Quel accouchement douloureux ! Ce dimanche 3 décembre, Aurélien Pradié commente sur X (ex-Twitter) l’attentat à Paris, perpétré la veille près de la Tour Eiffel. Le député LR du Lot s’y prend à trois reprises pour trouver les mots justes. Il alerte d’abord sur « l’abandon de la psychiatrie » et les lacunes du « fichage S ». Puis modifie une première fois message, et le republie. Il cite alors les défaillances du fichage S, et conclut : « Tout a été abandonné. La psychiatrie, la contrainte, notre sécurité. » Dans la troisième version, la psychiatrie a tout simplement disparu. « Notre pays est une terre de radicalisation. Les petits pas sont une lâcheté », conclut le texte à la tonalité sécuritaire. Virage à 180 degrés. Entre-temps, l’ex numéro 2 de LR a été pris à partie par des utilisateurs du réseau social. La psychiatrie n’est à leurs yeux qu’une diversion bien commode pour évacuer la menace djihadiste.
L’auteur présumé de l’attaque de Paris a un profil hybride. Armand Rajabpour-Miyandoab était fiché pour radicalisation islamiste (FSPRT) et atteint de troubles psychiatriques. Motivations idéologiques et maladies mentales s’entremêlent dans un cocktail explosif, observé lors de nombreux attentats islamistes. « Entre 25 % et 40 % des personnes suivies pour radicalisation sont concernées par des maladies mentales », assure au Figaro Gérald Darmanin, favorable à ce que les pouvoirs publics puissent exiger une « injonction de soins pour une personne radicalisée suivie pour troubles psychiatriques ». Le ministre de l’Intérieur déplore « un ratage » dans le suivi psychiatrique de l’assaillant, manière de dédouaner ses services.
« Je ne veux pas qu’on dissimule le débat de l’islam radical »
Psychiatrie et terrorisme. L’équation est complexe. Sa subtilité sied mal à la tentation d’une explication univoque des attentats, tant cette dernière relève d’une guerre culturelle. Chaque camp veut imposer sa lecture idéologique de l’attaque afin qu’elle conforte son discours politique. Ainsi le Rassemblement national (RN) évacue le sujet psychiatrique pour mieux dénoncer l’immigration et la menace islamiste. « Je ne veux pas qu’on dissimule le débat de l’islam radical derrière celui de l’instabilité psychiatrique », a assumé sur Sud Radio son président Jordan Bardella.
A l’opposé, Jean-Luc Mélenchon, soucieux d’éviter tout amalgame entre musulmans et islamisme, a mis en lumière sur X « l’effondrement du système psychiatrique ». Sans poser de mots sur l’idéologie guidant le terroriste présumé, qui a fait allégeance au groupe Etat islamique (EI). Ici, la psychiatrie est un obstacle à écarter. Là, un bouclier à brandir.
Rien de nouveau. L’enjeu psychiatrique est intervenu dans plusieurs crimes de droit commun ou attaques dont s’est saisie la justice antiterroriste ces dernières années, comme à la préfecture de police de Paris (octobre 2019) ou Rambouillet (avril 2021). Cette matière est ambivalente. L’amélioration du « système psychiatrique » est un objectif consensuel, peu clivant et donc sans force politique. Or, ce sujet se greffe à des sujets brûlants, comme l’insécurité, l’islamisme ou l’immigration. D’où les accusations de déni de l’extrême droite, qui ne voit dans ce sujet qu’une mise sous le boisseau d’autres thématiques. « La gauche dit que le sujet n’est pas la sécurité mais le manque de moyens de la psychiatrie pour minimiser l’ensauvagement, théorisait au printemps Stanislas Rigault, proche d’Eric Zemmour. Notre but est de dire qu’on est dans un pays où l’ensauvagement fait rage et de hiérarchiser les problèmes. »
Derrière la psychiatrie, des sujets brûlants
C’est ainsi, la psychiatrie n’est pas le meilleur sujet pour montrer les muscles. En novembre 2008, un malade s’échappe d’un service psychiatrique avant de poignarder à mort un jeune homme dans les rues de Grenoble. Nicolas Sarkozy dévoile en réponse un « plan de sécurisation des hôpitaux psychiatriques » impliquant la multiplication des structures d’enfermement. « Sa réponse ignorait la psychiatrie, se souvenait cet été le député PS de l’Essonne Jérôme Guedj. Mais le questionnement complexe sur les causes de la violence ou le contexte est vécu comme une exonération à un moment où l’émotion demande une réponse de protection. »
Quinze ans plus tard, cette demande de protection n’a pas faibli. La scène politique est en revanche davantage polarisée. Un clivage gauche-droite se dessine dans la référence aux enjeux psychiatriques. Le 14 octobre 2022, Lola est assassinée à Paris. La principale suspecte du meurtre de l’adolescente est une Algérienne visée par une obligation de quitter le territoire français (OQTF). La droite épingle le faible taux d’exécution de ces mesures d’éloignement, quand une partie de la gauche s’attarde sur le profil psychiatrique de l’accusée.
L’attaque au couteau d’enfants à Annecy par un Syrien au cri de « au nom de Jésus Christ » en juin 2023 réveille la césure. La droite appelle à une refonte de notre politique d’asile, LFI évoque « le problème de la santé psychique en France ». Là encore, la frontière entre psychiatrie et terrorisme, empreinte de subjectivité, est floue. « Si le type avait crié ’Allah Akbar’, le parquet national antiterroriste se serait saisi », notait à l’époque un ancien ministre de l’Intérieur. Ce flou génère moins de nuances que de positions tranchées. Quand un crime ou un attentat est difficile à expliquer, chaque camp peut imposer ses vues. « Après Lola ou Annecy, le type de droite va parler immigration, celui de gauche misère de la psychiatrie. Il faut en réalité évoquer les deux sujets, et saisir l’occasion de regarder ce qu’on ne voudrait pas spontanément regarder », juge Jérôme Guedj. La bataille du récit n’incite pas à ces concessions.
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