Normalisation de l’Algérie avec Israël: «tout est possible», affirme l’ambassadeur d’Alger à Washington.
Longtemps autoproclamée bastion indéfectible de la cause palestinienne, l’Algérie opère aujourd’hui un virage spectaculaire. Sabri Boukadoum, son ambassadeur à Washington, multiplie les appels du pied envers les États-Unis et laisse désormais entendre que la normalisation avec Israël n’est plus un tabou. Entre vote pro-américain au Conseil de sécurité, rapprochements avec les réseaux trumpiens et reniements idéologiques, le régime d’Alger semble prêt à sacrifier ses très supposés principes pour briser son isolement… et tenter de rivaliser avec le Maroc.
Pendant des décennies, Alger a fait de la fidélité «inconditionnelle» à la Palestine un pilier central de son ADN diplomatique, répétant inlassablement le slogan «Avec la Palestine, coupable ou victime». Cette ligne de conduite semblait immuable. Pourtant, les dernières semaines ont révélé un changement profond, presque renversant. L’Algérie multiplie les signaux favorables en direction d’Israël et, plus largement, vers les États-Unis dans leur configuration trumpienne. Au dernier acte de cette bascule, on retrouve Sabri Boukadoum, ancien ministre des Affaires étrangères et actuel ambassadeur d’Alger à Washington, qui apparaît aujourd’hui comme la main discrète de ce repositionnement.
Lors d’une conférence organisée mardi au Stimson Center, Boukadoum a été interrogé sur une éventuelle pression américaine en faveur d’une normalisation avec Israël. Sa réponse, un laconique mais tonitruant «Tout est possible», a retenti comme un coup de tonnerre, une rupture historique, une supplication à l’adresse de Tel-Aviv. En l’espace d’une phrase, il a pulvérisé l’apparente rigidité idéologique qui avait guidé la diplomatie algérienne pendant plus d’un demi-siècle.
Cette formule se trouve en contradiction flagrante avec le slogan traditionnel du régime, qui affirmait être du côté de la Palestine en toutes circonstances. En réalité, cette petite phrase révèle que la normalisation n’est plus un tabou à Alger, mais une option désormais envisagée, voire préparée. Il est difficile d’imaginer un geste plus symbolique de distanciation vis-à-vis des positions «historiques» du pays.
Ce virage diplomatique n’est pas improvisé. Depuis plusieurs mois, Boukadoum mène une offensive de charme auprès de Washington, cherchant à repositionner l’Algérie dans le jeu géostratégique dominé par le retour de l’influence trumpienne. Il s’efforce même de rompre avec une dépendance militaire russe installée depuis soixante ans, et de lui substituer une coopération américaine présentée comme moderne et stratégique.
En multipliant les achats d’interviews de l’ambassadeur dans la presse américaine, en signant en janvier un mémorandum d’entente militaire inédit avec Washington, et en mettant en place des groupes de travail pour étudier des acquisitions d’armement américain, le régime d’Alger déroule littéralement le tapis rouge devant l’administration américaine. Ce rapprochement intervient au moment où Washington a déjà menacé Alger de sanctions pour ses achats massifs d’armes russes, alors même que des élus américains, républicains comme démocrates, ont régulièrement demandé des mesures punitives contre l’Algérie. Autrement dit, l’Algérie paie, dans tous les sens du terme, sa volonté d’obtenir la bienveillance américaine. L’objectif est également de s’assurer que l’Algérie ne soit plus perçue comme un pays voyou, une chose qui inspire répulsion, une entité isolée, incapable de comprendre les enjeux du 21ème siècle, mais comme un aspirant docile mendiant un regard dans l’espoir de compter dans la stratégie américaine au Maghreb.
Le contexte rend ce message encore plus frappant. L’Algérie venait tout juste de voter au Conseil de sécurité en faveur d’une résolution américaine concernant Gaza, une résolution que le Hamas lui-même avait rejetée. Alger aurait pu s’abstenir, comme l’a fait la Russie ou la Chine, ou encore refuser de voter, comme ce fut le cas pour la résolution du Conseil de sécurité sur le Sahara, le 31 octobre dernier. Que nenni! Elle a voté et a voté pour. Cette décision marque le renoncement le plus spectaculaire à la doctrine anti-américaine et anti-israélienne qui façonnait la diplomatie algérienne depuis l’époque de Boumediene.
Cette résolution américaine prévoit notamment la mise en place d’une force multinationale dans Gaza et une implication d’Israël dans la période post-Hamas. Le Hamas lui-même l’a rejetée, mais Alger l’a soutenue. Ce contraste résume le glissement silencieux qui s’opère. L’Algérie adopte désormais une attitude pragmatique lorsqu’elle parle à Washington, tout en continuant d’entretenir un discours populiste et révolutionnaire à destination de sa population.
Renoncements en série
Ce repositionnement ne se limite pas à l’utilisation de Boukadoum. Le recteur de la Mosquée de Paris, Chems‑Eddine Hafiz, considéré comme un émissaire personnel de Tebboune en France et plus largement en Europe, a lui aussi multiplié récemment les gestes amicaux envers le cercle immédiat de Donald Trump. En témoigne la réception accordée lundi 10 novembre à Charles Kushner, nouvel ambassadeur américain en France, à la Grande Mosquée de Paris, institution étroitement liée à l’État algérien. Charles Kushner est le père de Jared Kushner, gendre et l’un des principaux conseillers de Donald Trump ainsi que l’architecte en chef des accords d’Abraham entre Israël et les pays arabes.

Sa réception montre que le régime algérien cherche à se frayer une place au sein des réseaux trumpiens, ceux-là mêmes qui ont fait du Maroc un partenaire stratégique majeur.
Le message envoyé est inhabituellement transparent. L’Algérie est prête à modifier sa posture, à corriger son image et même à renoncer à certaines positions idéologiques, si cela lui permet de devenir un interlocuteur reconnu par les entourages les plus influents du président américain.
Ce qui frappe, dans cette série d’initiatives, c’est l’ampleur des renoncements. Jamais depuis l’indépendance l’Algérie n’avait abandonné aussi rapidement ou aussi ouvertement certaines de ses positions dites «sacrées». Le pays agit sous la pression d’un isolement diplomatique croissant, accentué par des tensions persistantes avec l’Europe, des pressions américaines de plus en plus explicites, un recul de son influence au Sahel et une alliance stratégique massive entre le Maroc et les États-Unis.

Craignant de se mettre l’administration Trump à dos, Alger n’a d’autre choix que de se plier. Or, pour séduire Washington, il faut avant tout prouver que l’on n’est plus hostile à sa vision régionale, ce qui inclut une ouverture envers Israël. S’y ajoute le fait que depuis que l’administration Trump a apporté un soutien clair au Maroc dans sa vision stratégique et sa souveraineté sur le Sahara, l’Algérie vit avec l’obsession de renverser ce déséquilibre. Le régime de Tebboune cherche donc à apparaître comme un partenaire crédible aux yeux de Washington, quitte à sacrifier les slogans révolutionnaires, la fidélité à Moscou et même la défense de la cause palestinienne, jadis considérée comme intouchable.
Partant, tout porte à croire que l’Algérie se dirige vers une normalisation, aujourd’hui timide, avec Israël. Les éléments s’additionnent: le vote pro-américain, les avances envers Washington, les déclarations ambiguës de Boukadoum, les liens convoités avec les réseaux trumpiens, et le désintérêt croissant pour les causes que le régime jurait de défendre coûte que coûte.
Le plus troublant est la duplicité du discours. L’Algérie parle de résistance et d’anti-impérialisme à son peuple, mais tient à Washington un langage de disponibilité, d’ouverture et de soumission. Pour séduire les États-Unis, Tebboune renonce à une doctrine vieille de soixante ans. Pour s’extraire de l’isolement diplomatique, il renonce à la rhétorique. Pour espérer concurrencer le Maroc, il abandonne ne serait-ce qu’un semblant de cohérence. Il reste une contradiction ultime, qui résume tout. L’Algérie veut la paix avec Washington, avec Israël et même avec le Maroc peut-être. En proposant une «médiation» sur le Sahara, elle suppose un renoncement à sa rupture avec le Royaume, ironiquement motivée par le rétablissement des relations entre Rabat et Tel-Aviv. Mais l’Algérie refuse encore toute franchise à ses propres citoyens qui assistent médusés au grand écart entre discours stalinien et attitude servile. Et c’est sans doute là que se trouve la plus grande trahison.
Par Tarik Qattab
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