent sur les populations en rapport avec la justice, comme en détention par exemple, les psychiatres en milieu ouvert ne voient quasiment pas passer ces profils dans leur cabinet et seraient bien démunis face à leur radicalité.

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« Sauf exceptions » ? Dans quel cas une maladie mentale peut-elle conduire à une radicalisation ?

C’est le cas avec certaines psychoses schizophréniques, par exemple. Les modifications des croyances et des pensées induites par la schizophrénie vont faire croire à la personne qu’elle est persécutée. Celle-ci peut alors penser, en fonction du contexte et de l’environnement social où elle se trouve qu’il y a derrière des motifs politiques, comme par exemple une haine de l’islam, et se radicaliser en réponse. Beaucoup de délires schizophréniques présentent des composantes politiques ou religieuses.

Comment se passe la prise en charge psychiatrique dans ces cas-là ?

Dans ces cas-là, la personne suivie va se voir proposer un traitement antipsychotique. En moyenne, le délire paranoïde qui comporte des thèmes de radicalisation s’efface très rapidement, en trois semaines environ. Une injonction de soin peut être prononcée sur décision du représentant de l’État après avis médical, ou par un juge.

Vous dites que c’est un cas de figure rare ? Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, assure pourtant que c’est courant…

Le chiffre avancé par Gérald Darmanin ne correspond pas à la réalité médicale. Selon le ministre de l’Intérieur, 30 % des personnes suivies pour radicalisation présenteraient « des troubles d’ordre psychiatrique ». Ce chiffre est tiré du renseignement et se base sur des éléments recueillis par les enquêteurs, et non pas sur un diagnostic médical.

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Selon toutes les études internationales, la prévalence des troubles psychiatriques parmi les sujets radicalisés et commettant des actes terroristes est d’environ 3 à 6 %. Selon les données communiquées par l’administration pénitentiaire en 2020, seulement 8 % des personnes incarcérées pour des faits de terrorisme présentent des troubles psychiatriques.

Ne faut-il pas présenter des troubles psychiques pour s’en prendre à des malheureux au hasard dans la rue ?

Malheureusement, chacun d’entre nous peut se trouver dans une situation où il agresse avec une violence homicidaire. J’ai récemment eu affaire à un cas avec des multiples coups de couteau et étranglement. La personne ne présentait aucune maladie mentale. Elle avait simplement cédé à son ressentiment, et réglait ses comptes familiaux. Prenez les règlements de comptes à Marseille : on observe une violence inouïe, de plus en plus jeune, mais très rarement de composantes psychiatriques.

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En réalité, ce qui fait qu’une personne passe à l’acte et comment elle procède ne relève pas de la psychiatrie sauf à la marge. Bien sûr avoir des troubles n’aide pas. Ils peuvent expliquer certains éléments. L’analyse psychologique du fonctionnement du radicalisé peut d’ailleurs s’avérer intéressante. On retrouve souvent chez ces personnes des familles délabrées, l’absence de père, une conflictualité intrafamiliale, un manque de reconnaissance, une identification narcissique extrêmement pauvre (NDLR : peu d’amour-propre). Mais ces caractéristiques sont communes à beaucoup de personnes.

Mais qu’est-ce qui fait alors qu’un individu se tourne vers le djihadisme plutôt que vers la délinquance ?

Il faut regarder la façon dont la famille est en rapport avec le reste de la société. Dans les radicalisations, on voit des familles extrêmement isolées, sans accès au sport ou à l’école en dehors de son caractère obligatoire. L’isolement familial est une composante majeure. En fonction des diverses orientations de ce milieu, l’individu, surtout s’il est jeune, peut alors être exposé à des idéologies politiques et religieuses radicales et faire de mauvaises rencontres qui vont participer à le radicaliser. Le jeune adhère car il y obtient une écoute et une valorisation qu’il n’avait pas jusqu’à présent.

Les psychiatres peuvent participer à la réponse apportée à la radicalisation en proposant une analyse du fonctionnement psychique de l’individu ou en prenant en charge des affections psychiques annexes comme la dépression, qui, si elles ne sont pas responsables de la radicalisation, peuvent retarder l’apaisement ou la repentance. Mais il s’agit avant tout d’un phénomène de société. Difficile donc d’y apporter une réponse psychiatrique. Elle ne me semble pas la plus judicieuse au premier abord, d’autant plus que par méfiance vis-à-vis de l’autorité, les profils radicalisés sont très difficiles à approcher sur ce plan. C’est d’ailleurs en partie pour cette raison que les centres de déradicalisation n’ont pas marché.

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