Trump, déçu, s’est mis en colère
Officiellement, la rencontre entre Donald Trump et le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane, à la Maison-Blanche, s’est déroulée dans une atmosphère chaleureuse, entre sourires, poignées de main et annonces de grands contrats. Mais derrière les portes closes, le tête-à-tête a pris un tour nettement plus tendu dès que la question de la normalisation avec Israël est entrée dans la conversation.
Trump était venu avec un objectif clair : transformer la fin de la guerre à Gaza et l’affaiblissement du programme nucléaire iranien en tremplin pour un nouvel élan des Accords d’Abraham. Dans l’esprit du président américain, l’Arabie saoudite est la pièce manquante d’un puzzle diplomatique qui lui permettrait d’afficher un « accord historique » entre le monde arabe et Israël, prolongeant les signatures de 2020 avec les Émirats arabes unis, Bahreïn ou le Maroc.
Prévenu à l’avance que Washington attendait des « avancées », Mohammed ben Salmane ne s’est pas dérobé au sujet. Mais sa réponse a refroidi les espoirs de la Maison-Blanche. Oui, le royaume veut, à terme, aller vers une normalisation avec Israël, a-t-il expliqué. Non, il ne peut pas le faire maintenant. La raison invoquée est frontale : l’opinion publique saoudienne est aujourd’hui profondément hostile à Israël, encore plus depuis la guerre de Gaza et les images de destructions qui circulent en boucle sur les réseaux sociaux.
Les sondages confirment cette réalité : une large majorité de Saoudiens rejette l’idée de reconnaître Israël, et ce rejet s’est nettement accentué après le 7 octobre et la riposte israélienne. Dans ces conditions, le prince héritier sait qu’une normalisation sans contrepartie palestinienne serait perçue comme une trahison par une partie de sa population, en particulier la jeune génération qui s’exprime massivement en ligne.
Mohammed ben Salmane a donc remis sur la table sa condition cardinale : pas de normalisation sans engagement israélien sur une « voie crédible, irréversible et limitée dans le temps » vers un État palestinien. Cette exigence ne date pas d’hier, mais elle prend un relief particulier alors que le gouvernement israélien rejette fermement la perspective d’un État palestinien souverain. Le prince héritier l’a d’ailleurs répété publiquement après la rencontre, pour montrer qu’il ne s’agit pas d’un simple message destiné à Washington.
Selon des responsables américains, le ton est resté poli, mais la déception de Trump était palpable. Il espérait pouvoir annoncer au moins un calendrier, une feuille de route, ou un geste symbolique saoudien vers les Accords d’Abraham. Au lieu de cela, il s’est heurté à un « pas maintenant » ferme, même si Ben Salmane a pris soin de ne jamais dire « jamais » et de laisser la porte ouverte à une évolution future.
Le contraste est d’autant plus frappant que, côté israélien, une majorité de l’opinion publique se déclare favorable à une normalisation avec Riyad, y voyant la promesse d’un axe stratégique contre l’Iran et d’opportunités économiques considérables. Mais cette aspiration se heurte à la fois aux réticences d’une partie du camp nationaliste, hostile à toute concession territoriale, et aux contraintes intérieures saoudiennes.
En parallèle du volet politique, la rencontre a débouché sur un volet militaire spectaculaire. Trump a promis à l’Arabie saoudite la vente de chasseurs furtifs F-35 et un renforcement sans précédent du partenariat de défense, assorti de coopération nucléaire civile et de contrats d’armement massifs. En Israël, cette perspective a suscité de fortes inquiétudes quant au maintien de l’« avantage militaire qualitatif » garanti par la loi américaine. Le secrétaire d’État Marco Rubio a dû rassurer Benjamin Netanyahou : les appareils livrés à Riyad seraient une version moins avancée que ceux de l’armée de l’air israélienne, afin de préserver la supériorité technologique de Tsahal.
Pour Riyad, l’opération est loin d’être un échec : le royaume obtient un statut stratégique renforcé auprès de Washington, des systèmes d’armes sophistiqués et un sceau de « grand allié » américain, sans avoir eu à franchir, pour l’instant, le Rubicon de la normalisation avec Israël. Pour Trump, le bilan est plus contrasté : il engrange un accord de défense majeur, mais l’image de « faiseur de paix » reste suspendue à une équation qui n’a pas bougé.
Au fond, cette scène cachée de la rencontre Trump–Ben Salmane rappelle que la normalisation ne se joue pas seulement entre dirigeants, mais aussi face à des opinions publiques chauffées à blanc par la guerre de Gaza. Washington veut élargir les Accords d’Abraham, Riyad revendique un horizon concret pour les Palestiniens, Jérusalem refuse de s’engager sur un État palestinien. Tant que ce triangle restera déséquilibré, l’Arabie saoudite continuera probablement à avancer à pas comptés, en monnayant sa puissance et son rapprochement discret avec Israël sans offrir, à court terme, la photo de signature que la Maison-Blanche espérait.
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