L’antisionisme comme représentation: comment la BBC se trompe sur les Juifs britanniques
Ben M. Freeman
La BBC donne la parole à des voix juives antisionistes marginales pour présenter Israël comme la cause de l’insécurité des Juifs britanniques, malgré des données claires montrant qu’une forte majorité de Juifs britanniques s’identifient comme sionistes et considèrent Israël comme un élément central de leur identité et de leur sécurité.
Cette représentation sélective s’apparente à une instrumentalisation symbolique , utilisant un petit sous-ensemble de dissidents juifs pour légitimer des critiques acerbes à l’égard d’Israël et protéger la chaîne de télévision des accusations de partialité, tout en marginalisant les perspectives juives dominantes.
Cette formulation déforme la nature de l’antisémitisme, le présentant comme une réaction à la politique israélienne plutôt que comme un préjugé de longue date, et reporte subtilement la responsabilité sur les Juifs eux-mêmes en sous-entendant que la sécurité dépend du rejet d’Israël.
Aujourd’hui, de nombreux Juifs britanniques s’interrogent non seulement sur leur sécurité dans le pays, mais aussi sur leur avenir même. Cette situation est due à la montée inquiétante de l’antisémitisme. Cependant, un récent reportage de la BBC dresse le portrait de Juifs britanniques, dont l’un affirme que ce sont les actions de l’État d’Israël, plutôt que l’antisémitisme en lui-même, qui les rendent moins en sécurité en Grande-Bretagne. Ce faisant, l’article met en lumière des voix marginales qui rejettent le sionisme ou prennent leurs distances avec Israël, présentant ces perspectives comme emblématiques d’un sentiment plus général au sein de la communauté juive.

Tash Hyman, une des personnes interviewées, est citée :
« Pour moi, en fin de compte, les actions de l’État d’Israël me font me sentir moins en sécurité, et non plus. Je me sens moins en sécurité au Royaume-Uni à cause de ce qu’ils font à Gaza. » Elle réfute l’idée qu’Israël puisse servir de refuge aux Juifs britanniques.
Un rapide coup d’œil aux réseaux sociaux de Hyman permet de comprendre très clairement sa position, notamment en retweetant Jeremy Corbyn (dont la tolérance envers l’antisémitisme au sein du Parti travailliste britannique pendant son mandat a abouti à son expulsion du parti) et en rejetant la définition de l’antisémitisme de l’IHRA, reconnue internationalement.
Il ne faut pas minimiser la peur des Juifs britanniques. Ils traversent une période d’angoisse profonde, marquée par une montée de l’hostilité, du harcèlement et de la violence. Cependant, le choix éditorial de la BBC de privilégier les voix juives antisionistes soulève une question cruciale de représentation. Ces opinions reflètent-elles l’ensemble de la communauté juive britannique, ou sont-elles mises en avant parce qu’elles servent un discours particulier sur Israël et la sécurité des Juifs ?
Des données récentes semblent confirmer cette dernière hypothèse. La plus vaste enquête menée auprès des Juifs britanniques depuis le 7 octobre 2023, portant sur 4 822 personnes, révèle que 64 % d’entre eux se déclarent sionistes. Chez les 20-29 ans, ce chiffre tombe à 47 %, tandis que 20 % se disent non sionistes et 24 % antisionistes. Ceci témoigne d’un véritable changement générationnel, mais montre aussi que l’antisionisme demeure une position minoritaire, même chez les jeunes Juifs, et encore plus minoritaire au sein de la communauté juive dans son ensemble.
Or, le reportage de la BBC accorde une importance disproportionnée à ces opinions minoritaires, les présentant implicitement comme représentatives. Ce faisant, il fausse la perception du public quant à la vie juive britannique et induit en erreur les auditeurs sur la manière dont la plupart des Juifs conçoivent le lien entre Israël, identité et sécurité.
Tokenisation et couverture morale
La BBC, comme de nombreux médias, évolue dans un contexte culturel très critique envers Israël, au point d’être souvent accusée d’antisémitisme. Donner la parole aux voix juives antisionistes sert un objectif précis dans ce contexte: elle permet à la chaîne de diffuser des critiques acerbes d’Israël tout en se prémunissant contre les accusations de partialité. En somme, la dissidence juive légitime les accusations d’antisémitisme.
Lorsque des voix juives qui rejettent la perception collective juive dominante sont mises en avant, il ne s’agit pas d’un exemple de diversité. Au contraire, elles servent à valider des discours qui seraient autrement perçus comme marginalisants ou hostiles. La légitimité juive devient alors conditionnelle. Les Juifs sont mieux acceptés lorsqu’ils désavouent publiquement les autres Juifs.
Cette pratique a un nom: la tokenisation. Lorsqu’un sous-ensemble marginal d’un groupe minoritaire est systématiquement mis en avant pour légitimer des discours dirigés contre ce groupe, la tokenisation constitue une forme de racisme.
Le problème n’est pas l’existence de Juifs antisionistes. Ils existent bel et bien, et leurs opinions s’inscrivent dans le débat interne au sein de la communauté. Le problème survient lorsque ces opinions sont considérées comme normales ou représentatives, tandis que les positions juives majoritaires sont perçues comme suspectes, étriquées ou moralement condamnables.
Pourquoi c’est important
Le traitement médiatique de la BBC met en lumière un problème plus profond et plus important. En présentant les Juifs antisionistes comme représentatifs, elle incite le public à percevoir l’antisémitisme comme une réaction à la politique israélienne plutôt que comme une forme de préjugé ancienne et adaptable.
Cela constitue une interprétation erronée de l’histoire et de l’expérience juive.
L’antisionisme moderne ne se développe pas en vase clos. Il a été délibérément façonné durant la Guerre froide, notamment par le biais de campagnes idéologiques soviétiques visant à délégitimer le peuple juif en le coupant de son histoire, de sa terre et de son identité collective. Israël a été présenté comme un projet illégitime, raciste, voire génocidaire, non pas dans le cadre d’une critique plus large du nationalisme, mais comme la continuation d’anciennes logiques antisémites reformulées sous un langage politique. Ces schémas persistent aujourd’hui.
Là où les Juifs étaient autrefois accusés de conspirer individuellement ou collectivement, l’accusation se reporte désormais sur l’État juif. Là où l’existence juive était perçue comme une menace pour la société, l’existence d’Israël est perçue comme intolérable à l’ordre moral. La nature de l’accusation demeure inchangée ; seul son objet a évolué.
L’antisionisme juif doit être compris dans ce contexte. Lorsque les Juifs intériorisent ces schémas de pensée et les appliquent à leur propre peuple, à leur histoire et à leur identité collective, il ne s’agit pas simplement de dissidence. C’est un exemple d’antisémitisme intériorisé, façonné par une pression extérieure constante et la promesse que la sécurité réside dans le déni. L’histoire démontre le contraire.
L’antisémitisme est bien antérieur à l’État d’Israël et s’est insidieusement greffé à toutes les formes que prend la vie collective juive. Aujourd’hui, cette forme est l’État juif. Israël n’est pas la cause de l’antisémitisme, mais son instrument contemporain. Lorsque cette distinction s’estompe, la responsabilité de l’hostilité est subtilement reportée sur les Juifs eux-mêmes.
En présentant l’antisionisme juif comme un phénomène représentatif, la BBC légitime involontairement cette évolution. La haine des Juifs est redéfinie comme une réaction à un comportement juif plutôt que comme un préjugé dirigé contre eux. La sécurité des Juifs devient alors une question de conformité politique. Prenez vos distances avec Israël, sous-entend le message, et l’hostilité s’apaisera.
Ce discours ne protège pas les Juifs. Il les isole. Il encourage l’effacement intériorisé et le présente comme un progrès moral, tout en jetant le discrédit sur la continuité juive, l’identité du peuple juif et l’autodéfense. C’est pourquoi les choix éditoriaux de la BBC sont si importants. Ils ne reflètent pas seulement les débats internes à la communauté juive. Ils façonnent la manière dont l’antisémitisme est compris, expliqué et justifié dans l’espace public.
Une question de responsabilité
Les médias publics, comme la BBC, ont la responsabilité non seulement d’inclure les voix des minorités, mais aussi de représenter fidèlement les communautés minoritaires. Mettre en avant des positions marginales au nom de l’équilibre ne favorise pas la clarté. Cela engendre la distorsion et légitime des réactions juives malsaines face à l’antisémitisme, sous la forme d’un antisémitisme intériorisé.
Les Juifs britanniques ne forment certes pas un bloc monolithique, mais ils ne sont pas non plus représentés par une opinion minoritaire qui rejette un élément fondamental de l’identité collective juive pour la majorité de la communauté. Présenter l’antisionisme comme la position juive authentique occulte la manière dont les Juifs britanniques se perçoivent et induit en erreur le grand public.
L’enjeu ici n’est pas un désaccord sur Israël, mais la question de savoir si l’identité juive peut s’exprimer publiquement sans passer par un test politique. Lorsque des juifs marginaux sont jugés aptes à parler au nom de tous les juifs, l’inclusion se transforme en exclusion déguisée.
Fondateur du mouvement moderne de la fierté juive, Ben M. Freeman est l’auteur de *Jewish Pride: Rebuilding a People* (2021), *Reclaiming our Story: The Pursuit of Jewish Pride* (2022) et *The Jews: An Indigenous People* (2025). Son œuvre, à la fois pédagogique, inspirante et émancipatrice, porte sur l’identité juive et l’antisémitisme, tant historique que contemporain. Spécialiste de la Shoah depuis plus de quinze ans, Ben s’est fait connaître lors de la crise antisémite du parti travailliste de Corbyn au Royaume-Uni et est rapidement devenu l’une des figures de proue de la pensée juive et de la lutte contre l’antisémitisme au sein de sa génération.
JForum.fr avec HonestReporting
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Rien n’ a changé depuis le Livre Blanc du côté de la perfide Albion et la bbc peut mentir impunément et diaboliser Israel.