La coalition internationale qui a été annoncée hier par les États-Unis pour faire face aux attaques des Houthis en mer Rouge, et dans laquelle la France entend jouer son rôle, commence à prendre forme. Quelle peut être la nature de la réplique à de nouvelles attaques ? Décryptage avec le vice-amiral Michel Olhagaray, ancien commandant de l’École navale.
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« Opération gardien de la prospérité ». C’est la mission de la nouvelle coalition internationale censée mettre un terme aux attaques répétées des rebelles houthis en mer Rouge, et dont la création a été annoncée, lundi 18 décembre, par Lloyd Austin, le secrétaire américain à la Défense.
Cette force, qui comprend une dizaine de pays, dont la France, le Royaume-Uni, le Bahreïn, le Canada, l’Italie, les Pays-Bas, la Norvège, l’Espagne et les Seychelles, doit notamment effectuer des patrouilles conjointes dans le sud de la mer Rouge et dans le golfe d’Aden, pour protéger le trafic maritime. Les principales puissances arabes régionales, comme l’Égypte, qui est directement concernée économiquement par cette crise, via le canal de Suez, se contentent, pour l’instant, d’abattre les drones qui pénètrent leur espace aérien.
La semaine dernière, plusieurs compagnies de transport maritime, dont le français CMA CGM, avaient fait savoir que leurs navires n’emprunteraient plus cette mer « jusqu’à nouvel ordre », à cause des attaques à répétition des Houthis, qui disent agir contre des navires israéliens ou à destination d’Israël, en soutien au Hamas palestinien.
« L’escalade récente des attaques irresponsables des Houthis en provenance du Yémen menace la libre circulation du commerce, met en danger la vie de marins innocents et viole le droit international », a déclaré Lloyd Austin.
« C’est pourquoi aujourd’hui j’annonce l’établissement de l’opération Prosperity Guardian », a-t-il ajouté.
« Un engrenage serait synonyme de déclaration de guerre »
Toutefois, la marge de manœuvre de cette nouvelle coalition ne sera pas aisée, notamment si elle est poussée, à terme, à devoir frapper les bases de lancement de drones des rebelles pro-iraniens.
« La réponse internationale aux attaques des Houthis s’annonce très compliquée, parce que comme dans toute coalition, il faut d’abord que tous ses membres soient d’accord sur la nature et l’ampleur de la réplique, estime le vice-amiral Michel Olhagaray, ancien commandant de l’École navale et ex-directeur du Centre des hautes études militaires. Il va s’agir d’une opération complexe de sécurisation de la mer, mais une espèce de sécurisation entravée puisqu’à mon avis cette coalition n’a pas vocation à frapper directement sur le territoire du Yémen car un tel engrenage serait synonyme de déclaration de guerre ».
« Ce n’est pas pensable, parce qu’il y a des lignes rouges et parce que cela pourrait entraîner un déchaînement de violence et une explosion du conflit, ajoute-t-il. Pour les Occidentaux, qui sont relativement sensibles à l’opinion internationale, cela serait malvenu, du point de vue de l’image, parce que cela pourrait générer un tel développement en Afrique et partout dans tout le monde musulman ».
Coalition internationale ou pas, mardi, les Houthis ont fait savoir de leur côté qu’ils ne renonceraient pas à leurs attaques.
« Même si l’Amérique mobilise le monde entier, nos opérations militaires ne s’arrêteront pas (…) quels que soient les sacrifices que cela nous coûte », a prévenu Mohammed al-Bukhaiti, un haut responsable des Houthis, dans une publication sur le réseau social X.
Il a averti que ces attaques s’arrêteraient seulement « si Israël cesse ses crimes et que la nourriture, les médicaments et le carburant parviennent à la population assiégée », de la bande de Gaza.
« Sécuriser est une chose, contrer les attaques de drones en est une autre »
Pour Michel Olhagaray, la coalition, comme le confirme d’ailleurs la défiance des Houthis, n’est pas un instrument de dissuasion.
« Je ne pense pas que l’établissement de l’opération Prosperity Guardian va beaucoup aider à dissuader les Houthis de mener leurs actions, poursuit le vice-amiral. En revanche, elle peut permettre de sécuriser le détroit de Bab al-Mandeb contre des petits esquifs ou des boutres armées utilisés dans des attaques de surface, exactement comme lorsqu’il a fallu contrôler les actes de piraterie dans le golfe de Guinée ».
Près de 40 % du commerce mondial transite par le détroit stratégique de Bab al-Mandeb, qui sépare la péninsule arabique de l’Afrique.
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« Sécuriser est une chose, protéger contre les attaques de drones en est une autre, car cela demande des consommations de missiles importantes » souligne Michel Olhagaray.
Précisément si les Houthis décident de saturer le ciel en lançant simultanément plusieurs dizaines de drones contre des navires marchands en mer Rouge.
« Les missiles occidentaux sont très performants mais ils coûtent extraordinairement chers, près d’un million d’euros l’unité, comme les Aster 15 européens utilisés par la marine française, décrypte Michel Olhagaray. Donc s’il s’agit de les employer contre des projectiles fournis par l’Iran qui coûtent quelques dizaines de milliers d’euros, il sera facile pour les Houthis d’épuiser un peu les capacités et les stocks de la coalition ».
La frégate Languedoc, qui patrouille dans la région, a déjà fait usage de missiles sol-air Aster 15, la semaine dernière, contre un drone menaçant directement un pétrolier norvégien.
Une coalition destinée à « couvrir une zone très étendue«
Mardi, Catherine Colonna a laissé entendre que la France comptait jouer un rôle de premier plan dans la nouvelle coalition.
« Nous avons décidé de renforcer notre coopération pour lutter contre la menace terroriste dans cette zone, a précisé la ministre française des Affaires étrangères, lors d’une conférence de presse conjointe avec son homologue britannique David Cameron, en visite à Paris. Il faut renforcer nos capacités opérationnelles dans la zone pour mettre un terme à ces attaques ».
Toujours mardi, le ministère britannique de la Défense a annoncé que le destroyer HMS Diamond a rejoint la coalition, après une réunion virtuelle de plus de 20 pays.
Un « renforcement bienvenu » conclut Michel Olhagaray, « puisqu’il ne s’agit pas simplement de protéger le détroit de Bab al-Mandeb, mais de couvrir une zone très étendue qui va jusqu’au canal de Suez, autre point d’entrée et de sortie stratégique pour le trafic maritime international ».
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