Ukraine : Les Russes ne veulent plus des Européens

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Le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, affirme que le plan de paix de Donald Trump pour l’Ukraine reflète globalement les accords conclus lors du sommet russo-américain d’Anchorage.

Il insiste toutefois sur le fait que Moscou n’a pas encore reçu de texte officiel actualisé et ne se prononcera qu’après la conclusion des négociations entre Washington, Kiev et ses partenaires européens.

Il exclut tout nouveau « processus de Minsk » impliquant la France et l’Allemagne, accuse l’Europe de saboter les accords passés et d’instrumentaliser les fuites pour saper l’initiative de Trump, et met plutôt en avant le Bélarus, la Turquie, la Hongrie et les États-Unis comme médiateurs potentiels et constructifs au sein d’une architecture de sécurité eurasienne plus large.

«Vous avez raté votre chance»: Sergueï Lavrov dézingue les Européens

Le plan de Donald Trump pour l’Ukraine n’a pas du tout plus aux Européens. Ces derniers ont donc réagi en proposant leur propre plan, lequel n’a pas du tout été du goût de Moscou. Le ministre russe des Affaires étrangères ne s’est d’ailleurs pas privé de le rappeler.

Moscou a rejeté un plan de paix européen présenté comme alternative à l’initiative soutenue par les Etats-Unis et considérée comme trop favorable au Kremlin. «Nous avons appris l’existence d’un plan européen qui, à première vue, n’a rien de constructif», a déclaré Youri Ouchakov, conseiller du Kremlin, cité par l’agence russe Tass. «Il ne nous convient pas.»

Dans la foulée, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a vivement critiqué l’Europe. «Les gars, vous avez manqué votre chance», a-t-il lancé mardi devant des journalistes, rapporte l’agence d’Etat russe Ria Novosti. «Vous aviez votre opportunité, mais vous ne l’avez pas saisie. Vous l’avez complètement gâchée», a-t-il insisté.

Dans le même temps, Sergueï Lavrov a salué l’attitude des Etats-Unis, assurant qu’ils étaient «le seul pays occidental qui prend des initiatives pour régler le conflit». Moscou dit attendre de recevoir la version définitive du plan actuellement négocié par Kiev et Washington. Sergueï Lavrov exclut toutefois toute médiation supplémentaire de la France ou de l’Allemagne, selon Ria Novosti.

L’Europe incluse… mais plus tard

Malgré ces critiques, Moscou juge indispensable la participation des Européens aux discussions sur l’architecture de sécurité du continent. «Il sera pratiquement impossible de parler d’un système de sécurité en Europe après la fin du conflit sans les Européens», a déclaré le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, cité par Tass. Leur implication sera nécessaire «à un certain stade».

S’agissant des négociations autour du plan de paix américain, Dmitri Peskov a réaffirmé les positions habituelles de Moscou et a répété que la Russie souhaitait atteindre ses objectifs par la voie diplomatique. Le plan initial proposé par le président américain Donald Trump pouvait servir de base, mais le texte connu de Moscou a été modifié depuis, a-t-il déploré.

Le plan en 28 points présenté la semaine dernière par Donald Trump – souvent décrit comme une «liste de souhaits russes» – ne compterait plus que 19 points, selon les informations rendues publiques lundi. 

Guerre en Ukraine. Une Europe sans stratégie, ballottée entre un conflit qui dure et un accord imposé

Pour Wolfgang Munchau dans “UnHerd”, l’Europe n’a jamais eu de stratégie de guerre et n’a désormais aucune stratégie de paix. Incapable de financer durablement Kiev, dépendant d’un Washington fatigué, le continent se retrouve face à un accord qu’il ne maîtrise pas. Trump joue de cette faiblesse, tandis que Zelensky, affaibli, n’a plus réellement les cartes en main.

Le plan en 28 points [aujourd’hui réduit à 19] que Washington a négocié avec le Kremlin n’est pas gravé dans le marbre, loin de là. C’est une ébauche, rien de plus. Et n’oublions pas l’imprévisibilité de Trump, qui peut à tout moment faire machine arrière, même si, cette fois, je doute qu’il recule.

Cet accord n’est clairement pas en faveur de l’Ukraine. Pour autant, ce n’est pas une “capitulation”. Ceux qui le dépeignent ainsi ne veulent tout simplement pas voir les négociations aboutir. L’Ukraine pourra encore améliorer sa position, à la marge certes. “Vous n’avez pas les cartes en main”, avait lancé Trump à Zelensky. Malheureusement, après le récent scandale de corruption, le président ukrainien est effectivement plus affaibli que jamais.

L’Ukraine n’a pas la moindre chance de gagner cette guerre : voilà ce que des responsables américains n’ont cessé de me répéter depuis le début du conflit. Le retrait de l’aide américaine au début de 2025 a vérifié leurs dires, puisque les Européens n’ont pas su combler le vide. Ils ont beau se faire les défenseurs d’un ordre mondial qui s’étiole à vue d’œil, l’histoire retiendra qu’au moment décisif ils n’ont pas voulu mettre la main à la poche et tenir parole. Sur la première moitié de l’année, l’aide totale à l’Ukraine s’est élevée en moyenne à 4 milliards d’euros par mois. En juillet et août, ce chiffre s’est effondré en dessous du milliard, selon le Kiel Institute.

Aucune puissance européenne n’a voulu réduire certaines de ses dépenses ou augmenter l’imposition pour financer l’Ukraine de manière significative. La stratégie européenne, hormis les campagnes de communication avec Zelensky, s’est cantonnée à laisser les Russes s’épuiser au combat. Malheureusement, ce sont les États-Unis qui se sont lassés les premiers, et les pays européens n’ont pas de plan B sur lequel se rabattre.

Lourde erreur stratégique

L’Europe est désormais à court d’idées et de financements, alors que Trump, lui, propose aujourd’hui un plan. Son intransigeance à l’égard de Poutine n’était qu’une tactique destinée à dissimuler sa stratégie au long cours, qui doit mettre fin à la guerre. Même la seconde vague de sanctions contre les acheteurs de pétrole russe faisait partie de cette grande manœuvre, comme le suggère Phillips O’Brien dans son post Substack “The Long Con Comes To An End” [“La fin d’une longue mascarade”]. Ces sanctions, censées prendre effet le 21 novembre, ne se sont pas matérialisées ; la Chine et l’Inde peuvent continuer à se procurer du pétrole russe en toute impunité ; la menace de Trump n’avait rien de sérieux.

Le président américain n’a qu’une priorité : mettre fin à cette guerre à tout prix. Pour y parvenir, il profite de la dépendance militaire de l’Europe et de l’Ukraine, mais aussi du fait que les États-Unis sont la seule puissance occidentale à entretenir des relations diplomatiques directes avec Moscou. Les pays européens ont commis une lourde erreur stratégique en rompant à l’unisson leur liaison avec Poutine.

Cet accord de paix n’est pas aussi déséquilibré que ses détracteurs voudraient le faire croire. La souveraineté de l’Ukraine est reconnue, tout comme son droit à rejoindre l’UE. L’État a toujours le droit à une armée, limitée cependant à 600 000 soldats, ce qui reste raisonnable. L’accord n’empêche pas non plus les pays de l’Otan de soutenir Kiev, exception faite des livraisons de certaines armes, comme les missiles à longue portée.

Cet accord réserve pourtant quelques mauvaises surprises. L’Europe se verrait contrainte de débourser 100 milliards d’aide. Selon cet accord toujours, un fonds d’investissement russo-américain devrait superviser des projets menés conjointement par les États-Unis et la Russie, qui se partageraient alors les profits.

“La fiction d’une victoire ukrainienne”

Mais surtout, l’accord oblige l’Europe à dégeler les 200 milliards de dollars [environ 174 milliards d’euros] d’avoirs russes actuellement détenus sur des comptes européens, essentiellement en Belgique. La pilule est amère, car l’Europe espérait pouvoir utiliser l’argent russe comme garantie pour les prêts accordés à l’Ukraine. Trump n’a pas le pouvoir de forcer les Européens à libérer les fonds – [le chancelier allemand] Friedrich Merz a déjà rejeté cette exigence –, mais il pourrait leur rendre la vie impossible en cas de refus.

La stratégie à demi cohérente de l’Europe vis-à-vis de l’Ukraine s’est bornée à conserver ces avoirs comme levier en vue de réparations futures – un plan qui repose sur la fiction d’une victoire ukrainienne. Mais si la Russie et l’Ukraine finissent par trouver un accord, ce plan deviendra inapplicable, puisqu’il constituerait un outil de sabotage de l’accord aux mains des Européens.

Une autre ligne rouge du plan de paix concerne la levée progressive des sanctions. La réintégration de la Russie dans le groupe des sept nations industrielles les plus avancées – soit le retour du G8 – serait douloureuse pour les Européens. La Russie en a été exclue en 2014, après l’annexion de la Crimée. Et un G8 ressuscité serait, dans les faits, dirigé par Trump et Poutine.

L’Ukraine, au contraire, a fait entendre un son de cloche positif sur une nouvelle version de l’accord. Selon un haut responsable américain cité par le [média ukrainien] Kyiv Independent, le plan a été établi avec Roustem Oumierov, le secrétaire du Conseil de défense et de sécurité nationale d’Ukraine, et l’un des plus proches alliés de Zelensky. Oumierov aurait accepté la majorité du plan, après y avoir apporté plusieurs modifications, qu’il a ensuite montrées au président ukrainien.

La dernière carte

Les Européens encourageront-ils Zelensky à poursuivre le combat ? Je suis certain qu’ils essaieront. Mais je suis moins assuré qu’ils y parviennent. Ils finiront par céder. Car si l’Ukraine rejetait l’accord, Trump couperait officiellement ce qu’il reste des aides militaires et du partage de renseignements à l’Ukraine. Et le pays compte dessus pour son système d’alarme précoce en cas d’attaque, mais aussi pour guider ses propres frappes sur les infrastructures russes.

Trump pourrait aller encore plus loin et abandonner la responsabilité américaine dans la sécurité de l’Europe au motif que le continent prend des risques inacceptables. Les Européens en sont bien sûr conscients. Mais leurs actes démentent leur défiance affichée. Après l’imposition de droits de douane américains sur les importations européennes cet été, l’UE a plié et consenti à une forte hausse de ses dépenses militaires. Si elle souhaitait réellement s’affranchir des États-Unis, elle aurait créé un fonds d’acquisition commun consacré à la défense, avec une obligation d’acheter du matériel européen, et aurait restructuré ses armées. Mais rien de tout cela n’a vu le jour. Et ce ne sera jamais le cas.

On peut s’attendre à voir les capitales européennes pousser un soupir de soulagement dans les prochains jours. Les dirigeants insisteront sur la souveraineté de leurs prises de décisions. Ce qui est une vérité légale. Les États-Unis n’ont aucun droit de regard sur le sort des avoirs russes retenus en Europe. Mais il ne s’agit pas d’une controverse juridique, cet affrontement est politique. L’Europe n’a jamais eu de stratégie viable pour cette guerre… Et il devient évident qu’elle ne possède pas non plus de stratégie de paix. Les Européens sont désormais obligés de conclure un accord : c’est la seule carte qu’il reste dans leur jeu.

Wolfgang Munchau

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