Les drones MQ-9 Reaper de l’armée de l’Air montent en gamme. La semaine dernière, « quatre missiles Hellfire ont été tirés pour la première fois par nos équipages Reaper » a annoncé sur les réseaux sociaux Jérôme Bellanger, chef d’état-major de l’armée de l’Air et de l’Espace (AAE).
« Une campagne d’expérimentation conduite par le CEAM [Centre d’expertise de l’armée de l’Air] Air Warfare Center, et la 33e escadre » a été réalisée sur une cible, positionnée en mer, comme le montre la vidéo postée par le chef d’état-major. Voici ce qu’il faut savoir sur ce missile et sur ce drone.
C’est quoi le missile Hellfire ?
Destiné à détruire des cibles de type blindés, hélicoptères ou navires, le Hellfire ( « Feu de l’enfer ») est un missile américain à guidage laser semi-actif d’une portée d’environ 8.000 mètres, qui existe en version air-air ou air-sol. Supersonique puisque sa vitesse est de 1,3 Mach (plus de 1.600 km/h), sa précision est de l’ordre d’un mètre. Surnommé le « tueur de chars » par les Ukrainiens qui s’en sont servis sur le front – avant que les Etats-Unis ne suspendent leur livraison –, ce missile serait capable d’anéantir « n’importe quel char dans le monde », selon le site Military. Ces engins équipent déjà les hélicoptères Tigre de l’armée française.
« En dotant nos MQ-9 Reaper de missiles Hellfire, nous élargissons la palette des munitions tirées par notre drone, explique le chef d’état-major de l’armée de l’Air. Cette nouvelle configuration permet d’agir rapidement sur le terrain, de la détection d’une menace à sa neutralisation, tout en limitant considérablement les risques de dommages collatéraux. » Par ailleurs, « dans un contexte opérationnel où les facteurs temps et précision sont plus que jamais centraux, cette nouvelle capacité illustre notre volonté de toujours conserver l’avantage dans la boucle décisionnelle. »
A quoi sert le drone Reaper ?
Le MQ-9 Reaper est un drone de conception américaine, produit par General Atomics, qui équipe l’armée de l’Air française depuis 2013. Elle en dispose d’une douzaine à ce jour, opérés depuis la base aérienne 709 de Cognac-Châteaubernard (Charente) par la 33e Esra (Escadre de surveillance, de reconnaissance et d’attaque), où 20 Minutes s’était rendu en juin dernier. Créée en 2018, il s’agit de la seule escadre de drones en France.
Les Reaper, tous comme les drones turcs Bayraktar TB2, font partie de la famille des drones MALE [Moyenne altitude longue endurance], de l’envergure d’un avion. Ce sont des drones « assez gros, assez lents, faits pour voler très longtemps dans des environnements aériens permissifs » explique Stéphane Audrand, consultant en risques internationaux. « Volant haut dans le ciel, ils ont eu leur heure de gloire dans les années 2000-2010, à une époque de conflits d’assez basse intensité ; il y avait peu de missiles antiaériens et surtout pas de moyen de détection avancé, ce qui fournissait une vraie impunité à ceux qui s’en servaient, notamment les Etats-Unis », poursuit le spécialiste.
Dans les conflits « asymétriques » contre les djihadistes, auxquels la France a participé, le Reaper s’est notamment avéré « plus pratique, efficace et moins cher que de maintenir un avion de patrouille en l’air, avec des militaires dedans ». Equipé d’une boule optronique, le Reaper peut en effet détecter des cibles et communiquer leurs positions.
« C’est avant tout un avion de surveillance et de reconnaissance », nous expliquait en juin dernier le lieutenant-colonel Benjamin, commandant en second de la 33e escadre. Mais il peut aussi servir, en dernier lieu, de vecteur d’attaque. La France a armé l’engin à partir de fin 2018 avec des bombes GBU12 de 250 kg, et le premier tir d’un drone Reaper français a été délivré en décembre 2019 dans le centre du Mali. Des commandos étaient alors pris à partie par un groupe de terroristes dans le cadre de l’opération Barkhane [opération militaire menée au Sahel et au Sahara par l’Armée française contre les groupes armés djihadistes].
Quelle utilité peut-il encore avoir ?
Ces drones MALE n’ont en revanche « aucune capacité de survie dans des environnements où il y a de la défense aérienne, parce qu’ils volent dans l’enveloppe d’engagement des missiles, et qu’ils ont une grande surface radar, ce qui en fait de grosses cibles lentes », assure Stéphane Audrand. Comme ils sont de surcroît « assez chers [de l’ordre de 30 millions d’euros pièce pour les Reaper], cela vaut le coup de cramer un missile dessus. » Bref, dans un conflit comme la guerre en Ukraine, ce genre d’appareil « n’a plus d’utilité ». « L’Ukraine a certes utilisé des Bayraktar dans les tout premiers jours du conflit, mais c’était quand les Russes n’avaient pas encore activé leur défense aérienne, précise le spécialiste. Les Ukrainiens s’en servent encore aujourd’hui, essentiellement au-dessus de la mer Noire, où il n’y a pas trop de navires russes ».
S’il ne semble plus adapté aux conflits modernes de haute intensité, le Reaper n’est pas à jeter au rebut pour autant. Notamment pour un pays comme la France, « qui envisage encore de se projeter dans différents points du globe et qui possède un espace maritime gigantesque ainsi que des territoires ultramarins complexes à surveiller », souligne Stéphane Audrand. Le missile Hellfire pouvant traiter de petites embarcations en mer, « le drone Reaper pourrait par exemple encore servir à faire de l’interdiction maritime à moindre coût plutôt que d’envoyer trois Rafale sur place ».
« Cet outil est devenu incontournable », nous assurait en juin dernier le commandant en second de la 33e escadre. « Le renseignement étant désormais au cœur de la guerre moderne, l’utilisation de ce système, qui permet d’aller voir plus loin, plus vite, et offrant de l’information quasiment en temps réel, est de plus en plus intéressante pour les états-majors. »
Pourquoi la France utilise-t-elle du matériel américain dans ce domaine ?
Pas avare de reproche envers les pays privilégiant l’avion de chasse américain F-35 plutôt que son Rafale, la France serait donc moins regardante quand il s’agit de drone et de ses missiles ? « Il est vrai qu’acheter américain aujourd’hui pose question sur le long terme vu l’évolution des rapports transatlantiques, analyse Stéphane Audrand. Mais il n’y a tout simplement pas d’offre européenne pour un drone MALE » ajoute-t-il.
Et c’est là qu’on reparle du projet de l’Eurodrone, « une espèce d’éléphant blanc dont on ne sait jamais si le programme ira au bout ou pas », résume le spécialiste. D’autant plus depuis la guerre en Ukraine, qui a donc montré les limites du drone MALE dans les conflits modernes. « L’Eurodrone est de surcroît un bijou technologique qui s’annonce très cher, alors qu’il vaut mieux chercher des solutions low-cost ». C’est là que le projet Aarok de la société française Turgis Gaillard, annoncé entre 5 et 10 millions d’euros selon les versions, pourrait trouver sa place.
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