A voir Arthur Fils souriant et solaire, on pourrait croire que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Sur le plan personnel, on n’en est pas loin : le Français a profité des derniers mois pour passer des vacances en famille au Portugal et « quelques week-ends à la maison ». Des moments de calme que Fils aurait pu pleinement savourer s’ils ne s’inscrivaient pas dans une longue convalescence consécutive à la fracture de fatigue au dos qui l’avait contraint à jeter l’éponge après sa victoire épique au 2e tour de Roland-Garros.
« Je me suis aussi beaucoup, beaucoup entraîné, j’ai passé beaucoup de temps en salle », confie Fils, qui se donne le temps de revenir à défaut de donner une date de retour sur le circuit. Sa réapparition prématurée à Toronto a terminé de le convertir à la patience, et rien ne semble le perturber, pas même son inexorable chute au classement ATP (40e). « J’ai 21 ans, on n’est pas pressé. » Dans le cadre d’une opération de la marque de boissons énergisantes Celsius, un de ses sponsors, le joueur francilien se confie auprès de 20 Minutes sur cette reconstruction qui vise le long terme, loin de cette phase finale de Coupe Davis à laquelle participent les Bleus pour la première fois depuis des lustres.
Comment allez-vous et à quoi ont ressemblé vos derniers mois loin des courts ?
Franchement, ça va vraiment bien. Évidemment, il faut être patient, ça prend du temps, mais tout va bien.
On revient six mois en arrière. 2e tour de Roland-Garros contre Jaume Munar, un très beau match à rebondissements pour le public mais un peu plus douloureux pour vous avec cette blessure au dos. Si c’était à refaire, vous iriez au bout de ce match ?
Le match, je l’aurais fini. Après, la vraie question c’est : est-ce que j’aurais dû jouer Roland-Garros ? C’est un peu différent, parce que je savais que j’étais déjà blessé avant d’arriver à Roland. J’ai pris la décision avec toute l’équipe, mais j’ai pas mal poussé pour pouvoir jouer. Parce que j’étais en forme, j’étais 13ème ou 14ème mondial, je jouais pas mal. Donc je voulais vraiment jouer.
Après, quand on commence comme ça, on sait à quoi s’attendre. On sait que normalement, ça va faire mal. Mais une fois rentré sur le terrain contre Munar il était hors de question d’arrêter le match, et j’ai tout fait pour le gagner. Je me suis dit qu’il fallait jouer à fond, en plus devant le public, j’avais pas le choix. Mine de rien, c’est une victoire qui m’a fait beaucoup de mal, mais beaucoup de bien aussi pour la confiance. Je n’avais jamais gagné de match à Roland avant cette année. Même blessé, j’ai battu Jarry et Munar sur un gros match. Je me suis prouvé des choses à moi-même. Mais avec un peu plus d’expérience, je prendrais la décision de ne pas disputer le tournoi.
Munar avait un peu râlé à l’époque à cause du public, mais aussi à cause du temps mort médical pour chasser cette douleur au dos. Avec le recul, que lui répondez-vous ?
(Sourire) C’est de bonne guerre. Il pensait que j’avais que des crampes. On savait dans l’équipe que j’étais blessé. Après lui, il ne peut pas le savoir.
Cette blessure justement, c’est désormais le nerf de la guerre. Que pouvez-vous raconter de cette blessure ? Qu’est-ce qu’elle implique et est-ce la continuité de la blessure au dos que vous aviez eu à l’adolescence ?
Sans rentrer dans les détails, quand j’avais 15 ans, j’avais déjà eu quelques petits problèmes au dos, une lise isthmique au niveau de la vertèbre L5. Si je ne dis pas de bêtises, ça [la fracture] a dû se résorber, mais je sais que c’est une partie de mon corps qui, de temps en temps, peut être un peu fragile. Lorsque je suis arrivé à Roland, je savais que j’avais déjà ma fracture de fatigue. On s’est dit que ça ne pouvait pas s’aggraver. J’ai essayé de faire au maximum pour pouvoir reprendre le plus vite possible, peut-être en sautant des étapes. Je me sentais bien, parce que c’est une blessure que je connaissais. Je suis parti jouer Toronto. Malheureusement, j’ai peut-être repris un peu trop tôt. Donc après, on a repris le temps. On s’est dit que c’était mieux de ne pas jouer la fin de saison et reconstruire complètement le corps, le dos.
Dans quelle mesure votre routine de travail a évolué avec cette blessure au dos ?
C’est un travail qui prend pas mal de temps. Je dois faire énormément de gainage. Toute ma journée est basée sur le gainage. Je dois faire attention à beaucoup de choses, comme la récupération. Je fais beaucoup de soins, aussi. Je dois faire attention à la nutrition. Pour un joueur de tennis, quand on n’est pas sur le terrain, ça peut être un peu relou. Mais ça fait partie du travail maintenant. C’est une blessure qui prend du temps. Il ne faut pas aller trop vite, sinon, on se recasse. On a fait le choix avec l’équipe de prendre beaucoup de temps. J’ai 21 ans. J’ai encore 15 ans de carrière. Ça va, on n’est pas pressé. C’est une nouvelle approche.
Il n’y a pas d’inquiétudes pour la suite de votre carrière ?
Aucune inquiétude, non. Quand on est bien entouré… J’ai fait évoluer mon staff médical. On a posé les bases. On a un plan. Il n’y a plus besoin de s’inquiéter. Comme on dit en anglais, « trust the process ».
Sur le plan tennistique, vous êtes un joueur capable de mettre beaucoup d’intensité. Peut-être trop ? Y aura-t-il des adaptations dans votre jeu ?
On va changer des petites choses. Vous imaginez bien que je ne vais pas vous dire quoi (rires). On va changer des petites choses. Les médecins ont établi un plan avec le kiné, avec le coach physique, avec le coach tennis pour essayer de moins impacter mon dos. Il y a quelques petits changements que je peux apporter. C’est forcément des changements qui prennent du temps, car ça fait 15 ans que je joue de la même manière.
Sans rentrer dans le détail, André Agassi, qui avait les mêmes problèmes de dos mais à un stade encore avancé, s’est notamment adapté en prenant de très petits appuis. Est-ce que vous avez déjà identifié des adaptations comparables pour économiser votre dos ?
Oui, il y a des histoires pour changer les appuis. Pour éviter de mettre le dos en tension au service, aussi. Au lieu de faire que des kicks, peut-être changer un peu. C’est pas mal de questions auxquelles il faut trouver des réponses.
Le sort est un peu taquin, votre dernier adversaire a été Jiri Lehecka, qui lui aussi a été arrêté plusieurs mois à cause d’une blessure au dos à peu près similaire. Vous en aviez discuté avec lui ?
Oui, j’en ai parlé pas mal de fois avec lui. Lors de ma reprise à Toronto, il m’avait fait remarquer que lui avait pris un peu plus son temps que moi. Mais en réalité, sa blessure n’avait presque rien à voir. Lui, c’était très haut dans le dos. Moi, c’est assez bas. Donc, c’est deux endroits un peu différents. Dans tous les cas, le dos, ça prend du temps. Et ça dépend aussi de chaque individu. Pour lui, ça a peut-être pris un peu plus de trois mois, mais pour un autre, peut-être que ça en prendra six. Rublev en avait eu pour un mois et demi ou deux, maximum. Bien sûr, j’essaie de tirer un peu des conseils de tous ces mecs, mais je fais plus confiance à mon équipe.
« Je pense qu’il n’y a pas un seul mec qui veut jouer contre moi au premier tour en Australie »
La question à un million : avez-vous déjà coché une date pour votre retour sur le circuit ?
Le plus important maintenant, c’est la période d’entraînement qui arrive. Ça va être de continuer à bien bosser, bien s’entraîner thérapeutiquement, physiquement. Continuer à faire des soins. Mais je n’ai pas encore de date. Franchement, ce n’est pas le plus important.
Ne pas pouvoir défendre vos points, descendre au classement ATP, ça vous pèse où vous parvenez à en faire abstraction, en vous disant que de toute façon, les meilleurs, vous devrez les affronter quoi qu’il arrive ?
Arrivera ce qui devra arriver. Je pense qu’il n’y a pas un seul mec qui veut jouer contre moi au premier tour en Australie. Ce n’est pas plus mal pour moi.
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