A Jérusalem, l’archéologie au cœur des tensions : « Un risque derrière chaque coup de pioche »

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L’histoire est racontée par un archéologue familier d’Israël. Il y a quelques années, choisi par la très officielle Autorité des antiquités pour diriger un chantier de fouilles à Jérusalem, il se rend sur les lieux pour procéder à des repérages. Le premier jour, un Palestinien se présente et lui dit qu’il ne peut pas fouiller là, car, affirme-t-il, le terrain lui appartient. L’archéologue, fort du permis de l’Autorité, l’éconduit. Le deuxième jour, un juif ultraorthodoxe se présente et lui interdit de fouiller parce qu’il y a là des tombes et que le terrain est sacré. Il l’éconduit un peu plus fermement. Le troisième jour, un chrétien grec orthodoxe revendique le lieu. Impossible, cette fois, de l’ignorer : vérification faite, le terrain appartient à cette communauté installée dans un monastère tout proche, il faut trouver un arrangement pour démarrer le chantier.

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L’anecdote pourrait prêter à sourire si elle n’était révélatrice des convoitises et des querelles suscitées par les fouilles archéologiques à Jérusalem. Ces dernières années, la droitisation du gouvernement israélien, la présence d’ultranationalistes dans l’équipe Netanyahou et dans la municipalité de Jérusalem ont ravivé des braises jamais éteintes. « Ici, il y a un conflit potentiel derrière chaque coup de pioche », préviennent les archéologues.

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Dans une ville aussi disputée que Jérusalem, chaque centimètre carré du sous-sol, où se nichent les traces du passé, peut être prétexte à prouver un enracinement ou une légitimité. Autour du Rocher se sont développés les trois monothéismes. Salomon y a élevé le premier Temple des juifs, Jésus est venu y prier, et Mahomet y a accompli un de ses derniers voyages. Autant d’épisodes qui ont fait de ces quelques kilomètres carrés des lieux saints à haute teneur inflammable. A ce morcellement religieux se superposent, depuis 1967, les divisions nées de la guerre des Six Jours : hier sous autorité jordanienne, Jérusalem-Est est désormais annexée par les Israéliens, et les Palestiniens continuent de la revendiquer comme leur. Dans ce contexte, les fouilles et vestiges archéologiques peuvent, très vite, nourrir des récits nationaux et des revendications territoriales. Prouver qui était le premier dans tel quartier de la Vieille Ville devient crucial.

Colonisation et archéologie mêlées à Silwan

L’émergence, ces dernières années, côté israélien, de groupes nationalistes ou ultraorthodoxes dotés de gros moyens, bénéficiant d’un soutien explicite des autorités israéliennes et soucieux d’imposer leur version de l’Histoire a accru les tensions. Un lieu, en particulier, est l’objet de toutes les attentions : la Cité de David, située à proximité du quartier palestinien de Silwan et supposée être à l’emplacement de la Jérusalem du roi David. Avec 17 campagnes de fouilles, le lieu est sans doute celui qui a été le plus exploré. Mais la tonalité y a changé depuis qu’Elad, une fondation privée, y joue un rôle clef. Forte de ses moyens considérables, elle a obtenu de l’Autorité des antiquités des permis de fouilles. Mais, en parallèle, elle mène en surface une opération de colonisation, en rachetant des maisons et des immeubles appartenant à des Palestiniens. Elle a déjà contribué à l’installation de près de 500 colons, suscitant la colère des habitants arabes du quartier. Sa contribution aux travaux archéologiques est soupçonnée de n’avoir d’autre but que d’installer une « histoire juive » du lieu pour justifier sa colonisation contemporaine. D’ailleurs, des guides de la fondation accompagnent le visiteur dans la Cité de David avec un discours soigneusement pesé. Les panneaux accueillant les visiteurs leur proposent de « voir de leurs propres yeux les personnages et lieux de la Bible ». Le passé juif y est exalté, aucune place n’y est faite aux musulmans. Les guides de l’association Emek Shaveh, qui lutte contre la politisation de l’archéologie et propose des visites alternatives moins orientées, ont bien du mal à faire le poids face au mastodonte Elad.

La plupart des archéologues ayant travaillé sur le site de la Cité de David se défendent de toute vision politique. Les plus honnêtes reconnaissent faire preuve d’un brin d’hypocrisie en se réfugiant derrière une approche strictement scientifique. Mais, pour fouiller à Jérusalem, il est difficile de faire différemment. Depuis 1967 et l’annexion de Jérusalem-Est, en effet, seuls des travaux réalisés sous l’égide de l’Autorité des antiquités d’Israël peuvent s’y dérouler, aucune fouille internationale n’y est autorisée.

La tentation de confirmer l’histoire officielle

Quelques chercheurs ont cédé ouvertement à la tentation politique, à l’instar d’Eilat Mazar, de l’université de Jérusalem. Au milieu des années 2000, cette archéologue est mandatée pour mener des fouilles à Silwan. Très vite, elle affirme avoir exhumé des vestiges du palais du roi David sous Jérusalem-Est, laissant entendre qu’elle apporte la preuve que des juifs y ont vécu seize siècles avant les musulmans. Ses découvertes arrivent opportunément. Peu de temps auparavant, Israël Finkelstein, un de ses confrères de l’université de Tel-Aviv, a contesté la véracité historique des grands rois fondateurs d’Israël, de David en particulier, dans un ouvrage remarqué, La Bible dévoilée. La plupart des archéologues soupçonnent Eilat Mazar, aujourd’hui décédée, d’avoir été trop affirmative, afin de coller à l’histoire nationale officielle. « Son hypothèse est présentée comme plausible à 80 %, alors qu’elle l’est à seulement 10 % », explique un de ses confrères, soucieux de discrétion pour ne pas se voir privé de précieux subsides ou d’un futur chantier. Pour ne pas risquer, non plus, de provoquer un incident.

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Même si la très grande majorité des chantiers se déroulent dans un climat scientifique apaisé, tous les archéologues présents à Jérusalem savent qu’une confrontation meurtrière peut éclater au moindre soupçon. En 1996, des émeutes ont fait plusieurs dizaines de victimes après que Benyamin Netanyahou, déjà Premier ministre, avait donné son feu vert à des travaux dans des tunnels creusés sous l’esplanade du mur des Lamentations. Les Palestiniens considérèrent que ces galeries menaçaient la solidité du soutènement de l’esplanade des Mosquées, juste au-dessus. Dix ans plus tard, en 2007, un chantier de rénovation d’une rampe d’accès à l’esplanade, mené par les Israéliens en parallèle de fouilles archéologiques, provoque une crise diplomatique. La Jordanie, l’Egypte et le Maroc demandent un arrêt immédiat des travaux. Une mission mandatée par l’Unesco appellera à la prudence en raison de la fragilité et de la sensibilité du site.

Dans un contexte éruptif, chaque décision est sujette à interprétation et à contestation. Ainsi, au tout début de 2023, les autorités israéliennes entament des travaux visant à solidifier les infrastructures de l’esplanade du mur des Lamentations. Mais les engins de chantier mettent au jour des ruelles et des restes d’habitations du « quartier maghrébin » détruit en 1967 après la conquête de Jérusalem-Est par l’armée israélienne. Alors que les archéologues se réjouissent de ces découvertes sur un lieu qu’ils pensaient disparu, les autorités israéliennes coupent court, font état de « fouilles rapides » et d’absence de « découvertes significatives ». De quoi alimenter encore une fois, du côté palestinien, le soupçon d’une volonté d’effacer la présence arabe au profit d’un seul récit national juif. Et d’agrandir les lignes de fracture qui n’en finissent plus de diviser la ville, en surface comme dans ses sous-sols.

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