La guerre contre l’usurpation d’identité numérique : faux Gazaouis, crédibilité illusoire, conséquences bien réelles
Ben M. Freeman
La nouvelle fonctionnalité de géolocalisation de X met en lumière d’importantes incohérences dans les identités en ligne, révélant que de nombreux comptes influents se faisant passer pour des Américains, des Gazaouis ou des militants locaux publient en réalité depuis des pays totalement différents.
Ces incohérences soulignent à quel point il est facile de fabriquer ou de coordonner des récits anti-israéliens pour les faire passer pour des témoignages oculaires « authentiques », rendant presque impossible pour les publics occidentaux de distinguer les vraies voix de la propagande orchestrée.
Cet épisode met en lumière une vérité plus générale: l’identité en ligne est désormais un outil stratégique de persuasion, et sans scepticisme ni vérification, des acteurs mal intentionnés peuvent façonner l’opinion mondiale sur Israël et Gaza grâce à une crédibilité fabriquée de toutes pièces.
La crédibilité est essentielle. Dans les batailles numériques autour d’Israël et de Gaza, on se fie à ce que l’on perçoit comme des témoignages de première main.
Un militant américain s’exprime depuis son campus. Un journaliste gazaoui publie des images prises au milieu des décombres. Un citoyen palestinien affirme faire un reportage en direct. Ces identités façonnent la compréhension de l’information et l’attribution de l’autorité morale.
C’est pourquoi le déploiement de la nouvelle fonctionnalité de géolocalisation sur X (anciennement Twitter) a suscité autant de débats.
Cela touche au cœur même de la question sous-jacente à chaque publication: qui parle réellement ?
Quelques heures après le lancement de la fonctionnalité, des utilisateurs ont commencé à remarquer des incohérences.
Des comptes se présentant comme des progressistes américains sont soudainement apparus avec des localisations de cartes SIM turques ou pakistanaises.
Le compte Iran Updates X compte plus de 4 500 abonnés et semble faire autorité, pourtant il apparaît comme publiant depuis le Bangladesh et non depuis l’Iran, comme son nom et sa présentation le suggèrent.
De même, Martin , un Américain présenté comme un converti à l’islam, se trouvait en réalité au Moyen-Orient. Pour de nombreux utilisateurs, ces révélations ont clairement indiqué que quelque chose, dans cet écosystème en ligne, dissimulait des informations trompeuses.
Cela a soulevé la possibilité inquiétante que le public occidental interagisse non pas avec des témoignages locaux authentiques, mais avec une mise en scène bien plus élaborée.
Le problème ne se limite pas aux comptes occidentaux. Une partie des contenus les plus émouvants et les plus partagés en ligne provient de personnes affirmant faire des reportages directement depuis Gaza.
La nouvelle fonctionnalité de géolocalisation introduite par X a complexifié la situation. Le problème ne se limite pas à des cas isolés. Prenons l’exemple de l’utilisatrice @MMaryamfam , dont la bio indique : « Je m’appelle Maryam, j’ai 7 ans et je viens de Gaza. S’il vous plaît, sauvez-moi et ma famille. »
Ses publications ont été lues par des milliers d’utilisateurs occidentaux qui pensent lire les mots d’une enfant prise au piège.
Pourtant, le compte apparaît comme publiant depuis le Qatar.
Un autre cas, mis en lumière dans un fil de discussion largement partagé par @niohberg, concerne un compte se faisant passer pour un utilisateur nommé Mahmoud, originaire de Gaza , mais publiant via une carte SIM polonaise. Mahmoud se décrit comme un « survivant de l’Holocauste » et partage des images saisissantes en temps réel, prises au pied de la lettre par de nombreux spectateurs occidentaux qui pensent assister au témoignage direct de la guerre.
Ces incohérences numériques ne prouvent pas que l’une ou l’autre personne se trouve physiquement hors de Gaza. Les Gazaouis utilisent souvent des cartes SIM électroniques étrangères.
Cependant, ces contradictions révèlent un problème plus profond et plus inquiétant. Il est extrêmement difficile de vérifier l’authenticité des prétendus témoignages de première main, or ces publications façonnent la perception mondiale en temps réel. Lorsqu’un compte se présentant comme provenant de Gaza s’avère publier depuis un autre pays, le public occidental se retrouve sans moyen fiable de distinguer les voix authentiques des messages coordonnés ou de la propagande.
La force émotionnelle de ces publications fait qu’elles sont amplifiées à une vitesse extraordinaire, souvent sans aucun contrôle.
Cela crée un environnement informationnel où des récits très polémiques peuvent se propager sans surveillance, où des contenus fabriqués ou mis en scène peuvent se faire passer pour des témoignages, et où la frontière entre expérience vécue et influence orchestrée devient presque impossible à tracer.
Même les comptes qui semblent émaner d’institutions américaines soulèvent des questions. AG Hamilton a documenté des cas où des profils se prétendant américains publiaient en réalité depuis le Canada, le Royaume-Uni, l’Afrique du Nord et l’Arabie saoudite.
Pris individuellement, chacun de ces exemples peut s’expliquer. Mais la multiplication de ces découvertes au cours du même week-end suggère que l’identité est présentée de manière bien plus stratégique que beaucoup d’utilisateurs ne le pensent.
Cela met également en lumière la facilité avec laquelle des acteurs peuvent façonner des récits, même s’ils ne sont pas ceux qu’ils prétendent être, et dont les messages sont perçus comme faisant autorité du simple fait de leur présentation.
Tout cela soulève une vérité dérangeante : l’identité en ligne est devenue un instrument de persuasion. Lorsqu’une publication semble provenir d’un organisateur étudiant américain, elle bénéficie d’une certaine autorité.
Si cette même publication provient d’ailleurs, son impact est tout autre. Lorsqu’une vidéo est présentée comme un reportage en direct de Gaza, elle influence les spectateurs d’une manière particulière.
Si elle semble être transmise via une carte SIM européenne, sa crédibilité devient plus ambiguë. La crédibilité du messager est désormais aussi contestée que celle du message lui-même.
La géolocalisation ne résout pas le problème. Elle ne fait que le mettre en lumière. Elle nous oblige tous à nous interroger plus sérieusement sur l’auteur et l’authenticité des propos.
Qui parle ? D’où ? Et pour quel public ? Ces questions n’auront pas toujours de réponses simples. Mais dans un conflit où les récits se propagent plus vite que la vérification, et où l’identité elle-même possède un poids persuasif considérable, il est essentiel de les poser. Cette controverse doit permettre d’y voir plus clair.
Elle doit nous amener à reconnaître que les identités numériques sont souvent bien moins stables et authentiques qu’il n’y paraît. Si la vérité nous tient à cœur et si nous voulons protéger le débat public de toute manipulation, nous ne pouvons pas nous contenter de prendre les identités en ligne pour argent comptant.
Nous devons prêter attention aux structures qui façonnent ce qui émerge, ce qui se propage et ce qui est cru. Ce n’est qu’alors que nous pourrons commencer à distinguer les témoignages authentiques du flot de contenus conçus pour influencer, provoquer et tromper.
Fondateur du mouvement moderne de la fierté juive, Ben M. Freeman est l’auteur de de plusieurs ouvrages sur l’actualité des juifs. Spécialiste de la Shoah depuis plus de quinze ans, Ben s’est fait connaître lors de la crise antisémite du parti travailliste de Corbyn au Royaume-Uni et est rapidement devenu l’une des figures de proue de la pensée juive et de la lutte contre l’antisémitisme au sein de sa génération.
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