Des cris, des hurlements, des républicains qui quittent la salle en bloc… Une réunion du Congrès américain organisée mardi 5 décembre, portant sur les négociations autour de la nouvelle enveloppe d’aide à l’Ukraine, a viré à la foire d’empoigne entre les élus démocrates et républicains.
Est-ce un signe que ces tensions sont prises au sérieux du côté de Kiev ? Le président ukrainien Volodymyr Zelensky, qui devait participer à ce briefing à huis clos par visioconférence, a annulé son intervention à la dernière minute, sans donner de raison.
Washington est le fournisseur le plus important d’aide militaire à Kiev, ayant engagé des dizaines de milliards de dollars depuis l’invasion russe en février 2022. Mais la promesse du président démocrate Joe Biden de continuer à appuyer financièrement l’Ukraine est sérieusement mise en péril.
Le grand flou budgétaire
Un premier vote de procédure, prévu ce mercredi au Congrès sur un nouveau gigantesque volet militaire, humanitaire et macroéconomique pour Kiev, devrait sauf grande surprise échouer. Mardi en fin de journée, Joe Biden a fait part de sa frustration grandissante : « L’incapacité à soutenir l’Ukraine est tout simplement absolument insensée. C’est contraire aux intérêts des Etats-Unis », a déclaré le président américain. « C’est tout simplement une erreur. »
Les Etats-Unis se trouvent depuis des mois dans le plus grand flou budgétaire en raison des turbulences parlementaires à n’en plus finir. Le Congrès de la première puissance mondiale – composé du Sénat à majorité démocrate et de la Chambre des représentants à majorité républicaine – n’a toujours pas voté de budget pour l’année fiscale entamée le 1er octobre dernier. L’Etat fédéral fonctionne pour l’instant grâce à une rallonge d’urgence qui expirera à la mi-janvier.
La Maison-Blanche avait tiré la sonnette d’alarme lundi, assurant que l’aide militaire américaine à l’Ukraine pourrait être coupée net dans les prochaines semaines, faute d’accord budgétaire avec l’opposition républicaine. Un arrêt du flux d’aide militaire à l’Ukraine par les Etats-Unis serait un scénario catastrophe pour Kiev et laisserait Vladimir Poutine remporter la guerre, a estimé lundi lors d’une conférence de presse le conseiller à la sécurité nationale de Joe Biden, Jake Sullivan.
« Le Congrès doit décider s’il faut continuer à soutenir le combat pour la liberté en Ukraine […], ou s’il ignorera les leçons que nous avons apprises de l’Histoire et permettra à Vladimir Poutine de l’emporter », a affirmé Jake Sullivan. « C’est aussi simple que cela », a-t-il lancé.
« Nous sommes à court d’argent et bientôt à court de temps »
« Si le Congrès n’agit pas, d’ici la fin de l’année nous serons à court de ressources pour livrer plus d’armes et d’équipements à l’Ukraine et pour fournir du matériel venant des stocks militaires américains », a de son côté écrit la directrice du Budget de la Maison-Blanche Shalanda Young dans un courrier adressé à Mike Johnson, patron de la Chambre des représentants, à majorité républicaine.
Lequel lui a renvoyé sèchement la balle sur le réseau social X (ex-Twitter) : « L’administration Biden est incapable de répondre aux inquiétudes légitimes (des conservateurs) de mon groupe parlementaire sur l’absence de stratégie claire pour l’Ukraine, sur une issue au conflit, ou sur la manière de superviser l’emploi de l’argent des contribuables américains. »
La lettre de Shalanda Young est publiée au moment où l’Ukraine a reconnu l’échec de sa contre-offensive estivale, et alors que la Russie lance des assauts répétés en particulier contre la ville d’Avdiïvka, dans l’est du pays. « Il n’y a pas de financement magique disponible pour faire face à l’urgence. Nous sommes à court d’argent et bientôt à court de temps », prévient Shalanda Young dans son courrier.
Les exigences des élus républicains
Conscient que le sentiment d’urgence s’est bien émoussé à Washington depuis le début de la guerre, Joe Biden avait demandé le 20 octobre de coupler sa demande d’aide pour l’Ukraine – plus de 61 milliards de dollars – à une autre d’environ 14 milliards pour Israël, allié historique des Etats-Unis en guerre contre le Hamas.
Mais les élus conservateurs, dont le soutien à l’effort de guerre de l’Ukraine a considérablement diminué ces derniers mois, et ce alors que se profile l’élection présidentielle de 2024, conditionnent l’aide à un net durcissement de la politique migratoire face aux arrivées de migrants à la frontière avec le Mexique. « Je ne voterai pour aucune aide tant que nous n’aurons pas sécurisé notre frontière », a déclaré dimanche sur CNN le sénateur républicain de Caroline du Sud Lindsey Graham. Il a ajouté : « Je n’aiderai pas l’Ukraine tant que nous ne nous aiderons pas nous-mêmes. »
Les républicains ont refusé à deux reprises d’inclure le financement de la guerre en Ukraine dans les projets de loi, arguant que la question devrait être liée à la sécurité des frontières. Leurs demandes ont incité l’administration Biden à demander aux législateurs près de 14 milliards de dollars afin d’embaucher des agents supplémentaires de patrouille frontalière et de construire des centres de détention, relève le New York Times.
« Ils ont choisi de mettre en péril le financement de l’Ukraine et ils devront tous vivre avec ce choix lorsque Vladimir Poutine marchera sur Kiev et sur l’Europe », a fustigé le sénateur démocrate Chris Murphy. « Nous pourrons nous considérer responsables de la défaite de l’Ukraine si nous n’arrivons pas à lui fournir ce financement », a abondé mardi la secrétaire américaine au Trésor Janet Yellen, en visite au Mexique. « L’Ukraine est tout simplement à court d’argent », a-t-elle alerté.
La visite sans résultat de Zelensky aux Etats-Unis
Toutefois, comme l’indique le New York Times, un différend persiste au sein de l’administration Biden sur le degré d’urgence avec laquelle l’Ukraine a besoin d’une aide supplémentaire. Certains responsables du Pentagone, note le quotidien américain, se sont dits surpris par l’affirmation selon laquelle les Etats-Unis seraient à court de fonds dans la mesure où ils continuent de distribuer chaque semaine environ plus de 100 millions de dollars d’armes et de munitions provenant de leurs stocks.
Les responsables ukrainiens martèlent en tout cas qu’il leur faut davantage d’armement pour éviter que les frappes russes ne plongent des millions de personnes dans le noir cet hiver, comme l’an dernier. Anticipant lui aussi le risque de lassitude du grand allié américain, Volodymyr Zelensky s’était rendu à Washington en personne en septembre dernier, rencontrant Joe Biden mais aussi des élus du Congrès avec lesquels il a eu de longs échanges.
Sa visite n’avait toutefois pas eu l’effet escompté : embourbé dans une série de crises internes qui ont mené à la destitution du précédent speaker, le Congrès n’avait finalement pas validé de nouveaux fonds pour son offensive. Les tractations actuelles auront-elles une issue plus favorable ? Quoi qu’il en soit, le président ukrainien ne cache pas ses inquiétudes. « Nous avons besoin de trois victoires », a-t-il déclaré le 24 novembre, ajoutant : « La première est celle du Congrès. C’est un défi. »
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