A Gaza, les humanitaires se mettent « en mode survie » pour étouffer leurs traumatismes

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En réponse à l’attaque terroriste du Hamas perpétrée sur son sol voici deux ans, Israël mène une riposte sanglante sur le territoire palestinien. Gaza n’est aujourd’hui plus qu’un champ de ruines où beaucoup trop peu de nourriture, de matériel médical et d’aide humanitaire arrive jusqu’à la population.

Malgré les bombardements incessants et la famine, les médecins, infirmières, responsables informatiques ou chauffeurs de Médecins sans Frontières originaires de Gaza continuent de soigner et de sauver. Mary Horgan est responsable psychologie à MSF et s’occupe de leur santé mentale depuis deux semaines dans la bande de Gaza. Elle était déjà venue au début de l’année et restera deux mois pour tenter de déminer ce champ de bataille mental. Entretien.

Mary Horgan est responsable psychologie à Médecins sans Frontières. Ici au Liberia, elle est actuellement dans la bande de Gaza pour soutenir les humanitaires de l'ONG qui soignent les habitants du territoire palestiniens assiégé.
Mary Horgan est responsable psychologie à Médecins sans Frontières. Ici au Liberia, elle est actuellement dans la bande de Gaza pour soutenir les humanitaires de l’ONG qui soignent les habitants du territoire palestiniens assiégé. - Médecins sans Frontières

Avez-vous remarqué des différences depuis la fin du cessez-le-feu, en début d’année ?

C’est très différent de mon séjour en janvier, février et mars. A cette époque, il y a eu environ une semaine de guerre, puis un cessez-le-feu. Le personnel a alors pu respirer, ressentir ses émotions et faire le deuil de ses pertes. Ils avaient de l’espoir.

Aujourd’hui, la guerre a repris, il y a beaucoup de bombardements, de frappes de drones, et je ne vois pas chez eux le même espoir. Ce que je vois, ce sont des personnes résignées, qui se sentent impuissantes et qui ont l’impression de ne plus avoir aucun contrôle. Elles considèrent que c’est leur destin de mourir, aujourd’hui ou demain.

Comment continuent-elles à sauver des vies dans ces conditions dantesques ?

Nous avons connu deux incidents graves récemment. Certains de nos collaborateurs vivent près d’un marché, s’y rendent régulièrement, et une bombe est tombée, tuant 16 personnes. Plusieurs ont été témoins de cette scène.

Puis il y a quelques jours à peine, cinq de nos collaborateurs attendaient le bus MSF pour se rendre au travail lorsqu’un drone a frappé. L’un est mort sur le coup, un autre est décédé quelques jours plus tard. Ils étaient des collaborateurs très appréciés.

Que s’est-il passé ensuite ? Du chagrin, des pleurs, puis ils sont retournés immédiatement au travail. C’est presque un mécanisme de survie pour eux, et cela les affectera à l’avenir. Aider leurs patients leur fait beaucoup de bien.

Quels sont les récits qui vous perturbent le plus personnellement ?

Un jour, je suis entrée dans l’hôpital et j’ai vu une femme, une de mes patientes, qui a perdu ses enfants, son œil, sa jambe et maintenant ses doigts. Tout le monde a une histoire, ils n’ont pas perdu une seule personne, ils en ont perdu dix.

Comment parvenez-vous à surmonter ces histoires traumatisantes ?

Je leur laisse de l’espace, je ne peux pas écouter leurs histoires et pleurer. Ils ne peuvent pas parler à leur femme ou à leur mari parce que cela les rendrait tristes, alors ils viennent me voir.

Je fais cela depuis un certain temps et j’ai une famille qui me soutient : ma fille est psychologue, donc je lui envoie des SMS et elle m’aide, mais cela ne peut pas ne pas vous affecter.

Je n’ai pas peur pour ma vie, ce qui est un peu fou. Les Palestiniens sont remarquables. Ils n’ont pas de nourriture, mais quand ils en ont un peu, ils la partagent avec vous.

Comment les aidez-vous psychologiquement ?

La dernière fois que je suis venue ici, pendant le cessez-le-feu, j’ai pu leur expliquer ce qu’est une réaction au stress et comment réparer son cerveau et son corps. Leur montrer que leurs symptômes sont normaux. Et en parler.

Nous avons deux personnes à l’hôpital qui ont été blessées, elles ne dormaient pas, et je leur ai simplement proposé quelques techniques de visualisation qu’elles pouvaient utiliser. Hier, j’ai parlé à une jeune fille dont le frère préféré a été tué d’une balle dans la tête. Elle voulait que son chagrin disparaisse en trois mois. Je lui ai simplement expliqué ce qu’est le deuil, comment elle pouvait le vivre, et qu’il ne disparaît pas, mais s’atténue avec le temps.

Y a-t-il une formation spécifique pour mener votre mission dans des terrains comme Gaza ?

J’étais infirmière en soins intensifs avant, ce qui m’a peut-être aidée à me préparer à ces difficultés. Et j’ai aussi beaucoup travaillé dans le domaine des traumatismes dans un centre médical communautaire dans mon pays (les États-Unis). Même si les traumatismes ici semblent horribles, effroyables, il existe différents types de personnes qui subissent différents types de traumatismes. Dans certains cas, on n’est vraiment prêt qu’un fois qu’on est sur place.

Comment les traumatismes psychologiques peuvent-ils avoir des répercussions sur l’avenir de la population gazaouie ?

Les répercussions psychologiques constitueront une difficulté certaine après la guerre. Ils souffrent tellement en tant que communauté que je pense qu’ils peuvent guérir en tant que communauté. Il leur faudra des années et des années pour guérir. Le véritable processus de deuil commencera lorsqu’ils seront en sécurité et se sentiront en sécurité.

Notre dossier complet sur Gaza

Les enfants sont particulièrement touchés. Ils n’ont pas été à l’école pendant deux ans. Une fillette de 3 ans, lorsqu’elle entendait un avion, serrait son frère dans ses bras jusqu’à en devenir bleue. Je vois une régression chez les enfants qui font à nouveau pipi au lit et veulent toujours dormir avec leurs parents pour se sentir en sécurité. Je constate aussi des agressions chez les enfants qui se battent. Toute la famille aura besoin d’aide.

Mais ils ont vraiment une résilience que je n’ai jamais vue auparavant. Malgré la guerre, beaucoup de gens ont poursuivi des études supérieures, ils ont des masters, des doctorats, et ils continuent à étudier parce que c’est ce en quoi ils croient et qu’ils veulent être un modèle pour leurs enfants.

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