Menace sur le lait israélien
En Israël, une bataille silencieuse se joue dans les étables. Au nom de la « modernisation » et de la compétitivité, le gouvernement prépare une réforme profonde de la filière laitière : baisse du prix cible du lait cru – le prix minimum garanti aux producteurs – et ouverture accrue aux importations. Officiellement, l’objectif est clair : faire baisser la facture des ménages et éviter les pénuries qui ont déjà provoqué des tensions dans les supermarchés. Mais sur le terrain, beaucoup y voient le début d’une véritable crise du lait.
Le secteur laitier israélien est historiquement l’un des plus encadrés du pays. L’État fixe les quotas de production, le prix cible payé aux éleveurs par les laiteries, ainsi qu’une partie des prix à la consommation pour les produits de base. Cette planification, héritée des premières décennies du pays, a permis de garantir l’approvisionnement, mais elle a aussi maintenu des prix parmi les plus élevés du monde développé. Au cours des dernières années, les autorités économiques ont donc cherché à assouplir ce système, en réduisant progressivement les barrières douanières et en préparant la fin des quotas.
Aujourd’hui, environ 620 fermes laitières fonctionnent en Israël, réparties entre kibbutzim et moshavim, pour une production annuelle d’environ 1,5 milliard de litres de lait cru. Une large partie de ce volume provient encore de petites exploitations familiales installées dans les moshavim de Galilée, du Golan, du Néguev ou des environs de Kiryat Shmona. Ces fermes opèrent avec des marges très faibles et font face à une montée continue des coûts : alimentation importée, électricité, normes environnementales, main-d’œuvre.
La réforme vient les frapper de plein fouet. En abaissant le prix cible, l’État réduit immédiatement leurs revenus sur chaque litre produit, tout en leur demandant d’investir massivement pour moderniser étables, systèmes de traite et équipements de gestion des effluents. Pour les grandes exploitations robotisées, le choc reste absorbable ; pour une ferme qui compte quelques dizaines de vaches, c’est souvent la différence entre survie et fermeture.
À Moshav Sdé Eliezer, dans la vallée de la Houla, un éleveur résume la situation : sur chaque litre, il perd désormais plusieurs agorot par rapport à l’ancien tarif, alors qu’on lui réclame des centaines de milliers de shekels pour mettre son installation aux nouvelles normes. Avec un troupeau d’une soixantaine de vaches, impossible, selon lui, d’équilibrer les comptes. Sa crainte est partagée par de nombreux collègues : si ces petites fermes disparaissent, Israël se retrouvera à dépendre du lait importé et du bon vouloir de quelques géants industriels.
Car les grands gagnants potentiels de cette réorganisation sont déjà identifiés : les mastodontes Tnuva, Strauss et Tara, qui dominent le marché, ainsi que plusieurs kibboutzim agro-industriels dotés de fermes ultra-modernes, comme Yotvata ou Afikim. Ces structures disposent de robotisation, de volume et de capacité d’investissement qui leur permettent de produire à moindre coût et de profiter d’un environnement plus ouvert à la concurrence internationale. Paradoxalement, alors même que le discours officiel promet une baisse des prix, ces groupes ont déjà, ces dernières années, relevé leurs tarifs sur de nombreux produits non régulés, comme les yaourts ou certains fromages.
En parallèle, le ministère des Finances mise sur les importations pour faire pression sur les prix. Une décision récente a ainsi supprimé temporairement un droit de douane de 40 % sur le lait importé afin de prévenir des pénuries lors des grandes fêtes juives, un geste censé renforcer l’approvisionnement et calmer la colère des consommateurs. Pour les éleveurs israéliens, c’est un signal inquiétant : si les frontières s’ouvrent trop largement, ils craignent que le marché local soit progressivement inondé de produits moins chers, au détriment de la production nationale.
Les syndicats agricoles et une partie du ministère de l’Agriculture avertissent qu’à terme, jusqu’à 200 fermes pourraient fermer, transformant une dépendance ponctuelle aux importations en dépendance structurelle. Au-delà de l’économie, c’est aussi l’implantation humaine dans des zones périphériques et sensibles – frontières nord, régions rurales isolées – qui est en jeu : de nombreux moshavim vivent de la production laitière et voient dans cette activité un élément de stabilité démographique et stratégique.
Entre la promesse de briques de lait moins chères et le risque de sacrifier des centaines d’exploitations familiales, Israël joue un équilibre délicat. La réforme laitière pourrait, dans le meilleur des cas, rendre le secteur plus efficace et limiter les flambées de prix. Mais si la vague de fermetures annoncée se confirme, le pays pourrait découvrir qu’avoir misé sur les importations et la concentration industrielle a un coût : celui de la perte de diversité agricole et d’une moindre souveraineté alimentaire. C’est seulement à l’épreuve des prochaines années que l’on saura si cette réorganisation aura réellement servi le consommateur israélien – ou si elle aura surtout profité aux géants du secteur et aux fournisseurs étrangers.
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